Annulation d’une élection faute de participation : un TA — mais ce n’est pas le premier — franchit le Rubicon (mais c’est une exception qui confirme, des deux ailes du Palais Royal, les préconisations). Une telle décision restera donc bien une exception.
Le Conseil constitutionnel avait estimé que l’épidémie de covid-19, avec ses conséquences en termes de faible participation au premier tour des municipales, n’entraînait pas par principe l’annulation de ces élections. Mais il avait sur ce point glissé une mention novatrice :
« Il appartiendra, le cas échéant, au juge de l’élection, saisi d’un tel grief, d’apprécier si le niveau de l’abstention a pu ou non altérer, dans les circonstances de l’espèce, la sincérité du scrutin.» (C. const., décisions n°2020-849 et n° 2020-850 QPC du 17 juin 2020).
Voir (pour une analyse plus large de ces deux décisions donc) :
Le Conseil d’Etat, dans la foulée, avait accepté de s’engouffrer dans cette mini-brèche, mais en prenant grand soin que cela reste une mini-brèche, en donnant une interprétation la plus réduite possible à celle-ci.
La Haute Assemblée avait ainsi :
- rappelé ni par l’article L. 262 du code électoral, ni par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 le législateur n’a subordonné à un taux de participation minimal la répartition des sièges au conseil municipal à l’issue du premier tour de scrutin dans les communes de mille habitants et plus, lorsqu’une liste a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés.
- repris la formulation du Conseil constitutionnel, en la faisant évoluer à la marge, posant que le niveau de l’abstention n’est ainsi, par lui-même, pas de nature à remettre en cause les résultats du scrutin, s’il n’a pas altéré, dans les circonstances de l’espèce, sa sincérité.
… avec une formulation qui a un peu évolué la position du conseil constitutionnel. Avec une interprétation qui vise donc à donner une norme, un « standard » pour les juges du fond. - posé donc que la faible participation ne sera donc que dans des cas exceptionnels un facteur d’annulation en lui-même. Dans des cas exceptionnels (difficile de prouver un impact sur tel ou tel électorat), et en cas de faible écart de voix, cela pourra jouer. Combiné avec d’autres altérations réelles de la sincérité du scrutin, cela sera parfois un moyen appelé à prospérer.
Voir CE, 15 juillet 2020, n° 440055 :
Un TA au moins avait plus ou moins anticipé ces formulations. Voir :
Le TA de Nantes avait accepté d’annuler une élection faute de participation suffisante, de ce seul fait, dans un cas particulier (avant la décision du CE mais après celle du C. const.). Voir TA Nantes, 9 juillet 2020, n° 2004764 :
Mais depuis lors, les jugements se sont succédés et rares sont ceux qui ont accepté de prendre en compte cette faible participation à elle seule comme facteur d’altération de la sincérité du scrutin.
D’où l’intérêt d’un jugement du TA de Grenoble qui, dans un cas certes spécifique (cette commune était considérée comme le 3ème cluster français le 26 février 2020, selon la requête), accepte de le faire.
Citons le TA dont le raisonnement est intéressant et exigeant en termes de preuves :
« 13. Il est constant que la Balme-de-Sillingy a été l’un des premiers foyers épidémiques en France, dès fin février 2020. Dès lors à la date du vote, le 15 mars, de nombreux électeurs étaient soit hospitalisés, soit isolés à domicile en application des recommandations officielles, qu’ils soient effectivement contaminés par le virus ou qu’ils aient été en contact avec une personne contaminée. Or, il ne résulte pas de l’instruction, dans ce contexte local très particulier de cluster précoce, que les procurations à domicile telles que définies par les dispositions précitées du code électoral aient pu être effectivement mises en œuvre, alors que les services de la gendarmerie de la Balme-de-Sillingy étaient fermés durant cette période. Si M. H… n’apporte pas la preuve matérielle de refus d’établissement des procurations à domicile, par définition difficile à établir pour des faits survenus sur une très courte période, dans un contexte de crise sanitaire majeure, Mme K… n’en conteste pas sérieusement la réalité en se bornant, pour l’essentiel, à affirmer de manière péremptoire qu’« une telle affirmation constitue (…) une atteinte à (…) la probité [des gendarmes] ». Si elle fait en outre valoir qu’une électrice de la commune hospitalisée a pu voter par procuration, elle n’en apporte pas la preuve. Enfin et contrairement à ce qui a été soutenu à l’audience, il ne résulte pas de l’instruction que les 57 votes par procuration indiqués sur le procès-verbal des élections n’aient pas été planifiés de longue date, avant la crise sanitaire, ou que les procurations afférentes à ces votes n’aient pas été établies par des personnes bien portantes directement auprès des services compétents, selon le droit commun. M. H… est dès lors fondé à soutenir que la procédure d’établissement des procurations n’a pas respecté les dispositions précitées de l’article R. 72 du code électoral en raison de la situation sanitaire particulièrement dégradée à la Balme-de-Sillingy, dès la fin février 2020. Cette circonstance est de nature, en l’espèce, à avoir favorisé l’abstention. Il convient dès lors de rechercher, en application du principe énoncé au point 11, si le niveau d’abstention constaté à la Balme-de-Sillingy, favorisé par le contexte local épidémique tel qu’il vient d’être décrit, a été de nature à altérer la sincérité du scrutin.
« 14. Il résulte de l’instruction que le taux d’abstention enregistré pour l’élection en litige (60,37%) a augmenté d’environ 22% par rapport aux précédentes élections municipales de 2014 (taux d’abstention à la Balme-de-Sillingy, alors, de 37,59%) et est de 5% supérieur à la moyenne nationale enregistrée pour ce scrutin. Ainsi, compte tenu de l’écart de voix de 4% séparant les listes en présence et le contexte sanitaire exceptionnel tel que décrit ci-dessus, l’irrégularité relative à la procédure d’établissement des procurations à domicile décrite au point 13 a été de nature à altérer la sincérité du scrutin. Ce motif, à lui seul, est de nature à justifier l’annulation des élections des conseillers municipaux auxquelles il a été procédé à la Balme-de-Sillingy le 15 mars 2020. »
D’où l’annulation des élections sans autre vice que celui de cette faible participation, en raison du faible écart de voix, de la chute réellement nette de la participation et des circonstances sanitaires réellement spécifiques à cette zone.
TA Grenoble, 15 septembre 2020, n° 2001840 :