Le Conseil constitutionnel vient de rendre les décisions 2020-849 QPC et 2020-850 QPC relatives à la constitutionnalité du premier tour des municipales du 15 mars dernier, opérées sur renvoi du Conseil d’Etat (CE, 25 mai 2020 n°440335 ; CE, 25 mai 2020 n° 440217) ,
Voir au préalable, à ces sujets :
- Le 1er tour des municipales est-il fragile en droit ? [VIDEO]
- 1er tour des municipales : le Conseil constitutionnel aura bien à juger d’au moins deux QPC. Qu’en résulte-t-il ?
- Avant même que le Conseil constitutionnel ne tranche sur les QPC à ce sujet, un TA statue sur l’effet de la baisse de la participation sur la sincérité du 1er tour des élections municipales
- M. D. Maus : « élections municipales : le Conseil d’État ”joue la montre”…»
La décision est conforme à ce que nous avions pronostiqué comme étant le plus probable, à savoir une validation globale encadrée de quelques recommandations (renvoi au juge électoral pour apprécier l’impact de la baisse de la participation, ce qui peut conduire à penser que parfois ce paramètre pourra être en lui-même un facteur d’annulation).
NB : ce qui suit reprend largement les communiqués du Conseil lui-même.
Le Conseil constitutionnel avait été saisi de la conformité à la Constitution des I, III et IV de l’article 19 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, d’une part ,et de la conformité à la Constitution de l’article L. 262 du Code électoral, d’autre part.
Les requérants et intervenants reprochaient notamment à ces dispositions, adoptées postérieurement au premier tour des élections municipales, d’en reporter le second tour à une date indéterminée, susceptible d’être fixée jusqu’à la fin du mois de juin par le pouvoir réglementaire. Selon eux, d’une part, le législateur ne pouvait pas interrompre un processus électoral en cours et aurait donc dû annuler les résultats du scrutin du 15 mars 2020 afin d’organiser de nouvelles élections municipales. D’autre part, en permettant que le second tour ait lieu plus de trois mois après le premier tour, alors que le scrutin à deux tours formerait un bloc indissociable, le législateur aurait fixé un délai excessif. Enfin, en prévoyant la tenue de ce second tour pendant la crise sanitaire causée par l’épidémie de covid-19, le législateur aurait créé les conditions d’une forte abstention des électeurs. Il en résultait selon eux une méconnaissance des principes de sincérité du scrutin et d’égalité devant le suffrage.
Il était en outre reproché à ces dispositions d’avoir pour effet de valider les résultats du premier tour des élections municipales, sans égard pour les contestations en cours devant le juge de l’élection, en violation de la séparation des pouvoirs et de la garantie des droits.
Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle que, selon le troisième alinéa de l’article 3 de la Constitution, le suffrage « est toujours universel, égal et secret ». Il en résulte le principe de sincérité du scrutin.
L’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Il résulte de cette disposition et du troisième alinéa de l’article 3 de la Constitution le principe de l’égalité devant le suffrage.
Le législateur, compétent en application de l’article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant le régime électoral des assemblées locales, peut, à ce titre, déterminer la durée du mandat des élus qui composent l’organe délibérant d’une collectivité territoriale. Toutefois, dans l’exercice de cette compétence, il doit se conformer aux principes constitutionnels, qui impliquent notamment que les électeurs soient appelés à exercer leur droit de suffrage, garanti par l’article 3 de la Constitution, selon une périodicité raisonnable.
Au regard des exigences constitutionnelles qui viennent d’être présentées, le Conseil constitutionnel juge que, si les dispositions contestées remettent en cause l’unité de déroulement des opérations électorales, elles permettent, contrairement à une annulation du premier tour, de préserver l’expression du suffrage lors de celui-ci. Toutefois, le législateur ne saurait, sans méconnaître les exigences résultant de l’article 3 de la Constitution, autoriser une telle modification du déroulement des opérations électorales qu’à la condition qu’elle soit justifiée par un motif impérieux d’intérêt général et que, par les modalités qu’il a retenues, il n’en résulte pas une méconnaissance du droit de suffrage, du principe de sincérité du scrutin ou de l’égalité devant le suffrage.
Appliquant cette grille d’analyse aux dispositions contestées, il relève que, en les adoptant alors que le choix avait été fait, avant qu’il n’intervienne, de maintenir le premier tour de scrutin, le législateur a entendu éviter que la tenue du deuxième tour de scrutin initialement prévu le 22 mars 2020 et la campagne électorale qui devait le précéder ne contribuent à la propagation de l’épidémie de covid-19, dans un contexte sanitaire ayant donné lieu à des mesures de confinement de la population. Ces dispositions sont donc justifiées par un motif impérieux d’intérêt général.
Puis, le Conseil constitutionnel examine les modalités retenues par le législateur afin de prévenir une méconnaissance du droit de suffrage, du principe de sincérité du scrutin ou de l’égalité devant le suffrage. Il relève, en premier lieu, que le législateur a prévu que le second tour des élections municipales aurait lieu au plus tard au mois de juin 2020. Le délai maximal ainsi fixé pour la tenue du second tour était, lors de son adoption, adapté à la gravité de la situation sanitaire et à l’incertitude entourant l’évolution de l’épidémie.
En deuxième lieu, le législateur a imposé au pouvoir réglementaire de fixer la date de ce second tour, par décret en conseil des ministres pris le 27 mai 2020 au plus tard. Il a subordonné cette fixation à la condition que la situation sanitaire le permette, compte tenu notamment de l’analyse du comité de scientifiques prévu à l’article L. 3131-19 du code de la santé publique.
En troisième lieu, si les requérants et certains intervenants faisaient valoir que, en raison de l’épidémie de covid-19, l’organisation du second tour avant la fin du mois de juin 2020 risquerait de nuire à la participation des électeurs, le Conseil constitutionnel relève que ce scrutin ne peut se tenir que si la situation sanitaire le permet. Dès lors, les dispositions contestées ne favorisent pas par elles-mêmes l’abstention, selon le Conseil constitutionnel (ce qui se discute tout de même…).
C’est là que le Conseil constitutionnel glisse la mention que nous annoncions comme probable dans nos articles précédents en posant qu’il :
« Il appartiendra, le cas échéant, au juge de l’élection, saisi d’un tel grief, d’apprécier si le niveau de l’abstention a pu ou non altérer, dans les circonstances de l’espèce, la sincérité du scrutin.»
… à ce jour, une baisse de la participation n’est pas en soi une altération de la sincérité du scrutin (voir en ce sens par exemple récemment ici)…. ce pourrait changer (mais avec un impact sans doute marginal) donc.
En dernier lieu, le Conseil constitutionnel relève que plusieurs mesures d’adaptation du droit électoral contribuent à assurer, malgré le délai séparant les deux tours de scrutin, la continuité des opérations électorales, l’égalité entre les candidats au cours de la campagne et la sincérité du scrutin.
En particulier, afin de préserver l’unité du corps électoral entre les deux tours, l’ordonnance n° 2020-390 du 1er avril 2020 dispose que, sauf exceptions, le second tour du scrutin initialement fixé au 22 mars 2020 aura lieu à partir des listes électorales et des listes électorales complémentaires établies pour le premier tour.
En outre, les 6 ° et 7 ° du paragraphe XII de l’article 19 de la loi du 23 mars 2020 permettent, par dérogation au code électoral, de majorer par décret les plafonds de dépenses électorales applicables et d’obtenir le remboursement d’une partie des dépenses de propagande ayant été engagées pour le second tour initialement prévu le 22 mars 2020. Ces dispositions concourent à garantir le respect de l’égalité entre les candidats au cours de la campagne électorale.
Enfin, afin de préserver les possibilités de contester les résultats du premier tour en dépit de la suspension du scrutin, les électeurs ont pu, par dérogation au troisième alinéa de l’article L. 68 du code électoral, obtenir communication des listes d’émargement des bureaux de vote à compter de l’entrée en vigueur du décret de convocation pour le second tour et jusqu’à l’expiration du délai de recours contentieux.
Par l’ensemble de ces motifs, le Conseil constitutionnel juge que le report du second tour des élections municipales au plus tard en juin 2020 ne méconnaît ni le droit de suffrage, ni le principe de sincérité du scrutin, ni celui d’égalité devant le suffrage.
S’agissant des critiques adressées aux dispositions selon lesquelles l’élection régulière des conseillers municipaux élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 reste acquise, le Conseil constitutionnel relève qu’elles se bornent à préciser que ni le report du second tour au plus tard en juin 2020 ni l’éventuelle organisation de deux nouveaux tours de scrutin après cette date n’ont de conséquence sur les mandats régulièrement acquis. Elles n’ont ainsi ni pour objet ni pour effet de valider rétroactivement les opérations électorales du premier tour ayant donné lieu à l’attribution de sièges. Dès lors, elles ne font pas obstacle à ce que ces opérations soient contestées devant le juge de l’élection.
Le recours 2020-849 va dans le même sens.
voici la décision 2020-850
Décision n° 2020-850 QPC du 17 juin 2020
(Mme Patricia W.)
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 26 mai 2020 par le Conseil d’État (décision n° 440335 du 25 mai 2020), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Patricia W. par Mes Romain Geoffret et Maxime Rosier, avocats au barreau de Montpellier. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2020-850 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 262 du code électoral, dans sa rédaction résultant de la loi n° 82-974 du 19 novembre 1982 modifiant le code électoral et le code des communes relative à l’élection des conseillers municipaux et aux conditions d’inscription des français établis hors de France sur les listes électorales.
Au vu des textes suivants :
– la Constitution ;
– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
– le code électoral ;
– la loi n° 82-974 du 19 novembre 1982 modifiant le code électoral et le code des communes relative à l’élection des conseillers municipaux et aux conditions d’inscription des français établis hors de France sur les listes électorales ;
– la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral ;
– les décisions du Conseil constitutionnel nos 82-146 DC du 18 novembre 1982 et 2013-667 DC du 16 mai 2013 ;
– le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
– les observations présentées pour la requérante par Mes Geoffret et Rosier, enregistrées le 3 juin 2020 ;
– les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
– les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Geoffret pour la requérante et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 15 juin 2020 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Dans sa rédaction résultant de la loi du 19 novembre 1982 mentionnée ci-dessus, l’article L. 262 du code électoral, relatif au mode de scrutin applicable à l’élection des conseillers municipaux des communes d’au moins 1 000 habitants, prévoit :
« Au premier tour de scrutin, il est attribué à la liste qui a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés un nombre de sièges égal à la moitié du nombre des sièges à pourvoir, arrondi, le cas échéant, à l’entier supérieur lorsqu’il y a plus de quatre sièges à pourvoir et à l’entier inférieur lorsqu’il y a moins de quatre sièges à pourvoir. Cette attribution opérée, les autres sièges sont répartis entre toutes les listes à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, sous réserve de l’application des dispositions du troisième alinéa ci-après.
« Si aucune liste n’a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour, il est procédé à un deuxième tour. Il est attribué à la liste qui a obtenu le plus de voix un nombre de sièges égal à la moitié du nombre des sièges à pourvoir, arrondi, le cas échéant, à l’entier supérieur lorsqu’il y a plus de quatre sièges à pourvoir et à l’entier inférieur lorsqu’il y a moins de quatre sièges à pourvoir. En cas d’égalité de suffrages entre les listes arrivées en tête, ces sièges sont attribués à la liste dont les candidats ont la moyenne d’âge la plus élevée. Cette attribution opérée, les autres sièges sont répartis entre toutes les listes à la représentation proportionnelle
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suivant la règle de la plus forte moyenne, sous réserve de l’application des dispositions du troisième alinéa ci-après.
« Les listes qui n’ont pas obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés ne sont pas admises à répartition des sièges.
«Les sièges sont attribués aux candidats dans l’ordre de présentation sur chaque liste.
« Si plusieurs listes ont la même moyenne pour l’attribution du dernier siège, celui-ci revient à la liste qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages. En cas d’égalité de suffrages, le siège est attribué au plus âgé des candidats susceptibles d’être proclamés élus ».
2. Selon la requérante, si ces dispositions ont déjà été déclarées conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel du 18 novembre 1982 mentionnée ci-dessus, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 inscrivant le principe de pluralisme des courants d’idées et d’opinions à l’article 4 de la Constitution et la consécration jurisprudentielle du principe de sincérité du scrutin intervenue depuis lors constitueraient des changements de circonstances justifiant leur réexamen. Elle invoque également, au soutien d’un tel réexamen, l’extension du champ d’application de ces dispositions, initialement applicables aux communes d’au moins 3 500 habitants, à celles d’au moins 1 000 habitants par la loi du 17 mai 2013 mentionnée ci-dessus, d’une part, et l’important taux d’abstention constaté lors du premier tour des élections municipales organisé le 15 mars 2020, d’autre part.
3. Sur le fond, la requérante reproche aux dispositions renvoyées de permettre que l’élection du conseil municipal d’une commune d’au moins 1 000 habitants puisse être acquise dès le premier tour de scrutin, sans exiger que la liste ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés ait également recueilli un nombre de suffrages correspondant à une part minimale du nombre des électeurs inscrits. En premier lieu, il en résulterait une méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant le suffrage, dès lors que, dans les communes de moins de 1 000 habitants, l’élection dès le premier tour nécessite d’avoir réuni, non seulement la majorité absolue des suffrages exprimés, mais aussi un nombre de suffrages égal au quart des électeurs inscrits. En deuxième lieu, en permettant l’élection de conseillers municipaux dont la requérante juge qu’ils seraient dépourvus de toute représentativité minimale, ces dispositions contreviendraient à un principe d’« équité du scrutin », aux principes de sincérité et de loyauté du scrutin, au « principe démocratique » et au principe de la souveraineté nationale. En dernier lieu, ces dispositions seraient contraires à un principe fondamental reconnu par les lois de la République, que la requérante demande au Conseil constitutionnel de reconnaître, selon
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lequel, pour toute élection locale à deux tours, nul ne peut être élu au premier tour de scrutin s’il n’a réuni un nombre de suffrages égal au quart des électeurs inscrits.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « la majorité absolue des suffrages exprimés » figurant à la première phrase du premier alinéa et du deuxième alinéa de l’article L. 262 du code électoral.
5. Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l’article 23-2 et du troisième alinéa de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qu’il a déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une de ses décisions, sauf changement des circonstances.
6. Dans sa décision du 18 novembre 1982, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné l’article L. 262 du code électoral, dans la même rédaction que celle contestée par la requérante. Il a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de sa décision.
7. Si, depuis cette décision, le champ d’application de ces dispositions a été étendu aux communes d’au moins 1 000 habitants, les dispositions prévoyant cette extension ont été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 16 mai 2013 mentionnée ci-dessus. En outre, ni la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, ni la mention explicite du principe de sincérité du scrutin dans des décisions du Conseil constitutionnel postérieures aux décisions précitées ne constituent un changement des circonstances justifiant le réexamen des dispositions contestées. Enfin, le taux d’abstention des électeurs lors du scrutin qui s’est tenu le 15 mars 2020 et le contexte particulier lié à l’épidémie de covid-19 ne constituent pas non plus un changement des circonstances justifiant un tel réexamen.
8. Dès lors, il n’y a pas lieu pour le Conseil constitutionnel d’examiner la question prioritaire de constitutionnalité.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
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Article 1 . – Il n’y a pas lieu de statuer sur la question prioritaire de
constitutionnalité portant sur l’article L. 262 du code électoral, dans sa rédaction résultant de la loi n° 82-974 du 19 novembre 1982 modifiant le code électoral et le code des communes relative à l’élection des conseillers municipaux et aux conditions d’inscription des français établis hors de France sur les listes électorales.
Article 2. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 17 juin 2020, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 17 juin 2020 .
VOICI LA DÉCISION 2020-849
Décision n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 26 mai 2020 par le Conseil d’État (décision n° 440217 du 25 mai 2020), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Daniel D. et autres par Me Céline Alinot, avocate au barreau de Nice. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2020-849 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des paragraphes I, III et IV de l’article 19 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code électoral ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ;
- l’ordonnance n° 2020-390 du 1er avril 2020 relative au report du second tour du renouvellement général des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers de Paris et des conseillers de la métropole de Lyon de 2020 et à l’établissement de l’aide publique pour 2021 ;
- le décret n° 2019-928 du 4 septembre 2019 fixant la date du renouvellement des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon, et portant convocation des électeurs ;
- le décret n° 2020-267 du 17 mars 2020 portant report du second tour du renouvellement des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon, initialement fixé au 22 mars 2020 par le décret n° 2019-928 du 4 septembre 2019 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérants par Me Alinot, enregistrées le 28 mai 2020 ;
- les observations en intervention présentées par M. Jean-Louis M., enregistrées le même jour ;
- les observations en intervention présentées pour Mme Béatrice D. et autres par Me Étienne Tête, avocat au barreau de Lyon, enregistrées le 2 juin 2020 ;
- les observations en intervention présentées pour Mme Françoise G. par Me Sébastien Plunian, avocat au barreau de Valence, enregistrées le même jour ;
- les observations en intervention présentées pour M. Jean-Claude B. par Me Sarah Margaroli, avocate au barreau de Paris, enregistrées le 3 juin 2020 ;
- les observations en intervention présentées pour M. Pierre-Yves M. par Me Margaroli, enregistrées le même jour ;
- les observations en intervention présentées pour M. Pierre S. par Me Arié Alimi, avocat au barreau de Paris, enregistrées le même jour ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations en intervention présentées par M. Jean-Louis M., enregistrées le 5 juin 2020 ;
- les secondes observations présentées pour les requérants par Me Alinot, enregistrées le 8 juin 2020 ;
- les secondes observations en intervention présentées pour Mme Béatrice D. et autres par Me Tête, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations en intervention présentées pour MM. Jean-Claude B. et Pierre-Yves M. par Me Margaroli, enregistrées le 10 juin 2020 ;
- les secondes observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Alinot pour les requérants, Me Philippe Prigent, avocat au barreau de Paris, pour M. Jean-Louis M., Me Margaroli, pour MM. Jean-Claude B. et Pierre-Yves M., Me Alimi, pour M. Pierre S., et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 15 juin 2020 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
- La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l’article 19 de la loi du 23 mars 2020 mentionnée ci-dessus dans sa rédaction initiale.
- Le paragraphe I de l’article 19 de la loi du 23 mars 2020, dans cette rédaction, prévoit : « Lorsque, à la suite du premier tour organisé le 15 mars 2020 pour l’élection des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon, un second tour est nécessaire pour attribuer les sièges qui n’ont pas été pourvus, ce second tour, initialement fixé au 22 mars 2020, est reporté au plus tard en juin 2020, en raison des circonstances exceptionnelles liées à l’impérative protection de la population face à l’épidémie de covid-19. Sa date est fixée par décret en conseil des ministres, pris le mercredi 27 mai 2020 au plus tard si la situation sanitaire permet l’organisation des opérations électorales au regard, notamment, de l’analyse du comité de scientifiques institué sur le fondement de l’article L. 3131-19 du code de la santé publique.
« Les déclarations de candidature à ce second tour sont déposées au plus tard le mardi qui suit la publication du décret de convocation des électeurs.
« Si la situation sanitaire ne permet pas l’organisation du second tour au plus tard au mois de juin 2020, le mandat des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers d’arrondissement, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains concernés est prolongé pour une durée fixée par la loi. Les électeurs sont convoqués par décret pour les deux tours de scrutin, qui ont lieu dans les trente jours qui précèdent l’achèvement des mandats ainsi prolongés. La loi détermine aussi les modalités d’entrée en fonction des conseillers municipaux élus dès le premier tour dans les communes de moins de 1 000 habitants pour lesquelles le conseil municipal n’a pas été élu au complet.
« Dans tous les cas, l’élection régulière des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers d’arrondissement, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 reste acquise, conformément à l’article 3 de la Constitution ». - Le paragraphe III de ce même article, dans cette même rédaction, prévoit :
« Les conseillers municipaux et communautaires élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 entrent en fonction à une date fixée par décret au plus tard au mois de juin 2020, aussitôt que la situation sanitaire le permet au regard de l’analyse du comité de scientifiques. La première réunion du conseil municipal se tient de plein droit au plus tôt cinq jours et au plus tard dix jours après cette entrée en fonction.
« Par dérogation, dans les communes de moins de 1 000 habitants pour lesquelles le conseil municipal n’a pas été élu au complet, les conseillers municipaux élus au premier tour entrent en fonction le lendemain du second tour de l’élection ou, s’il n’a pas lieu, dans les conditions prévues par la loi mentionnée au troisième alinéa du I du présent article.
« Par dérogation, les conseillers d’arrondissement et les conseillers de Paris élus au premier tour entrent en fonction le lendemain du second tour de l’élection ou, s’il n’a pas lieu, dans les conditions prévues par la loi mentionnée au même troisième alinéa ». - Le paragraphe IV de ce même article, dans cette même rédaction, prévoit : « Par dérogation à l’article L. 227 du code électoral :
« 1 ° Dans les communes pour lesquelles le conseil municipal a été élu au complet, les conseillers municipaux en exercice avant le premier tour conservent leur mandat jusqu’à l’entrée en fonction des conseillers municipaux élus au premier tour. Le cas échéant, leur mandat de conseiller communautaire est également prorogé jusqu’à cette même date ;
« 2 ° Dans les communes, autres que celles mentionnées au 3 ° du présent IV, pour lesquelles le conseil municipal n’a pas été élu au complet, les conseillers municipaux en exercice avant le premier tour conservent leur mandat jusqu’au second tour. Le cas échéant, leur mandat de conseiller communautaire est également prorogé jusqu’au second tour, sous réserve du 3 du VII ;
« 3 ° Dans les secteurs des communes mentionnées au chapitre IV du titre IV du livre Ier du code électoral, les conseillers d’arrondissement, les conseillers municipaux et, à Paris, les conseillers de Paris en exercice avant le premier tour conservent leur mandat jusqu’au second tour. Le cas échéant, leur mandat de conseiller communautaire est également prorogé jusqu’au second tour, sous réserve du 3 du VII du présent article.
« Par dérogation à l’article L. 224-1 du code électoral, le mandat des conseillers métropolitains de Lyon en exercice avant le premier tour est prorogé jusqu’au second tour.
« Les délégations attribuées aux élus dont le mandat est prolongé non plus qu’aucune délibération ne deviennent caduques de ce seul fait ». - En premier lieu, les requérants reprochent à ces dispositions, adoptées postérieurement au premier tour des élections municipales, qui s’est tenu le 15 mars 2020, d’en reporter le second tour à une date indéterminée, susceptible d’être fixée jusqu’à la fin du mois de juin par le pouvoir réglementaire. Selon eux, d’une part, le législateur ne pouvait pas interrompre un processus électoral en cours et aurait donc dû annuler les résultats du scrutin du 15 mars 2020 afin d’organiser de nouvelles élections municipales. D’autre part, alors que le scrutin à deux tours formerait un bloc indissociable, ces dispositions permettent que le second tour ait lieu plus de trois mois après le premier tour, ce qui constituerait un délai excessif. Enfin, en prévoyant la tenue de ce second tour pendant la crise sanitaire causée par l’épidémie de covid-19, le législateur créerait les conditions d’une forte abstention des électeurs. Il en résulterait une méconnaissance des principes de sincérité du scrutin et d’égalité devant le suffrage.
- En deuxième lieu, les requérants soutiennent que les dispositions renvoyées auraient pour effet de valider les résultats du premier tour des élections municipales, sans égard pour les contestations en cours devant le juge de l’élection. Il en résulterait une violation de la séparation des pouvoirs et de la garantie des droits.
- En dernier lieu, les requérants reprochent à ces dispositions de fixer des dates d’entrée en fonction et des durées de mandat des conseillers municipaux différentes selon qu’ils ont été élus dès le premier tour ou qu’ils le seront à l’issue du second tour reporté. Il en résulterait une méconnaissance du principe d’égalité devant le suffrage.
- Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les premier et dernier alinéas du paragraphe I de l’article 19 de la loi du 23 mars 2020.
- Les intervenants au soutien de la question prioritaire de constitutionnalité soulèvent des griefs similaires à ceux des requérants. En outre, selon l’un des intervenants, en prévoyant un second tour en juin 2020 alors que l’épidémie n’est pas totalement maîtrisée, les dispositions contestées entraîneraient une « abstention contrainte et programmée », méconnaissant ainsi la liberté de vote et la sincérité du scrutin. De plus, en favorisant les élus sortants et en soumettant les candidats à des contraintes très strictes pour mener leur campagne électorale, ces dispositions entraîneraient une rupture de l’égalité devant le suffrage et contreviendraient au principe de sincérité du scrutin.
- Un autre intervenant reproche aux dispositions contestées d’entériner les résultats du premier tour, y compris dans les communes dans lesquelles le conseil municipal a été élu au complet. Il en résulterait une méconnaissance des principes de sincérité du scrutin et d’égalité devant le suffrage, dans la mesure où ce scrutin, organisé pendant l’épidémie de covid-19, a donné lieu à une très forte abstention. En outre, la validation des résultats du premier tour porterait une atteinte inconstitutionnelle au droit à un recours juridictionnel effectif.
– Sur certaines interventions : - Selon le deuxième alinéa de l’article 6 du règlement intérieur du 4 février 2010 mentionné ci-dessus, seules les personnes justifiant d’un « intérêt spécial » sont admises à présenter une intervention.
- Les requérants concluent à l’irrecevabilité des demandes d’intervention présentées par Mme Béatrice D. et autres, Mme Françoise G., M. Pierre-Yves M. et M. Jean-Claude B.. Ils soutiennent que ces personnes ne justifieraient pas d’un intérêt spécial à intervenir aux motifs, notamment, qu’elles sont parties à d’autres instances en cours et que leurs interventions ont pour objet de soutenir la conformité à la Constitution des dispositions contestées.
- Toutefois, ces quatre demandes en intervention sont présentées par des personnes ayant été élues lors du premier tour des élections municipales organisé le 15 mars 2020. Elles sont parties en défense de contestations électorales déposées devant le tribunal administratif, à l’occasion desquelles l’auteur de ces contestations a déposé une question prioritaire de constitutionnalité portant sur tout ou partie des dispositions contestées dans la présente question prioritaire de constitutionnalité. Par conséquent, elles disposent d’un intérêt spécial à intervenir. Les conclusions aux fins d’irrecevabilité de ces interventions doivent donc être rejetées.
– Sur les conclusions aux fins de non-lieu :
- Un des intervenants soutient qu’il n’y aurait pas lieu pour le Conseil constitutionnel de statuer sur la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés que la Constitution garantit, dans la mesure où celles-ci seront prochainement modifiées ou remplacées par des dispositions nouvelles, résultant d’un projet de loi déposé auprès de l’Assemblée nationale le 27 mai 2020, qui pourraient s’appliquer aux instances en cours devant le juge de l’élection.
- Toutefois, à supposer même que ce projet de loi puisse avoir de telles conséquences, en tout état de cause, la modification ou l’abrogation ultérieure de la disposition contestée ne fait pas disparaître l’atteinte éventuelle aux droits et libertés que la Constitution garantit et n’ôte donc pas son effet utile à la question prioritaire de constitutionnalité. Les conclusions aux fins de non-lieu doivent donc être rejetées.
– Sur le fond :
. En ce qui concerne le premier alinéa du paragraphe I de l’article 19 :
– S’agissant du report du second tour des élections municipales :
- Selon le troisième alinéa de l’article 3 de la Constitution, le suffrage « est toujours universel, égal et secret ». Il en résulte le principe de sincérité du scrutin.
- L’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Il résulte de cette disposition et du troisième alinéa de l’article 3 de la Constitution le principe de l’égalité devant le suffrage.
- Le législateur, compétent en application de l’article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant le régime électoral des assemblées locales, peut, à ce titre, déterminer la durée du mandat des élus qui composent l’organe délibérant d’une collectivité territoriale. Toutefois, dans l’exercice de cette compétence, il doit se conformer aux principes constitutionnels, qui impliquent notamment que les électeurs soient appelés à exercer leur droit de suffrage, garanti par l’article 3 de la Constitution, selon une périodicité raisonnable.
- En application de l’article L. 227 du code électoral, le décret du 4 septembre 2019 mentionné ci-dessus a fixé au 15 mars 2020 la date du premier tour de scrutin des élections municipales. Conformément à l’article L. 56 du même code, selon lequel, en cas de deuxième tour de scrutin, il y est procédé le dimanche suivant le premier tour, l’article 6 du même décret a fixé la date du second tour au 22 mars 2020. En raison de l’épidémie de covid-19, le décret du 17 mars 2020 mentionné ci-dessus a abrogé cet article 6.
- Selon le premier alinéa du paragraphe I de l’article 19 de la loi du 23 mars 2020, en raison des circonstances exceptionnelles liées à l’épidémie de covid-19, le second tour des élections municipales initialement fixé au 22 mars 2020 aura lieu au plus tard en juin 2020, à condition que la situation sanitaire permette l’organisation des opérations électorales. Si cette condition n’était pas remplie, le troisième alinéa du même paragraphe I prévoit que les électeurs des communes dont le conseil municipal n’a pas été élu au complet à l’issue du premier tour seraient à nouveau convoqués pour les deux tours de scrutin, dans des conditions à définir par une nouvelle loi. Dans l’une et l’autre de ces hypothèses, en vertu du dernier alinéa du même paragraphe, l’élection régulière des conseillers municipaux élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 reste acquise.
- Ainsi, les dispositions contestées suspendent les opérations électorales postérieurement à la tenue du premier tour et reportent l’organisation du second tour. Si elles remettent en cause l’unité de déroulement des opérations électorales, elles permettent, contrairement à une annulation du premier tour, de préserver l’expression du suffrage lors de celui-ci. Toutefois, le législateur ne saurait, sans méconnaître les exigences résultant de l’article 3 de la Constitution, autoriser une telle modification du déroulement des opérations électorales qu’à la condition qu’elle soit justifiée par un motif impérieux d’intérêt général et que, par les modalités qu’il a retenues, il n’en résulte pas une méconnaissance du droit de suffrage, du principe de sincérité du scrutin ou de l’égalité devant le suffrage.
- D’une part, en adoptant les dispositions contestées, alors que le choix avait été fait, avant qu’il n’intervienne, de maintenir le premier tour de scrutin, le législateur a entendu éviter que la tenue du deuxième tour de scrutin initialement prévu le 22 mars 2020 et la campagne électorale qui devait le précéder ne contribuent à la propagation de l’épidémie de covid-19, dans un contexte sanitaire ayant donné lieu à des mesures de confinement de la population. Ces dispositions sont donc justifiées par un motif impérieux d’intérêt général.
- D’autre part, en premier lieu, le législateur a prévu que le second tour des élections municipales aurait lieu au plus tard au mois de juin 2020. Le délai maximal ainsi fixé pour la tenue du second tour était, lors de son adoption, adapté à la gravité de la situation sanitaire et à l’incertitude entourant l’évolution de l’épidémie.
- En deuxième lieu, le législateur a imposé au pouvoir réglementaire de fixer la date de ce second tour, par décret en conseil des ministres pris le 27 mai 2020 au plus tard. Il a subordonné cette fixation à la condition que la situation sanitaire le permette, compte tenu notamment de l’analyse du comité de scientifiques prévu à l’article L. 3131-19 du code de la santé publique.
- En troisième lieu, si les requérants et certains intervenants font valoir que, en raison de l’épidémie de covid-19, l’organisation du second tour avant la fin du mois de juin 2020 risque de nuire à la participation des électeurs, ce scrutin ne peut se tenir que si la situation sanitaire le permet. Dès lors, les dispositions contestées ne favorisent pas par elles-mêmes l’abstention. Il appartiendra, le cas échéant, au juge de l’élection, saisi d’un tel grief, d’apprécier si le niveau de l’abstention a pu ou non altérer, dans les circonstances de l’espèce, la sincérité du scrutin.
- En dernier lieu, plusieurs mesures d’adaptation du droit électoral contribuent à assurer, malgré le délai séparant les deux tours de scrutin, la continuité des opérations électorales, l’égalité entre les candidats au cours de la campagne et la sincérité du scrutin. En particulier, afin de préserver l’unité du corps électoral entre les deux tours, l’ordonnance du 1er avril 2020 mentionnée ci-dessus dispose que, sauf exceptions, le second tour du scrutin initialement fixé au 22 mars 2020 aura lieu à partir des listes électorales et des listes électorales complémentaires établies pour le premier tour.
- En outre, les 6 ° et 7 ° du paragraphe XII de l’article 19 de la loi du 23 mars 2020 permettent, par dérogation au code électoral, de majorer par décret les plafonds de dépenses électorales applicables et d’obtenir le remboursement d’une partie des dépenses de propagande ayant été engagées pour le second tour initialement prévu le 22 mars 2020. Ces dispositions concourent à garantir le respect de l’égalité entre les candidats au cours de la campagne électorale.
- Enfin, afin de préserver les possibilités de contester les résultats du premier tour en dépit de la suspension du scrutin, les électeurs ont pu, par dérogation au troisième alinéa de l’article L. 68 du code électoral, obtenir communication des listes d’émargement des bureaux de vote à compter de l’entrée en vigueur du décret de convocation pour le second tour et jusqu’à l’expiration du délai de recours contentieux.
- Il résulte de ce qui précède que le report du second tour des élections municipales au plus tard en juin 2020 ne méconnaît ni le droit de suffrage, ni le principe de sincérité du scrutin, ni celui d’égalité devant le suffrage.
– S’agissant des conséquences du report du second tour sur les mandats des conseillers municipaux et sur le contentieux de l’élection :
- D’une part, s’il résulte des dispositions contestées une différence de durée de mandat entre les conseillers municipaux élus dès le premier tour et ceux élus à l’issue du second tour organisé au plus tard en juin 2020, cette différence de traitement repose sur une différence de situation au regard de l’élection et répond directement à la volonté du législateur d’assurer la mise en œuvre des objectifs qu’il s’est fixés en reportant le second tour.
- D’autre part, pour les communes dans lesquelles un second tour est nécessaire, les dispositions contestées n’ont aucune incidence sur les éventuelles contestations devant le juge de l’élection des opérations électorales du premier tour. Elles ne portent donc pas d’atteinte à la séparation des pouvoirs et au droit à un recours juridictionnel effectif garantis par l’article 16 de la Déclaration de 1789.
- Il résulte de tout ce qui précède que le premier alinéa du paragraphe I de l’article 19 de la loi du 23 mars 2020 ne méconnaît ni le droit de suffrage, ni les principes de sincérité du scrutin et d’égalité devant le suffrage, ni les exigences de l’article 16 de la Déclaration de 1789. Cet alinéa, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
. En ce qui concerne le dernier alinéa du paragraphe I de l’article 19 :
- Le dernier alinéa du paragraphe I de l’article 19 de la loi du 23 mars 2020 se borne à préciser que ni le report du second tour au plus tard en juin 2020 ni l’éventuelle organisation de deux nouveaux tours de scrutin après cette date n’ont de conséquence sur les mandats régulièrement acquis dès le premier tour organisé le 15 mars 2020. Ces dispositions n’ont ainsi ni pour objet ni pour effet de valider rétroactivement les opérations électorales du premier tour ayant donné lieu à l’attribution de sièges. Dès lors, elles ne font pas obstacle à ce que ces opérations soient contestées devant le juge de l’élection.
- Dès lors, les griefs tirés de la méconnaissance des exigences de l’article 16 de la Déclaration de 1789 et des principes de sincérité du scrutin et d’égalité devant le suffrage doivent être écartés.
- Par conséquent, le dernier alinéa du paragraphe I de l’article 19 de la loi du 23 mars 2020, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. – Les premier et dernier alinéas du paragraphe I de l’article 19 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, dans sa rédaction initiale, sont conformes à la Constitution.
Article 2. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 17 juin 2020, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT. Rendu public le 17 juin 2020 .Rendu public le 17 juin 2020 .