Domaine public fluvial : pas d’exception d’illégalité entre la délimitation du domaine et celle des servitudes

L’illégalité éventuelle d’un acte de délimitation du domaine public fluvial ne fragilise pas, par exception d’illégalité, la légalité d’un acte délimitant ensuite, en aval, d’une servitude y afférente (en l’espèce une servitude de marchepied).

 

L’exception d’illégalité permet d’attaquer devant le juge administratif un acte d’application non pas au nom de ses vices propres, mais au nom de l’acte réglementaire (ou de la « décision d’espèce ») en application duquel cet acte d’application a été pris. C’est par exemple le fait de contester l’illégalité de la nomination d’un agent au nom de l’illégalité de l’acte de création de l’emploi sur lequel cet agent est nommé… ou de contester sa facture d’eau au nom de l’illégalité de la délibération tarifaire initiale.

N.B. : il est également possible de demander, à tout moment, à l’auteur de cet acte administratif réglementaire de l’abroger, c’est-à-dire d’y mettre fin pour l’avenir et, dans l’hypothèse d’un refus, de contester ce refus devant le juge. Mais d’une part cela ne s’appliquera pas alors aux décisions d’application intervenues entre temps et, d’autre part, cela est un autre sujet. De même cette notion n’est-elle pas à confondre avec elle des « opérations complexes ». 

Bref, l’exception d’illégalité applique aux actes administratifs (quand l’un est la matrice de l’autre, pour schématiser), l’enchaînement de dominos (ou de carrés de sucre), l’un faisant tomber l’autre.

Concrètement, il n’y a exception d’illégalité que si l’acte dont on soulève tel ou tel vice est un acte réglementaire ou une « décision d’espèce »… et l’illégalité d’un acte administratif, qu’il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée par voie d’exception (exception d’illégalité) à l’appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure que si cette dernière décision a été prise pour l’application du premier acte ou s’il en constitue la base légale.

Et encore le Conseil d’Etat a-t-il récemment raboté les possibilités de soulever de telles exceptions d’illégalité :

  • Conseil d’État, 18 mai 2018, n° 411045
  • Conseil d’État, 18 mai 2018, n° 411583

Voir : Le Conseil d’Etat rabote la possibilité de soulever une exception d’illégalité 

Voir aussi : Le Conseil d’État étend la jurisprudence Czabaj à l’exception d’illégalité d’une décision individuelle. 

Puis en ce domaine, une nouvelle étape a été franchie par un arrêt du Conseil d’État, n° 431255, à mentionner aux tables du recueil Lebon, lu le 24 février 2020 :

 

Voir ensuite :

 

C’est dans ce cadre que la CAA de Nantes vient de rendre une décision intéressante, au titre de laquelle l’illégalité éventuelle d’un acte de délimitation du domaine public ne fragilise pas, par exception d’illégalité, la légalité d’un acte délimitant ensuite, en aval, d’une servitude y afférente.

La Cour pose que l’acte par lequel l’autorité administrative compétente délimite le domaine public fluvial ne constitue pas la base légale de l’acte délimitant, en application de l’article L. 2131-4 du code général de la propriété des personnes publiques, l’emprise de la servitude de marchepied prévue par l’article L. 2131-2 du même code. Comme toujours, le juge y voit un acte purement déclaratif.

L’acte portant délimitation de cette emprise n’est pas davantage pris pour l’application de l’acte, purement recognitif, de délimitation des cours d’eau et lacs domaniaux (CE, Section, 11 juillet 2011, n° 320735, 320854, rec. p. 347).

Dès lors, est inopérant le moyen tiré de l’illégalité de l’arrêté portant délimitation du domaine public naturel fluvial invoqué à l’appui d’un recours dirigé contre l’acte fixant, en application de l’article L. 2131-4 du code général de la propriété des personnes publiques, la limite de l’emprise de la servitude de marchepied prévue par l’article L. 2131-2 du même code. 

 

Source : CAA Nantes, 15 janvier 2021, n° 18NT04365 :

http://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CAA/decision/2021-01-15/18NT04365