Litiges de travaux publics : la dureté du décret Jade ne s’applique pas aux créances nées de travaux publics, dirigées contre des personnes morales de droit privé non chargées de missions de service public administratif (SPA).
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Le décret JADE (n° 2016-1480 du 2 novembre 2016) fut une réforme importante du contentieux administratif. Voir :
- Réforme de la procédure contentieuse administrative au JO de ce matin. (décret JADE)
- Réforme de la procédure contentieuse administrative au JO de ce matin,
Ce décret a, entre autres petites révolutions, introduit à l’article R. 421-1 du Code de justice administrative (CJA) un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque la requête tend au paiement d’une somme d’argent, elle n’est recevable qu’après l’intervention de la décision prise par l’administration sur une demande préalablement formée devant elle ».
Les applications de cet article, dans un premier temps, ont été sévères. Voir :
- Désistement d’une partie qui n’a pas répondu à l’expiration du délai fixé : le juge confirme la dureté du décret Jade
- Décisions implicites et délais de recours en plein contentieux : le Conseil d’Etat précise le nouveau régime
- Pas de recours contentieux avant la décision de rejet sur la demande préalable
- Désistement d’une partie qui n’a pas répondu à l’expiration du délai fixé : le juge confirme la dureté du décret Jade
- Irrecevabilité pure et simple de conclusions indemnitaires dont la requête a été introduite avant l’obtention d’une décision de rejet de l’administration.
Mais le Conseil d’Etat a ensuite fait prévaloir une interprétation relativement souple de ce régime via son arrêt CE, 27 mars 2019, n° 426472, publié au rec., que nous avions commenté ici :
C’est dans ce cadre que la Haute Assemblée vient, de nouveau, de rendre un arrêt à publier au recueil Lebon à ce propos, non pas cette fois pour en préciser le régime, mais pour en borner les limites.
Plus précisément, le juge pose que ce régime de l’article R. 421-1 du CJA, en matière de créances de travaux publics, ne s’applique pas aux conclusions, relatives à une créance née de travaux publics, dirigées contre une personne privée non chargée d’une mission de SPA.
Il résulte de la modification apportée à cet article R. 421-1 du CJA que, depuis l’entrée en vigueur de ce décret le 1er janvier 2017, l’exigence résultant de cet article, tenant à la nécessité, pour saisir le juge administratif, de former recours dans les deux mois contre une décision préalable, est en principe applicable aux recours relatifs à une créance en matière de travaux publics.
Toutefois, si l’article R. 421-1 n’exclut pas qu’il s’applique à des décisions prises par des personnes privées, dès lors que ces décisions revêtent un caractère administratif, le juge note qu’aucune disposition législative ou réglementaire ni aucune règle générale de procédure ne détermine les effets du silence gardé sur une demande par une personne morale de droit privé qui n’est pas chargée d’une mission de service public administratif (SPA).
La Haute Assemblée en déduit que le délai de recours prévu à l’article R. 421-1 du CJA n’est pas applicable à un recours, relatif à une créance née de travaux publics, dirigé contre une personne morale de droit privé qui n’est pas chargée d’une mission de service public administratif (SPA). Par suite, il ne peut être opposé à l’auteur d’un tel recours aucun délai au-delà duquel il ne pourrait, devant la juridiction de première instance, régulariser sa requête au regard de l’article R. 411-1 du CJA ou formuler des conclusions présentant le caractère d’une demande nouvelle car reposant sur une cause juridique distincte de celle invoquée dans sa requête.
Source : CE, 27 avril 2021, n° 448467, publié au recueil Lebon