Financement, par les collectivités, de Notre-Dame de Paris : était-ce demander un miracle que de faire prévaloir le texte de la loi ?

Dans une affaire concernant le financement par les collectivités des travaux de restauration de Notre-Dame de Paris, le TA de Nîmes vient de refuser de faire un miracle. Il a estimé qu’un tel financement, contraire aux limites étroites de « l’interêt public local », ne pouvait être pratiqué avant qu’une loi, le 29 juillet 2019, ne l’autorise…. OUI mais était-ce vraiment demander un miracle au juge alors que la loi prévoit clairement une rétroactivité de ses dispositions pour le cas précis où se trouvait la collectivité ? Le miracle n’est-il pas plutôt d’avoir fait prévoir des débats parlementaires flous sur un texte législatif clair ? On y perd son latin, que celui-ci soit juridique ou d’Eglise. 

 


 

Lors de l’incendie de Notre-Dame de Paris, nombre de collectivités locales ont voulu apporter leur contribution à la restauration d’un édifice qui représente la France entière.

Sauf que le droit s’avère plus étroit que cela.

En effet, à la base, une collectivité ne peut agir que pour un intérêt public local.

Les compétences municipales se limitent à l’intérêt public local sans pouvoir s’étendre, sauf régime spécifique, légal, de coopération… aux affaires politiques nationales ou internationales.

Cf. le premier alinéa de l’article L. 2121‑29 du CGCT. A titre d’exemple, un jugement du T.A. de Lyon (30 mars 1989, Tête : Rec. p. 386) avait ainsi annulé une subvention départementale à un équipage concourant au rallye Paris‑Dakar, l’intérêt départemental n’étant pas selon le Tribunal établi (ni même allégué…). Sur la question de l’intérêt public local, se reporter à la Thèse de Madame le Professeur M.‑C. Rouault, L’intérêt communal, Lille II, 1986 (P.U.L., 1991).

Comme l’a rappelé le Conseil d’Etat précisément dans son avis sur le projet de texte qui allait conduire à la loi n° 2019-803 du 29 juillet 2019 pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris et instituant une souscription nationale à cet effet :

« Le financement par une collectivité territoriale de la restauration d’un site ou d’un monument ne se trouvant pas sur son territoire, dès lors qu’il ne répond pas à un intérêt public local, est illégal (CE, 16 juin 1997, Département de l’Oise, n° 170069, au Recueil). »

Source pour cet avis, voir : Le Palais-Royal se penche sur Notre-Dame 

Source pour cette loi, voir : Notre-Dame : la résurrection commence au JO de ce matin 

Cette auto-citation par le Conseil d’Etat est illustration car en l’espèce avait été censuré un financement du Conseil général (départemental) de l’Oise visant à « allouer une subvention de 150 000 F a pour objet la restauration du village de Colombey-les-Deux-Eglises situé en Haute-Marne » (dans un autre département donc).

L’intérêt public local d’une collectivité peine en effet à franchir (sauf dans quelques cas de « coopération décentralisée »… et encore) les frontières communales, même si la plupart des censures du juge venaient que ce que cela conduisait les collectivités à s’immiscer dans les relations internationales de la France (ce qui est une incompétence ratione loci  mais aussi ratione materiae) :

 

Ajoutons qu’en matière d’édifices cultuels ou de représentation patrimoniale, il arrive que les choses se compliquent. Voir :

NB et sur les subventions aux associations culturelles / cultuelles, voir : CE Ass., 19 juillet 2011, Commune de Trélazé, n° 308544 ; CE Ass., 19 juillet 2011, Fédération de la libre pensée et de l’action sociale du Rhône, n° 308817 ; CE Ass., 19 juillet 2011, Communauté urbaine du Mans – Le Mans Métropole, n° 309161 ; CE Ass., 19 juillet 2011, Commune de Montpellier, n° 313518).

 

 

DONC le TA de Nîmes en a tiré une conclusion :

  • NON UNE COLLECTIVITÉ (autre que la ville de Paris ou la région Ile-de-France, sans doute) TERRITORIALE n’avait pas d’intérêt public local à accorder une telle aide avant l’entrée en vigueur de cette loi (et donc avant le 30 juillet 2019, nous précise le TA. Nous pencherions quant à nous pour le 31 mais passons).
  • OUI COLLECTIVITÉ TERRITORIALE EN APPLICATION DE LA LOI NOUVELLE POUVAIT ‘(dès le 30 ou, mieux, dès le 31 juillet 2019, donc) délibérer (ou délibérer de nouveau) pour accorder une telle aide, et ce en toute légalité (sauf autre vice à étudier au cas par cas).

 

DONC une délibération antérieure à cette date est illégale… libre à la collectivité de délibérer de nouveau sur ce point, en toute légalité cette fois. Avant l’heure…

Dès lors, MM. C et D étaient bien, en l’espèce,  selon ce TA, fondés à demander au tribunal d’annuler la délibération du 24 avril 2019 du conseil municipal de la commune d’Avignon attribuant une subvention exceptionnelle de 100 000 euros à la « Fondation du patrimoine », pour la reconstruction de la cathédrale de Notre- Dame de Paris.

Nous ne nous interrogerons bien sûr pas sur les motivations des requérants, défenseurs de leur clocher plutôt que de celui de tous les français. Car nous deviendrions grossiers, ce qui ne sied pas à un lieu de culte.

NB : ces deux dernières phrases me vaudront d’inutiles polémiques sur Twitter… Oui je sais. Oui je sais. Mais les RS aiment à s’enflammer sur des cendres. 

 

Le TA refuse de faire un miracle… Mais était-ce un gros miracle qui lui était demandé ? NON CAR LA LOI AVAIT PRÉVU UNE FORME DE RÉTROACTIVITÉ.

Lisons une partie du texte de cette loi (les soulignements et mises en gras sont de nous) :

«  Article 1
Une souscription nationale est ouverte à compter du 16 avril 2019 pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Elle est placée sous la haute autorité du Président de la République française.
« Article 2
Les fonds recueillis au titre de la souscription nationale sont exclusivement destinés au financement des travaux de conservation et de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris et de son mobilier dont l’Etat est propriétaire ainsi qu’à la formation initiale et continue de professionnels disposant des compétences particulières qui seront requises pour ces travaux.
Les travaux de conservation et de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris financés au titre de la souscription nationale mentionnée au premier alinéa du présent article préservent l’intérêt historique, artistique et architectural du monument.
« Article 3
Le produit des dons et versements effectués depuis le 16 avril 2019, au titre de la souscription nationale, par les personnes physiques ou morales dont la résidence ou le siège se situe en France, dans un autre Etat membre de l’Union européenne ou dans un autre Etat étranger auprès du Trésor public, du Centre des monuments nationaux ainsi que des fondations reconnues d’utilité publique dénommées « Fondation de France », « Fondation du patrimoine » et « Fondation Notre Dame » est reversé à l’Etat ou à l’établissement public désigné pour assurer la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Les modalités de reversement peuvent faire l’objet de conventions prévoyant également une information des donateurs.»

 

Donc il y avait bien une rétroactivité on ne peut plus claire, y compris pour toutes les personnes morales françaises, pour divers bénéficiaires dont la fondation du patrimoine qui était le truchement de financement choisi en l’espace.

Alors quoi ?

Le juge ne l’a pas ignoré, mais il a rejeté cette rétroactivité claire (et qui eût été légale en un tel domaine, pour schématiser une question complexe en droit) au profit d’un renvoi (non détaillé.. comme toujours) aux débats parlementaires :

« 7. Il est exact que l’article 4 précité institue, indépendamment de tout intérêt public local, un fondement légal aux décisions des collectivités locales souhaitant faire un don pour la restauration et la conservation de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Toutefois, il résulte des dispositions de ladite loi du 29 juillet 2019, éclairées par les débats parlementaires concernant notamment ses articles 1 à 6, que le législateur n’a entendu instituer un tel fondement juridique qu’à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi, soit au 30 juillet 2019, excluant ainsi de lui conférer un caractère rétroactif permettant de régulariser les dons antérieurement consentis par les collectivités locales. Ainsi et à la date de délibération attaquée du 24 avril 2019, les dispositions de l’article 4 précité n’étaient pas applicables et ne sauraient régulariser l’absence d’intérêt public local.»

 

D’où trois interprétations possibles :

  • interprétation respectueuse de la chose jugée : les juges ont refusé de faire un miracle alors que c’eût été un tout petit, tout petit miracle
  • interprétation selon laquelle réellement les débats parlementaires nient toute rétroactivité (ce qu’ils ne font pas à notre sens) de la loi et en ce cas, cela confine à la moquerie anti-parlementaire tant en ce cas les débats dans les Chambres seraient contraires au texte produit par celles-ci. Nous sommes trop républicains, démocrates et légalistes pour oser même penser à une telle hypothèse.
  • interprétation d’une erreur de lecture glissant vers la moquerie envers les magistrats. Dans Notre-Dame de Paris, Victor Hugo s’est amusé à s’y essayer (voir ci-dessous). Mais jamais nous n’oserions nous aventurer à pareille infamie.
    Citons donc Notre-Dame de Paris :

 

Bref, face soit au miracle d’un texte de loi qui contredit ses débats parlementaires, soit à l’enfer de la pensée d’un juge qui aurait mal lu une loi, voici le commentateur désarmé, ne sachant à quelle foi se raccrocher.

Pour que chacun se fasse une religion, voici ce jugement :