Une personne qui a incité à la discrimination ou à la haine raciale, ou sexiste, ou religieuse, peut-elle devenir inéligible ? Dans quels cas ? Avec quelles conséquences ?

Mise à jour au 7/1/2022 voir :

Dans 10 jours, un jugement sera rendu concernant un candidat à la présidentielle. Cela peut-il changer son éligibilité ? 

 

 

 

Cette question vient de m’être posée. Tant qu’à faire d’avoir rédigé une réponse avec deux ou trois sources, je me permets de glisser ceci sur le présent blog. 

 

Une personne qui a incité à la discrimination ou à la haine raciale, ou sexiste, ou religieuse, peut-elle à ce titre devenir inéligible ?

Oui pour une durée de 5 ans au maximum. Cela est prévu par les articles 24 et suivants de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000877119/?isSuggest=true

Un maire a ainsi été condamné pour provocation à la haine envers les Roms (en regrettant notamment, après un incendie, que des secours aient été appelés trop tôt), avec une peine complémentaire d’inéligibilité pour une période d’une année, peine dont la proportionnalité a été validée par la Cour de cassation.

Cour_de_cassation_criminelle_chambre_criminelle_1_fevrier_2017_15-84-511_publie_au_bulletin

https://blog.landot-avocats.net/2017/02/16/provocation-a-la-haine-envers-les-roms-un-maire-condamne-a-un-an-dineligibilite/

En pareil cas, l’inéligibilité s’applique pour les élections à venir comme pour les mandats en cours (au contraire de certaines autres inéligibilités dans d’autres domaines).

Dès qu’il y a inéligibilité, les autorités de l’Etat (Préfets s’agissant des élus locaux) n’ont strictement aucune marge de manœuvre. Ils doivent « démissionner d’office » l’élu ainsi condamné.

Exemple : TA Guadeloupe, ord., 17 mai 2018, n°1800191

https://blog.landot-avocats.net/2018/05/23/un-elu-condamne-au-penal-doit-etre-demissionne-doffice-par-le-prefet/

 

Est-ce automatique ?

 Non une peine complémentaire de ce type n’est jamais automatique. C’est au juge, et à lui seul, d’en décider. Et le juge ne peut jamais le faire si un texte législatif n’a pas prévu cette peine complémentaire.

 

Mais quand quelqu’un est condamné au pénal, l’appel est suspensif. La personne condamnée qui a fait appel ne sera alors condamnée, ou pas, réellement qu’après l’appel. Donc en cas d’appel, l’inéligibilité se trouve-t-elle, également, repoussée tant que la Cour d’appel n’a pas statué ?

Par défaut oui. Si une personne est condamnée au pénal et qu’elle forme appel, l’exécution de la peine est repoussée au lendemain de la décision de la Cour d’Appel. Mais le juge de première instance, c’est-à-dire le tribunal correctionnel s’agissant d’un délit, peut décider de prononcer « l’exécution provisoire ». En ce cas, qu’il y ait appel ou non, la peine complémentaire d’inéligibilité peut s’appliquer  dès la condamnation, à la condition, donc, que le juge en ait expressément décidé ainsi.

Le Conseil d’Etat l’a encore rappelé le 3 octobre 2018 dans une affaire concernant un élu régional.

https://blog.landot-avocats.net/2018/10/15/si-un-jugement-penal-condamne-un-elu-a-lineligibilite-avec-execution-provisoire-cet-elu-perd-ses-mandats-meme-sil-fait-appel-au-penal/

 

Imaginons qu’en pareil cas la personne fasse appel au pénal. Et qu’elle gagne son appel. Mais qu’en raison de cette inéligibilité avec « exécution provisoire », entre temps, cette personne ait été  interdite d’élection. Voire privée de ses mandats en cours… il y a potentiellement une injustice car alors la personne a subi une sanction pénale alors qu’elle a été déclarée, certes après coup, innocente par la Cour d’appel au pénal ?

Oui et c’est déjà arrivé. Un élu polynésien s’est trouvé condamné par le tribunal correctionnel avec inéligibilité pour laquelle le juge avait décidé de l’exécution provisoire. Il fait appel mais entre temps il perd ses mandats. En appel, il est encore condamné mais, cette fois, sans peine complémentaire d’inéligibilité… mais trop tard, il a perdu ses mandats. Et c’est légalement qu’il a perdu ses mandats, a tranché le Conseil d’Etat en 2019.

CE, 20 décembre 2019, n° 432078

 https://blog.landot-avocats.net/2019/12/26/au-penal-un-elu-est-declare-ineligible-avec-execution-provisoire-il-est-demis-doffice-que-se-passe-t-il-ensuite-a-hauteur-dappel/