Les aides culturelles donnent nécessairement lieu à un contrôle juridictionnel restreint de l’opportunité des décisions prises. Mais ce « contrôle des motifs » est-il limité à celui de l’erreur manifeste d’appréciation ? OU à un contrôle plus limité encore ? A ces questions, le TA de Montpellier vient d’apporter une intéressante réponse, assumant nettement une absence de contrôle des motifs (hors la vérification de ce que les motifs ayant fondé la décision relèvent bien du règlement du concours, bien sûr).
I. Un contrôle des motifs à géométrie variable
Des générations d’étudiants en droit ont ânonné les divers types de contrôles des motifs opérées par le juge administratif.
Ce que l’on appelle souvent le « contrôle des motifs », pour reprendre l’expression usuelle forgée par le professeur Léon Michoud (voir ici) au début du XXe siècle (Etude sur le pouvoir discrétionnaire de l’administration, R.G.A, 1914, T. 3, p. 9 ; voir aussi R. Bonnard :«le pouvoir discrétionnaire des autorités administratives et le recours pour excès de pouvoir», RDP, 1923, p. 363 à 392) porte sur le contrôle de la pertinence même, en opportunité, d’une décision administrative (contrôle de proportionnalité en matière de police administrative ; de coût bilan -avantages en aménagement, de l’erreur manifeste d’appréciation [EMA] en cas de contrôle restreint…).
Bref, la compétence, les vices de forme ou de procédure, l’erreur de droit ou de fait, la violation directe de la loi, le détournement de pouvoir… constituent des contrôles juridictionnels très… très juridiques. Il y a une norme juridique. On vérifie que l’on a une application du droit conforme à la norme. Point.
Et le contrôle des motifs se rapproche plus du contrôle, plus ou moins approfondi, de la pertinence de cette action, de son opportunité.
En contrôle restreint, ce qui est censuré, alors, c’est l’erreur manifeste d’appréciation (EMA). Je vulgarise toujours cette notion en posant qu’une EMA, c’est une immense plantade dans la pertinence même de la solution administrative retenue. Une connerie qu’on en peut pas transformer en violation d’une règle de droit, mais que le juge censure quand même.
Toujours plus délicat, voire cursif, dans ses expressions, le Conseil d’Etat préfère y voir un cas où « l’administration s’est trompée grossièrement dans l’appréciation des faits qui ont motivé sa décision » (voir ici)... domaine où l’on a cependant quelques surprises (voir ici par exemple).
II. Un jugement penche pour l’auto-restriction maximale quant au contrôle des motifs
En matière de subventions culturelles, nul doute que le juge ne va pas se hasarder, sur le contrôle des motifs, à aller bien loin. Il n’est pas là, dans un domaine subjectif par nature plus que tout autre, pour substituer ses goûts et ses couleurs à ceux des élus…
On pencherait donc vers un contrôle restreint limité à la censure de l’EMA en ce domaine… au moins quelques décisions du Conseil d’Etat semblent aller en ce sens pour des aides ou des labellisations (voir par exemple CE, 14 mars 1990, n° 65114, mais cette espèce n’est pas totalement transposable aux aides culturelles classiques…).
SAUF que le TA de Montpellier, dans une décision intéressante rendue ce jour, va un peu plus loin. Il semble aller vers un cas d’absence de contrôle, pur et simple, lequel en ce domaine pourrait en effet tout à fait se défendre.
En l’espèce, ce TA rejette la demande, présentée par une société de production et sa présidente, tendant à annuler la décision portant refus de subvention au titre de l’aide à la création audiovisuelle votée par la région Occitanie en estimant qu’il ne revient pas au juge de contrôler l’appréciation portée par le comité de lecture sur le projet.
Une demande de subvention de 36 000 euros avait été demandée dans ce cadre, au titre du programme régional en faveur de la création audiovisuelle, pour un projet de court métrage de fiction.
Un refus a été opposé le 4 juin 2020. Le tribunal a été saisi le 15 octobre 2020 aux fins d’annuler cette décision de refus et de condamner la région Occitanie à verser la somme totale de 280 000 euros (!) en réparation des préjudices matériels et moraux résultant de l’illégalité de ce refus et des carences fautives de la région dans le traitement de cette demande de subvention.
Le tribunal, après avoir constaté la légalité de cette décision et l’absence de faute commise par la région Occitanie, rejette ce recours en précisant notamment.. donc le degré de contrôle du juge opéré sur ce type de subvention.
Après avoir vérifié que le refus n’était pas fondé sur un motif autre que ceux tirés de l’examen des mérites du projet des intéressées (certes), tels qu’ils ressortaient du dossier présenté, le tribunal a considéré qu’il n’appartient pas au juge administratif de contrôler l’appréciation portée sur ce dossier par la région après avis du comité de lecture :
Nous ne sommes donc plus là, en contrôle des motifs, à un contrôle restreint, mais à une quasi-absence de contrôle hors vérification de ce que les motifs évoqués sont les vrais , ceux du règlement de concours (sinon la censure eût été possible via d’autres moyens en fait : erreur de droit voire dans certains cas détournement de pouvoir).
Intéressant. « Des goûts et des couleurs, on ne discute pas » est une maxime ancienne. De là à l’ériger en règle de droit pour le calibrage d’un contrôle des motifs en matière d’aides culturelles, en lieu et place d’un contrôle de l’EMA, il n’y avait qu’un pas. Lequel semble, plutôt explicitement, franchi. Ce qui se défend.
Une telle formulation (« il n’appartient pas au juge administratif de contrôler l’appréciation portée […] ») n’est en rien nouvelle. Elle est usuelle en matière d’appréciation sur les notes données aux examens à des candidats, ce qui n’est pas sans lien avec les procédures de sélection par un Jury en matière culturelle (voir par exemple CE, 1 juillet 1987, 65324, mentionné aux tables du recueil Lebon ; CE, 26 septembre 2018, 405473…).
Et au moins dans une affaire, une telle formulation a été utilisée en matière d’autres sélections, en l’espèce pour un concours national d’aide à la création d’entreprises de technologies innovantes (TA Paris, 30 nov. 2011, n° 1100710).
Alors en ces domaines:
- contrôle de l’EMA ?
- OU quasi-absence de contrôle (sauf un contrôle de ce que les motifs utilisés sont bien ceux qui étaient annoncés dans le règlement du concours, ce qui n’est pas stricto sensu un contrôle des motifs au sens contentieux de l’expression) ?
Nul doute qu’un jour un bel arrêt marquera un point final à cette question. Nous ne l’avons pas encore trouvé.
En attendant, voici un intéressant jugement à lire :
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