Quand l’Etat peut-il, pour une manifestation sportive, récréative ou culturelle, imposer que ses forces de l’Ordre fassent service d’ordre ? Et si l’organisateur refuse, peut-on néanmoins le faire passer à la caisse ? Le Conseil d’Etat vient de répondre à ces questions. Avec des réponses simples : la protection peut s’imposer dans certains cas, avec un prix à payer même sans contrat.
L’article L. 211-11 du code de la sécurité intérieure (créé en 2012) prévoit le remboursement, par les organisateurs de manifestations sportives, récréatives ou culturelles, de certaines dépenses qui ont été supportées par les services de police ou de gendarmerie pour mettre en place, dans l’intérêt de ces personnes privées, des services d’ordre à l’occasion des manifestations qu’elles organisent.
Bref, si l’Etat doit déployer des forces de police ou de gendarmerie, alors autant qu’il les facture comme n’importe quel autre service de sécurité ou autres bandes de Hells Angels appelés à assurer la « sécu » d’un concert.
NB : oui je sais que ce ne sont pas, ou pas exactement, les mêmes missions. Je sais. Je sais…
Fin 2019, déjà, puis en 2021, le Conseil d’Etat avait validé l’interprétation faite par le Ministère de l’Intérieur, de ce dispositif tout en en précisant le régime.
Sources : Conseil d’État, 5ème – 6ème chambres réunies, 31/12/2019, 422679, Inédit au recueil Lebon puis CE, 16 mars 2021, n° 448010, à mentionner aux tables du recueil Lebon.
Ces dispositions, précise la Haute Assemblée : « n’ont, en tout état de cause, ni pour objet ni pour effet de soumettre les forces de police ou de gendarmerie exerçant de telles missions à l’autorité de ces personnes privées.»
Bon… là encore l’analogie tient avec les modes de sécurisation des concerts de rock. Les Hells angels, quand ils font de la sécurité… ne se placent parfois que très très théoriquement sous l’autorité des organisateurs privés de manifestations (voir ici pour les douloureux épisodes du Festival d’Altamont avec les Stones).
Puis vint récemment une nouvelle circulaire à ce sujet en date du 8 avril 2022 (NOR : INTD2208717J), et qui remplace (« met à jour ») la circulaire Collomb de 2018 :
- ConsulterPDF sur le site Légifrance- 11,3 Mo
- même chose depuis notre site (circ rbt frais FDO événements 2022)
Avec d’ailleurs des explications intéressantes sur ce qui est payant ou ne l’est pas :
Or, voici que sur ce point, le Conseil d’Etat vient de rendre une importante décision à publier en intégral au recueil Lebon.
Première question posée : l’Etat peut-il imposer ce régime ?
Réponse : OUI mais pour les seules manifestations sportives, récréatives ou culturelles à but lucratif. Le Conseil d’Etat rappelle que cet article L. 211-11 du CSI est relatif aux seuls services d’ordre qui, étant assurés dans l’intérêt de l’organisateur d’une manifestation, excèdent les besoins normaux de sécurité auxquels la collectivité est tenue de pourvoir dans l’intérêt général.
Et il déduit, logiquement, de la rédaction du premier alinéa de cet article que seuls les organisateurs de manifestations sportives, récréatives ou culturelles à but lucratif sont susceptibles de se voir imposer par l’autorité compétente de l’Etat la tenue d’un tel service d’ordre.
Reste que faute de contrat, se pose la question de l’applicabilité ou non de ce régime, puisque le CSI prévoit un conventionnement en ce domaine. Sauf à passer par des procédures indemnitaires via l’enrichissement sans cause (et encore)…
Et c’est là l’autre apport de cette nouvelle décision.
La Haute Assemblée pose qu’en revanche, il résulte du second alinéa que toute personne physique ou morale pour le compte de laquelle un tel service d’ordre est assuré par les services de police ou de gendarmerie est tenue de rembourser à l’Etat les dépenses correspondantes.
Et le Conseil d’Etat de poursuivre que si les articles 2 et 4 du décret n° 97-199 du 5 mars 1997 prévoient que, lorsque l’organisateur d’une manifestation décide d’avoir recours aux forces de police ou de gendarmerie pour assurer un service d’ordre, les modalités d’exécution techniques et financières de ce concours sont déterminées par convention, ils ne font pas obstacle à ce qu’en l’absence d’une telle convention, des prestations de service d’ordre exécutées en raison des nécessités du maintien de l’ordre public par les forces de police et de gendarmerie qui sont directement imputables à l’événement et qui vont au-delà des besoins normaux de sécurité auxquels la collectivité est tenue de pourvoir soient, en application de l’article L. 211-11 du CSI, mises à la charge de l’organisateur de la manifestation.
Bref, ce dernier passe à la caisse même sans l’avoir demandé si sans avoir conventionné.
Sur les modalités de calcul, voir CE, 16 mars 2021, n° 448010, à mentionner aux tables du recueil Lebon, précité.
Source : Conseil d’État, 11 mai 2022, n° 449370, à publier au recueil Lebon

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