Droit à l’éducation des enfants en situation de handicap : un arrêt très important a été rendu par le Conseil d’Etat

L’Etat a bien la responsabilité de garantir le droit à l’éducation pour les enfants en situation de handicap.

Voir déjà CE 8 avril 2009, n° 311434, selon lequel :

« il incombe à l’Etat, au titre de sa mission d’organisation générale du service public de l’éducation, de prendre l’ensemble des mesures et de mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour que ce droit et cette obligation aient, pour les enfants handicapés, un caractère effectif ; […] la carence de l’Etat est constitutive d’une faute de nature à engager sa responsabilité, sans que l’administration puisse utilement se prévaloir de l’insuffisance des structures d’accueil existantes ou du fait que des allocations compensatoires sont allouées aux parents d’enfants handicapés, celles-ci n’ayant pas un tel objet ;.»

Voir aussi CE, 8 novembre 2019, n° 412440 (voir ici notre article) ; voire dans une moindre mesure et à titre principal sur un autre sujet : CE, 20 novembre 2020, n° 422248

Or, en ce domaine, le Conseil d’Etat vient de rendre une importante décision, à publier en intégral au recueil Lebon, portant sur la responsabilité pour faute de l’Etat lorsque celui-ci manque à son obligation de mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour assurer l’effectivité du droit à l’éducation et obligation scolaire pour les enfants en situation de handicap, et ce sans pouvoir s’abriter derrière l’insuffisance des moyens par lui-même dévolus aux ESMS (avec bien sur possible prise en compte de la faute de la victime et possibles actions récursoires). 

La Haute Assemblée :

  • rappelle l’existence de ces droits (art. L. 111-1, L. 111-2, L. 112-1, L. 112-2, L. 351-1 et L. 351-2 du code de l’éducation) pour tous, quelles que soient les différences de situation
  • pose qu’en conséquence les difficultés particulières que rencontrent les enfants en situation de handicap ne sauraient avoir pour effet ni de les priver de ce droit, ni de faire obstacle au respect de cette obligation.
  • confirme donc qu’il incombe à l’Etat, au titre de sa mission d’organisation générale du service public de l’éducation, et, le cas échéant, de ses responsabilités à l’égard des établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS), de prendre l’ensemble des mesures et de mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour que ce droit et cette obligation aient, pour les enfants en situation de handicap, un caractère effectif.
    Ce principe n’est pas nouveau mais le juge est plus précis sur l’obligation pesant alors sur l’Etat au regard de ce principe dans ses relations avec les ESMS, ce qui est déterminant puisque c’est faute de place dans nombre de ceux-ci que le système bloque, voire parfois débloque (on le voit, la formulation de l’arrêt 311434 précité allait déjà en ce sens, mais de manière plus cursive) .
  • en déduit (ce qui est plutôt confirmatif mais avec la prise en compte des relations avec les ESMS cela change tout…), que la carence de l’Etat à assurer effectivement le droit à l’éducation des enfants soumis à l’obligation scolaire est constitutive d’une faute de nature à engager sa responsabilité.
  • en revient ensuite à un mode d’emploi non surprenant en aval de cette responsabilité avec :
    • le fait que la responsabilité de l’Etat doit toutefois être appréciée en tenant compte, s’il y a lieu, du comportement des responsables légaux de l’enfant, lequel est susceptible de l’exonérer, en tout ou partie, de sa responsabilité (classique et logique).
    • une possibilité ensuite pour l’Etat d’engager une action récursoire contre un établissement social et médico-social auquel serait imputable une faute de nature à engager sa responsabilité à raison du refus d’accueillir un enfant orienté par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (là encore classique et normal, et on pourrait même ajouter qu’une telle action récursoire est possible contre toute personne ayant été partiellement la cause du préjudice primo-indemnisé par l’Etat… mais c’est central et le juge le pose ici très clairement dans son principe puis en l’espèce).

 

En l’espèce, les parents d’un enfant atteint de troubles cognitifs et psychomoteurs et dont le handicap avait été évalué par la MDPH à 80 %, ont saisi le TA d’une demande tendant à ce que l’Etat soit condamné à les indemniser tant de leurs préjudices propres que des préjudices subis par leurs enfants à raison du défaut de scolarisation de cet enfant entre 2011 et 2013.

  • par différentes décisions entre 2007 et 2012, la CDAPH dépendant de la MDPH a décidé de l’orientation de cet enfant tantôt en milieu scolaire ordinaire, tantôt en centres d’éducation motrice.
  • cet enfant a été scolarisé, à compter de la rentrée scolaire 2005-2006, d’abord en institut médico-pédagogique (IMP), puis en milieu scolaire ordinaire, avec auxiliaire de vie scolaire, puis en classes pour l’inclusion scolaire (CLIS), enfin en unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS).
  • compte tenu de l’inadaptation de ces orientations à la situation de l’enfant, la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées a décidé en 2011, de l’orienter vers deux établissements pour déficients moteurs (centres d’éducation motrice ; CEM).
    La commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) de ce département avait orienté cet enfant vers plusieurs ESMS, mais qu’ils n’avaient pris contact qu’avec certains d’entre eux.
  • un de ces deux CEM a fini par accueillir cet enfant en 2013 (après un refus définitif de l’un, et temporaire de celui qui a fini par accepter), alors qu’entre temps, à neuf reprises, les parents avaient fait divers signalements sur l’urgence qu’il y avait à traiter du cas de leur enfant… lequel au total n’a bénéficié d’aucun mode de scolarisation entre septembre 2011 et janvier 2013

En dépit de cet historique, la CAA a avait estimé que les dommages invoqués trouvaient leur cause exclusive dans le comportement des parents de cet enfant  (!?) : le Conseil d’Etat censure cette interprétation en posant que la cour a inexactement qualifié les faits de l’espèce qui lui étaient soumis.

 

Puis le Conseil d’Etat règle directement l’affaire au fond sans la renvoyer, en posant :

  • qu’un tel défaut de scolarisation est constitutif d’une carence fautive de l’Etat, de nature à engager sa responsabilité.
  • que, oui en l’espèce, les parents n’ont « pas immédiatement contacté, après chacune des décisions de la CDAPH, l’ensemble des structures vers lesquelles celle-ci avait orienté leur enfant » et qu’ils ont saisi ces établissements les uns après les autres de ces « établissements désignés par la commission à titre préférentiel » tout en alertant et saisissant régulièrement les divers intervenants au dossier. Dans ces conditions, le Conseil d’Etat pose que le comportement de ces parents « n’est pas de nature à exonérer l’Etat de sa responsabilité».
  • que l’indemnisation peut être fixée à 12 000 euros (+ deux fois 5 000 euros + 2 500 euros par enfant de la fratrie), soit 27 000 euros au total.
  • précisons que la question de savoir s’il y aura ou non action récursoire de l’Etat ensuite contre un ou des ESMS ou autres n’est pas évoquée à ce stade, et c’est normal puisque c’est à l’Etat ensuite d’engager une telle action par ricochet (mais en l’espèce les faits tels que narrés par le juge administratif ne vont a priori pas en ce sens).

 

Source : Conseil d’État, 19 juillet 2022, n° 428311, à publier au recueil Lebon