Instruction dans la famille : le Conseil d’Etat fait, de l’Education Nationale, un pater familias aux larges pouvoirs

Dans un cadre juridique qui ne cesse de se durcir (I), et au lendemain d’intéressantes décisions du TA de Rennes (II), voici que le Conseil d’Etat vient de rendre une série d’importants arrêts sur « l’instruction dans la famille » (dite aussi encore parfois « à domicile »). 

Les clarifications opérées par le Conseil d’Etat par ses décisions du 13 décembre 2022 (III) sont nombreuses, en matière de procédure (qui est validée à un détail près qui en réalité a déjà été corrigé— III.A.). Surtout, il confère un large pouvoir d’appréciation à l’administration que la demande se porte sur « l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif » (III.B.) ou sur l’état de santé de l’enfant (III.C.).

 

I. Un cadre juridique qui ne cesse de se durcir

 

L’instruction à domicile (« dans la famille ») avait été déjà restreinte drastiquement par la loi Blanquer et ses décrets d’application (notamment le n° 2019-823 du 2 août 2019) :

N.B. : pour une affaire intéressante mais en l’état d’un cadre juridique aujourd’hui modifié, voir TA Nice, 4 décembre 2018, n° 1602811 et TA Nice, 16 juillet 2016, n° 1602810. 

Le principe de contrôles inopinés (ceux du décret n° 2019-823 du 2 août 2019) fut validé par le Conseil d’Etat (CE, 2 avril 2021, n° 435002 ; voir précédemment CE, 19 juillet 2017, n° 406150).

Puis la loi « séparatisme » (n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République  ; RPR) a durci le régime (passage à un régime d’autorisation) :

 

Aujourd’hui (art. L. 131-5 du Code de l’éducation) la demande de scolarisation dans la famille (scolarisation à domicile) doit reposer sur au moins un des motifs suivants :

« 1° L’état de santé de l’enfant ou son handicap ;
« 2° La pratique d’activités sportives ou artistiques intensives ;
« 
3° L’itinérance de la famille en France ou l’éloignement géographique de tout établissement scolaire public ;
« 
4° L’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de la capacité de la ou des personnes chargées d’instruire l’enfant à assurer l’instruction en famille dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant. Dans ce cas, la demande d’autorisation comporte une présentation écrite du projet éducatif, l’engagement d’assurer cette instruction majoritairement en langue française ainsi que les pièces justifiant de la capacité à assurer l’instruction en famille.»

Ce sont évidemment les items 4° et, dans une moindre mesure, 1° de cette liste qui cristallisent les tensions.

Dans la foulée de ce régime devenu très dur, furent adoptés les décrets n° 2022-183 et n° 2022-184 du 15 février 2022 :

Le décret n° 2022-183 a du être corrigé par le décret n° 2022-849 du 2 juin 2022 à la suite d’une censure par le Conseil d’Etat (CE, ord., 16 mai 2022, n° 463123), conduisant à une nouvelle version de l’article D. 131-11-10 du code de l’éducation.

Au milieu de cette trame sévère, existent quelques points pouvant conduire à une valorisation de cette instruction dans les familles. Par exemple, tel est le cas de l’article L. 131-10-1 du Code de l’éducation, créé par l’article 49, V, de la loi n°2021-1109 du 24 août 2021 prévoyant une sorte de validation des acquis de l’expérience via ces instructions pour les parents – enseignants (décret n° 2022-1221 du 9 septembre 2022).

Un des problèmes de ce régime ainsi renforcé est que les contrôles inopinés des familles donnent lieu sur le terrain (notre cabinet l’a vécu pour certains clients) à très peu de contradictoire et que les familles se trouvent très vite en faute, avec une forte pression y compris pénale…

 

II. Les enseignements des décisions du TA de Rennes en date du 10 octobre 2022

 

Dans ce domaine, le TA de Rennes, par exemple, avait rendu une intéressante série de décisions dont il ressortait que :

  • pour le 1er contrôle pédagogique, un très bref délai de prévenance ne rend pas la procédure illégale (en l’espèce prévenir le vendredi pour le mardi) alors même que la visite avait été demandée par la famille. C’est conforme aux dispositions du code de l’éducation (art. R. 131-12 à R. 131-16-4 du code de l’éducation) puisqu’un tel contrôle peut même être inopiné (avec un régime spécial alors en cas de difficulté).
  • le contrôle doit se limiter au dossier et aux entretiens (ce qui déjà laisse une marge de manoeuvre considérable à l’Etat)
  • le contrôle ne peut porter que sur les points suivants :
    • le projet éducatif comporte-t-il les éléments essentiels de l’enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d’apprentissage de l’enfant ?
    • la personne chargée d’instruire l’enfant dispose-t-elle des capacités requises ?
  • dans une de ces affaires, le rectorat avait cru pouvoir dire que les parents devaient justifier d’un « projet particulier dérogatoire à ceux que peuvent proposer les établissements d’enseignement publics ou privés », d’une part, et d’une « situation propre à leur enfant » (voire à chaque enfant), d’autre part. Ce qui revenait à rendre illégale la décision ainsi prise par l’administration, laquelle ne pouvait légalement ainsi ajouter des critères en sus de ceux posés par le législateur puis par le pouvoir réglementaire.
  • sur le contrôle de la pertinence de la décision (contrôle des motifs, pour reprendre l’expression canonique du professeur Michoud), les éléments susmentionnés au point 6 eussent conduit à une censure de la décision de l’Académie de Rennes pour erreur manifeste d’appréciation :
    • « 7. Au surplus, le recteur de l’académie de Rennes ne saurait, sans commettre une erreur manifeste d’appréciation, soutenir que la demande d’autorisation des requérants était insuffisante en ce que le projet éducatif présenté n’était pas suffisamment personnalisé. Au demeurant, en l’absence de toute motivation de la décision initiale du 27 juin 2022 par laquelle le recteur a refusé l’autorisation d’instruction en famille sollicitée, les requérants n’ont pas été mis en mesure d’exercer utilement leur recours administratif préalable en apportant auprès de la commission académique les précisions éventuelles nécessaires quant à la consistance de leur projet pédagogique, tel qu’ils le développent dans le cadre de la présente instance, notamment par une inscription à un cours par correspondance.»

Citons sur ce point un intéressant extrait du résumé fait par ledit TA de Rennes lui-même, communiquant alors sur une de ces affaires :

« La prise en compte dans ce régime de « situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif », a été, dès avant la promulgation de la loi, orientée par le Conseil constitutionnel qui dans sa décision du 13 août 2021, avait pris soin de préciser que le but à rechercher par l’autorité administrative était seulement de s’assurer que le projet d’instruction en famille comporte les éléments essentiels de l’enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d’apprentissage de l’enfant, ces critères s’imposant aussi au pouvoir réglementaire pour déterminer les modalités de délivrance de l’autorisation d’instruction en famille. Les articles R.131-11-1 et suivants du code de l’éducation ont énuméré les éléments du dossier à constituer par les parents à l’appui de leur demande de dérogation pour l’instruction à domicile de leur(s) enfant(s) en particulier la présentation de leur projet éducatif et tous les justificatifs de leurs capacités à assurer une telle instruction.

« Les autorités académiques compétentes lorsqu’elles sont saisies d’une demande de dérogation fondée sur cette disposition n’ont pas à formuler d’autres exigences que celles-ci et n’ont donc à porter leur contrôle ni sur l’existence d’une situation propre à l’enfant, celle-ci étant nécessairement présumée par la présentation de la demande de dérogation assortie d’un projet pédagogique, ni sur la cohérence, a priori, de ce projet avec les spécificités du profil de l’enfant, ce contrôle ne pouvant être exercé que dans le cadre des vérifications de niveaux opérées a posteriori par les services de l’inspection académique.»

Voici ces décisions : TA Rennes, 10 octobre 2022, n°2204094 TA Rennes, 10 octobre 2022, n°2204234,2204236 ; TA Rennes, 10 octobre 2022, n°2203669. Voir nos deux articles publiés alors :

 

 

III. Les clarifications opérées par le Conseil d’Etat par ses décisions du 13 décembre 2022

 

Le 13 décembre 2022, le Conseil d’Etat a rendu toute une série de décisions importantes en ce domaine de l’instruction d’un enfant dans la famille (instruction dite parfois à domicile).

Il est à rappeler (voir ci-avant « I ») qu’aux termes de l’article L. 131-5 du Code de l’éducation, la demande de scolarisation dans la famille (scolarisation à domicile) doit reposer sur au moins un des motifs suivants :

« 1° L’état de santé de l’enfant ou son handicap ;
« 2° La pratique d’activités sportives ou artistiques intensives ;
« 3° L’itinérance de la famille en France ou l’éloignement géographique de tout établissement scolaire public ;
« 4° L’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de la capacité de la ou des personnes chargées d’instruire l’enfant à assurer l’instruction en famille dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant. Dans ce cas, la demande d’autorisation comporte une présentation écrite du projet éducatif, l’engagement d’assurer cette instruction majoritairement en langue française ainsi que les pièces justifiant de la capacité à assurer l’instruction en famille.»

Le Conseil d’Etat donne un mode d’emploi, qui n’est globalement pas défavorable à l’administration, sur ces items, notamment le 4°.

 

 

III.A. Une annulation très limitée sur la procédure (juste une confirmation d’une censure déjà opérée en référé et déjà corrigée par le pouvoir réglementaire)

 

Les modalités de dépôt du dossier (entre le 1er mars et le 31 mai précédant l’année scolaire) s’en – également validées (idem pour ce qui est de l’avis du directeur d’établissement sur le projet d’instruction en famille (art. R. 131-11-7 du code de l’éducation) dans la décision portant sur les affaires jointes 462274, 63175, 63177, 63210, 63212, 63320, 66467 et 68228.

La censure du Conseil d’Etat se limite à l’annulation de l’article D. 131-11-10 du code de l’éducation, dans sa rédaction issue du décret n° 2022-183 du 15 février 2022, en tant qu’il fixe à huit jours le délai à compter de la notification écrite de la décision de refus d’autorisation d’instruction dans la famille pour saisir la commission devant laquelle sont formés les recours administratifs préalables obligatoires contre cette décision, est annulé :

« 33. En premier lieu, l’obligation faite à l’article D. 131-11-10, dans sa rédaction issue du décret n° 2022-183 du 15 février 2022, aux responsables légaux d’un enfant qui entendent contester la décision de refus d’autorisation dans la famille qui leur est opposée de former, dans un délai de huit jours, un recours administratif devant la commission précitée, à peine d’irrecevabilité de leur recours pour excès de pouvoir contre cette décision, méconnaît leur droit à un recours effectif, eu égard à la brièveté du délai leur étant laissé pour former un tel recours administratif préalable obligatoire, sans que cette brièveté n’apparaisse, en l’espèce, comme justifiée par les contraintes de la procédure en cause, alors que, par ailleurs, la commission dispose d’un délai d’un mois pour se prononcer sur leur recours et d’un délai de cinq jours pour leur notifier sa décision. par suite, l’article D. 131-11-10 du code de l’éducation, dans sa rédaction issue du décret n° 2022-183 du 15 février 2022, doit être annulé en tant qu’il fixe à huit jours le délai à compter de la notification écrite de la décision de refus d’autorisation d’instruction dans la famille pour saisir la commission.»

La belle affaire… puisque le décret n° 2022-183 a déjà été corrigé par le décret n° 2022-849 du 2 juin 2022 à la suite d’une censure par le Conseil d’Etat (CE, ord., 16 mai 2022, n° 463123), conduisant déjà à une nouvelle version de l’article D. 131-11-10 du code de l’éducation.

 

 

III.B. Sur l’item 4° (« L’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif »), le Conseil d’Etat donne un large pouvoir d’appréciation sur le projet éducatif et la capacité à assurer l’instruction en famille »

 

Dans une première affaire n° 467550, le Conseil d’Etat a traité du même sujet que celui abordé par le TA de Rennes, à savoir les éléments contrôlés par l’administration, notamment s’agissant :

  • du projet éducatif comportant les éléments essentiels de l’enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités de l’enfant
  • des demandes justifiant la capacité des personnes chargées de son instruction.

 

Pour la mise en oeuvre des articles L. 131-2 et L. 131-5 du code de l’éducation dans leur rédaction issue de l’article 49 de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021, dont il résulte que les enfants soumis à l’obligation scolaire sont, en principe, instruits dans un établissement ou école d’enseignement, la Haute Assemblée pose qu’il appartient à l’autorité administrative, lorsqu’elle est saisie d’une demande tendant à ce que l’instruction d’un enfant dans la famille soit, à titre dérogatoire, autorisée :

  • de rechercher, au vu de la situation de cet enfant, quels sont les avantages et les inconvénients pour lui de son instruction, d’une part dans un établissement ou école d’enseignement,
  • d’autre part, dans la famille selon les modalités exposées par la demande

… et, à l’issue de cet examen, de retenir la forme d’instruction la plus conforme à son intérêt.

Autrement dit, le Conseil d’Etat prolonge le texte même de la loi en plaçant l’administration en charge de fixer ce que doit être la décision in concreto. 

Cela conduit le juge administratif, au nom de la décision du Conseil constitutionnel n° 2021-823 DC en date du 13 août 2021  (mais sans doute en allant au delà du texte même produit par les sages de la rue Montpensier…) à poser (pour citer le futur résumé des tables) que l’administration contrôle trois points :

  1. contrôle de ce que cette demande expose de manière étayée la situation propre à cet enfant motivant, dans son intérêt, le projet d’instruction dans la famille
  2. justification de ce que projet éducatif comporte les éléments essentiels de l’enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d’apprentissage de cet enfant
  3. capacité des personnes chargées de l’instruction de l’enfant à lui permettre d’acquérir le socle commun de connaissances, de compétences et de culture défini à l’article L. 122-1-1 du code de l’éducation au regard des objectifs de connaissances et de compétences attendues à la fin de chaque cycle d’enseignement de la scolarité obligatoire.

 

Ce contrôle in concreto se fait via le projet pédagogique et à l’aune uniquement de l’intérêt de l’enfant.

En l’espèce, les requérants avaient demandé à l’inspecteur académique d’instruire en famille leur fils âgé de 3 ans. Le projet pédagogique ne portait pas tant sur l’intérêt de l’enfant que sur le fait que l’ainée de la fratrie bénéficiait de l’instruction en famille de plein droit.

Le TA de Toulouse avait censuré en référé le refus de l’administration au motif que, pour citer les conclusions « les parents présentaient un projet pédagogique et que leur capacité d’instruire n’était pas en causes

Une telle formulation ne pouvait qu’être censurée puisque manquait une des trois conditions précitée du 4° de cet article L. 131-5 du Code de l’éducation, à savoir le critère du « contrôle de ce que cette demande expose de manière étayée la situation propre à cet enfant motivant, dans son intérêt, le projet d’instruction dans la famille ». Ceci dit, avant de jeter le blâme sur le juge de première instance, il faudrait voir si la référence au projet pédagogique ne se voulait pas recouvrir également ce critère. 

Mais plus encore, le Conseil d’Etat pose que le projet pédagogique, là encore pour citer les conclusions du Rapporteur public, réponse « à la situation propre de leur enfant, telle qu’ils en justifient pour motiver le projet pédagogique »…. ce qui est conforme, sinon au texte de la loi, à tout le moins aux débats parlementaires mais qui pourrait être considéré comme un peu plus éloigné de la position précitée du Conseil constitutionnel… Surtoutcette position du Conseil d’Etat donne à l’administration un pouvoir considérable. Et quand on sait la réticence de principe de l’Education nationale contre l’éducation dans les familles… laquelle reflète bien des motifs, dont certains inquiétants, mais qui souvent répond à des adaptations à des enfances difficiles peu adaptées au monde de l’éducation nationale, ce que cette dernière peine beaucoup à comprendre (sauf reconnaissance de situation de handicap ou de situation médicale très spécifique, car là on change d’item dans la loi). 

Une autre décision du Conseil d’Etat (affaires jointes 462274, 63175, 63177, 63210, 63212, 63320, 66467 et 68228) portait sur la légalité du décret n° 2022-182 du 15 février 2022, précité et porte là encore quelques apports sur cette question du projet éducatif de l’item 4° de l’article L. 131-5 du code de l’éducation.

Etait-il légal que dans l’article R. 131-11-5 du même code, le pouvoir réglementaire applique l’article L. 131-5 précité en imposant, à celui qui présente un projet éducatif « précisant la méthode pédagogique envisagée et la capacité de la personne chargée d’instruire l’enfant », avec sur ce dernier point la production « du baccalauréat de cette personne ». Sans surprise, le Conseil d’Etat a validé ces exigences ainsi fixées par le pouvoir règlementaire.

Voici sur ce point le futur résumé des tables tel que préfiguré par celui de la base Ariane :

« L’article L. 131-5 du code de l’éducation, tel qu’interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2021-823 DC du 13 août 2021, en prévoyant la délivrance par l’administration, à titre dérogatoire, d’une autorisation pour dispenser l’instruction dans la famille en raison de « l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif » implique que l’autorité administrative, saisie d’une telle demande, contrôle que cette demande expose de manière étayée la situation propre à cet enfant, motivant, dans son intérêt, le projet d’instruction dans la famille et qu’il est justifié, d’une part, que le projet éducatif comporte les éléments essentiels de l’enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d’apprentissage de cet enfant, d’autre part, de la capacité des personnes chargées de l’instruction de l’enfant à lui permettre d’acquérir le socle commun de connaissances, de compétences et de culture défini à l’article L. 122-1-1 du code de l’éducation au regard des objectifs de connaissances et de compétences attendues à la fin de chaque cycle d’enseignement de la scolarité obligatoire. 1) a) Ainsi que l’a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision précitée, en prévoyant que l’autorisation d’instruction dans la famille est accordée en raison de « l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif », le législateur a entendu que l’autorité administrative s’assure que le projet d’instruction dans la famille comporte les éléments essentiels de l’enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d’apprentissage de l’enfant. Le pouvoir réglementaire a ainsi pu légalement prévoir, pour l’application de l’article L. 131-5 du code de l’éducation, que la présentation écrite du projet éducatif comporterait notamment des éléments sur la démarche et les méthodes pédagogiques mises en oeuvre et sur l’organisation du temps de l’enfant. Par suite, l’article R. 131-11-5 du code de l’éducation ne méconnait pas la liberté pédagogique et ne crée pas une discrimination illégale. b) Le législateur a prévu que la demande justifie de la capacité de la ou des personnes chargées d’instruire l’enfant à assurer l’instruction en famille. L’article R. 131-11-5 du code de l’éducation met en oeuvre cette exigence en prévoyant que la demande comporte toutes pièces utiles justifiant de la disponibilité de cette personne, l’autorité compétente portant, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, l’appréciation qui lui revient sur la valeur probante des pièces produites. c) Ainsi que l’a jugé le Conseil constitutionnel, il appartenait au pouvoir réglementaire de déterminer les modalités de délivrance de l’autorisation d’instruction dans la famille afin que l’autorité administrative s’assure que la personne chargée de l’instruction de l’enfant est en mesure de permettre à l’enfant d’acquérir le socle commun de connaissances, de compétences et de culture défini à l’article L. 122-1-1 du code de l’éducation au regard des objectifs de connaissances et de compétences attendues à la fin de chaque cycle d’enseignement de la scolarité obligatoire et que ses décisions soient fondées sur des critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit. La nécessité de produire une copie du diplôme du baccalauréat ou de son équivalent à l’appui d’une demande d’autorisation de l’instruction dans la famille est de nature à établir que la personne chargée de l’instruction de l’enfant est effectivement en mesure de lui permettre d’acquérir ce socle commun et à éviter tout risque de discrimination dans l’examen des demandes d’autorisation. En outre, dès lors que l’article L. 131-5 du code de l’éducation ne subordonne pas les demandes d’autorisation d’instruction dans la famille fondées sur d’autres motifs à la vérification de la capacité des personnes chargées d’instruire l’enfant à assurer l’instruction en famille, le pouvoir règlementaire a pu légalement prévoir, à l’article R. 131-11-5 du code de l’éducation, que le respect de cette exigence ne s’applique qu’aux demandes formulées pour le motif tiré de l’existence d’une situation propre à l’enfant. Par suite, les dispositions imposant de produire une copie du diplôme du baccalauréat ou de son équivalent de la personne chargée d’instruire l’enfant ne relèvent pas du domaine de la loi et ne créent pas une discrimination illégale entre les enfants et les familles. Ces dispositions ne méconnaissent pas non plus le principe d’égalité entre les personnes qui ont le baccalauréat et les personnes disposant d’un titre ou diplôme étranger que le directeur académique des services de l’éducation nationale peut autoriser à assurer l’instruction en famille si ce titre ou diplôme étranger est comparable à un diplôme de niveau 4 du cadre national des certifications professionnelles, la différence de traitement invoquée résultant de situations différentes. »

Source : l’extraordinaire série « le prisonnier » de s 60′ s bien sûr ! Image tirée plus précisément de https://www.teepublic.com/fr/t-shirt/2051499-i-am-not-a-number-i-am-a-free-man

 

 

III.C. Sur l’item 1° (état de santé ; handicap), le Conseil d’Etat donne là encore un large pouvoir d’appréciation à l’administration

 

Dans l’affaire n° 466623, la Haute Assemblée pose qu’il résulte de l’article R. 131-11-2 du code de l’éducation, dans sa rédaction issue du décret n° 2022-182 du 15 février 2022, qu’il appartient à l’autorité administrative, régulièrement saisie d’une demande en ce sens, d’autoriser l’instruction d’un enfant dans sa famille :

  • lorsqu’il est établi que son état de santé rend impossible sa scolarisation dans un établissement d’enseignement public ou privé
    (ce qui sera rarement le cas)
  • ou lorsque l’instruction dans sa famille est, en raison de cet état de santé, la plus conforme à son intérêt
    (ce qui sera plus souvent le cas mais avec une formulation qui offre une large marge de manoeuvre, là encore, à l’administration).

L’affaire elle-même est intéressante.

M et Mme H… ont demandé l’autorisation d’instruire en famille leur fils, âgé de  
11 ans, lequel est affecté par des troubles neuro-développementaux.
Par une ordonnance du 28 juillet 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Dijon a suspendu la décision de refus de l’Etat au motif que les troubles du développement dont souffre l’enfant entravent sa scolarité :
« Si le recteur fait valoir en défense qu’il n’est pas établi que l’état de santé [de l’enfant] ferait obstacle à sa scolarisation, les dispositions législatives et réglementaires précitées qui encadrent la délivrance d’autorisations d’instruction en famille ne prévoient nullement une telle condition »

 

A ceci, le Conseil d’Etat pose qu’il :

«5. […] appartient à l’autorité administrative, régulièrement saisie d’une demande en ce sens, d’autoriser l’instruction d’un enfant dans sa famille lorsqu’il est établi que son état de santé rend impossible sa scolarisation dans un établissement d’enseignement public ou privé ou lorsque l’instruction dans sa famille est, en raison de cet état de santé, la plus conforme à son intérêt.»

Et, en l’espèce, la Haute Assemblée se rallie à la position du juge de référé de première instance :

« 6. Pour estimer que le moyen tiré de l’erreur de droit dont serait entachée la décision refusant l’instruction du jeune A… C… dans sa famille était de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de cette décision, le juge des référés du tribunal administratif de Dijon s’est fondé sur ce que les dispositions législatives et réglementaires encadrant la délivrance d’une autorisation d’instruction en famille en raison de l’état de santé de l’enfant ne limitent pas la délivrance d’une telle autorisation au seul cas où l’état de santé de l’enfant fait obstacle à toute scolarisation. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 qu’en retenant que ce moyen était propre, en l’état de l’instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision, le juge des référés, eu égard à son office, n’a pas commis d’erreur de droit. Par suite, le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse n’est pas fondé à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée.»

 

 

III.D. Voici ces décisions

 

Source :

Conseil d’État, 13 décembre 2022, n° 467550, aux tables du recueil Lebon

Conseil d’État, 13 décembre 2022, n° 466623, aux tables du recueil Lebon

Conseil d’État, 13 décembre 2022, n° 462274, 63175, 63177, 63210, 63212, 63320, 66467 et 68228, aux tables du recueil Lebon

 

 

Voir les conclusions de M. Jean-François de MONTGOLFIER, Rapporteur public, sur les affaires 4466623 et 67550  :

Voir les conclusions de M. Jean-François de MONTGOLFIER, Rapporteur public, sur les affaires 462274, 63175, 63177, 63210, 63212, 63320, 66467 et 68228 :