Recours contre les retours aux 90 km / h. Quand une association nationale peut-elle agir ?

Nombre de départements sont « revenus » aux 90 km / h sur un grand nombre de leurs routes avec plus ou moins de subtilité dans le ciselage et la motivation des décisions ainsi prises.

 

Dans un grand nombre de cas, les décisions de retour aux 90 Km / h se sont faites à grandes volées, avec des décisions trop stéréotypées, qu’il a été aisé aux tribunaux de censurer.

Sources : Décret n° 2018-487 du 15 juin 2018 ; loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM) ; article L. 3221-4-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT) ; instruction du 15 janvier 2020 (NOR : INTS2000917J) ; Voir TA Montpellier, 5 avril 2022, n°004418, 2004419, 2004420, 2004421, 2004423, 2004465, 2004466, 2004467, 2004468, 2004469, 2004471, 2004475, 2004476, 2004478, 2004479, 2004480, 2004481, 2004482, 2004484, 2004486, 2004488, 2004489, 2004490, 2004491, 2004492 ; TA Marseille, 8 novembre 2022, n° 2005792 ; TA Caen, 25 novembre 2022, n° 2001427 ; CAA Lyon, 8 juillet 2021, 21LY00400.

 

Il y a quelques semaines, j’ai fait un point juridique à ce sujet, en vidéo et sous forme d’un article.

Commençons avec cette courte vidéo (4 mn 11) :

https://youtu.be/T1T6iYucpyo

 

Voir ensuite cet article  :

 

Mais il s’était trouvé au moins une CAA pour bloquer un tel recours, non au fond, mais sur la recevabilité du requérant, qui était une association nationale, et non locale. Voir :

 

D’où l’intérêt de voir maintenant un TA (relevant de la CAA de Lyon) poser en sens contraire, certes en fonction d’un raisonnement propre au département du Puy-de-Dôme, qu’en l’espèce une association nationale pouvait bien être requérante. Avec censure au fond sur les mêmes motifs que dans les autres affaires précitées.

Voici le communiqué dudit TA, que je préfère retranscrire tel quel car celui-ci s’avère singulièrement clair sur le raisonnement conduit par les magistrats de ce TA :

« Si, en principe, le fait qu’une décision administrative ait un champ d’application territorial fait obstacle à ce qu’une association ayant un ressort national justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour en demander l’annulation, il peut en aller autrement lorsque la décision soulève, en raison de ses implications, notamment dans le domaine des libertés publiques, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales.
Ce principe est régulièrement rappelé – et mis en œuvre – par le Conseil d’Etat, et ce encore dernièrement, le 24 juin 2022, dans une affaire opposant la Ligue des droits de l’homme à un centre communal d’action sociale qui entendait permettre à son président de suspendre l’accès aux aides sociales facultatives à certaines personnes ainsi qu’à leur famille directe lorsque ces personnes sont mineures. Il a ainsi annulé l’ordonnance du juge des référés d’un tribunal administratif qui avait estimé que l’association requérante était dépourvue d’intérêt à agir, alors que cette décision, qui était de nature à affecter des personnes vulnérables, présentait, dans la mesure notamment où elle répondait à une situation susceptible d’être rencontrée dans d’autres communes, une portée excédant son seul objet local.
Dans l’affaire dont a eu à connaître le tribunal administratif de Clermont-Ferrand, la Ligue contre la violence routière demandait l’annulation de 471 arrêtés par lesquels le président du département du Cantal, en se fondant sur l’article L. 3221-4-1 du code général des collectivités territoriales créé par la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités, avait rétabli la limitation de vitesse à 90 km/h sur l’ensemble des portions de routes départementales où elle avait été abaissée à 80 km/h en janvier 2018 par une décision de portée nationale transcrite à l’article R. 413-2 du code de la route.
L’argumentaire du département du Cantal reposait sur l’enclavement du territoire, en l’absence d’autoroute et de grands axes ferroviaires, et sur les importants investissements réalisés sur ses infrastructures routières, de sorte qu’elles seraient peu accidentogènes.
Les contentieux de ce type, souvent engagés par la Ligue ou par ses représentants locaux, se sont multipliés sur l’ensemble du territoire national. Jusque-là, la jurisprudence faisait apparaître deux grands courants.

Dans les départements où existe une association départementale affiliée à la Ligue nationale contre la violence routière, les requêtes ont été rejetées pour défaut d’intérêt donnant qualité pour agir à la Ligue contre des arrêtés départementaux (TA de Dijon n° 2002134, confirmé par CAA de Lyon, n° 21LY00400).
Dans les départements dépourvus d’association locale, l’intérêt à agir de la Ligue nationale a été reconnu et les arrêtés ont été annulés pour défaut de motivation, avec effet différé de l’annulation dans le temps (comme le permet la jurisprudence AC !, concrètement le temps de modifier les panneaux) et sous réserve des actions contentieuses déjà engagées à la date des jugements contre les actes pris sur le fondement des arrêtés annulés (notamment TA de Caen, 25 novembre 2022, n° 2001427 ; TA de Marseille, 8 novembre 2022, n° 2005792).
En l’absence d’existence dans le département du Cantal d’une association départementale affiliée à la Ligue requérante, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand aurait pu reconnaître l’intérêt à agir de celle-ci sur ce fondement, dans la lignée de la jurisprudence confirmée notamment par la Cour de Lyon.
Toutefois, il a semblé au juge clermontois que, eu égard à l’objet statutaire de la fédération nationale de la Ligue contre la violence routière qui est de lutter par tous les moyens légaux contre les manifestations de la violence routière et de prévenir les accidents de la circulation sur l’ensemble du territoire, et de la nature des décisions en litige, l’association requérante devait être regardée comme justifiant d’un intérêt suffisant lui donnant qualité pour agir contre les arrêtés départementaux en cause.
En outre, aucun délai n’a été laissé au département pour mettre en œuvre la décision du tribunal, dans la mesure où il lui est loisible, ainsi qu’il a d’ailleurs été rappelé dans le jugement, de reprendre immédiatement des décisions de portée similaire aux décisions annulées, s’il s’y estime fondé, au moyen d’arrêtés portant une motivation spécifique à chacune des portions de route concernée. »

Voir cette décision du 24 juin 2022, LDH, citée par le TA, ainsi que notre article, ici : Conseil d’État, 24 juin 2022, n° 454799. En ce domaine, l’appréciation au cas par cas opérée par le juge peut se révéler un peu difficile à prédire. Par leurs statuts, ou en raison d’une appréciation large des circonstances locales notamment en cas d’écho médiatique d’une affaire locale, il arrive que le juge puisse être assez compréhensif (voir pour un cas intéressant concernant un couvre-feu au titre des pouvoirs de police d’un maire, voir CAA Marseille, 20 mars 2017, LDH, n°16MA03385 puis — recevabilité de la LDH mais censure partielle de l’arrêt de la CAA : CE, 10e et 9e ch. réunies, 6 juin 2018, n° 410774 ; voir ici notre article). La LDH, toujours elle, a été ainsi jugée recevable à agir contre un arrêté mendicité dans une ville, par exemple (CAA de Nantes, 7 juin 2017, n°15NT03551 ; voir notre article : Arrêtés anti-mendicité : le juge annule de nouveau l’arrêté du maire de Tours, mais sans effet pratique).

Voici cette décision :

TA CLERMONT-FERRAND, 2 février 2023, LIGUE CONTRE LA VIOLENCE ROUTIERE – FEDERATION NATIONALE, n° 2001341