Un CCAS ne peut lier, en tous cas pas de manière floue et globalisante, aides sociales facultatives et dossier pénal (lato sensu) des membres de la familles (et une association nationale peut être requérante en ce domaine).
L’affaire « CCAS de Caudry » tourne en boucle dans la « territorialosphère » depuis samedi.
Cette affaire, certes intéressante, n’est en rien novatrice. Elle est importe car elle traite d’un type de décisions qui tend à faire florès dans certains CCAS.
En droit, oublions deux ou trois détails (sur les délais de recours par exemple) de cette affaire, pour aborder deux points confirmatifs :
- un CCAS ne peut calibrer de manière floue et globalisante toute une série de comportements relevant du pénal y compris pour d’autres membres de la famille… et « aides sociales » (en fait il s’agit d’actions sociales et non d’aides sociales, mais passons…) facultatives dudit CCAS
- et une telle initiative a pu en l’espèce donner lieu à application de la jurisprudence selon laquelle même une association nationale est recevable à agir en ce domaine.
1/ L’action sociale ne peut être calibrée par le pénal (en tous cas pas de la manière floue et globalisante choisie en l’espèce, et certainement pas en violation des règles du contradictoire, peut être de la convention de New York, etc.)
Du point de vue territorial, on apprend qu’il est illégal pour le CA d’un CCAS de :
« à ” suspendre l’accès aux aides facultatives ” prévues par le règlement de l’aide sociale facultative adopté le 22 juin 2020 aux personnes ayant ” fait l’objet d’un rappel à l’ordre “, ou ” refusé l’accompagnement parental proposé par le conseil des droits et devoirs des familles au titre de l’article 141-2 du code de l’action sociale et des familles “, ou ” fait l’objet d’un jugement définitif suite à une infraction troublant l’ordre public ” ou ” causé un préjudice à la commune “, ainsi qu’à la ” famille directe ” de ces personnes ” lorsque lesdites personnes sont mineures “. »
C’est intéressant, mais on savait déjà que c’est de manière très stricte que le juge accepte de lier aides sociales et comportement des bénéficiaires (et plus encore des proches de ces derniers).
Le Conseil constitutionnel a admis que la loi institue un « contrat de responsabilité parentale » conduisant à lier aides départementales et attitude des enfants à l’école (décision n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, Loi relative à l’égalité des chances, §34 à 38).
De même le juge administratif a-t-il admis accepté de lier RSA et activité d’insertion, sous réserve de bien conserver le cadre contractuel en ce domaine (CE, 15 juin 2018, n°411630 ; pour des applications intéressantes voir TA de Grenoble, 27 décembre 2018 n°1702182 et n°1704214 et CAA Nancy, 8 avril 2020, n° 18NC01751… voir ici).
Mais encore faut-il noter que de telles décisions ont été calibrées :
- par un cadre précis, contractuel, avec prise en compte de l’intérêt de la personne aidée, et un véritable contrôle de proportionnalité. Sur ce point, citons un extrait d’une décision du DDD (Décision du Défenseur des droits n° 2022-016 en date du 11 février 2022, portant sur une autre commune) :
- « 23. Or, si toute commune dispose de la possibilité d’établir des critères définissant l’éligibilité à ses aides sociales facultatives, à l’instar de tout service public facultatif, et de les modifier, ceux-ci doivent être en lien avec l’objet du service. À cet égard, les différents critères mentionnés par la délibération du 14 décembre 2020 apparaissent tous étrangers à cet objet, en application d’une jurisprudence constante (CE, 30 juin 1989, « Ville de Paris et Bureau d’aide sociale de Paris c/ Levy », n° 78113 ; CAA Lyon, 3 mai 1999, « Comité Tous Frères », n° 97LY00390). ».
- par un respect du principe d’égalité.
- Et, sans le dire, avec un refus qu’il en résulte une responsabilité « pour autrui » qui ici était discutable. Etre responsable en tant que parent est une chose. Etre responsable des actes de ses enfants quant on n’a pas prise sur eux en est une autre…
- passons également sur le fait qu’il faut aussi respecter la convention de New York sur les droits de l’enfant lorsque les mineurs sont concernés (sur ce point, voir notre article un peu général de 2020 : Application en droit français de la convention de New York sur les droits de l’enfant : une révolution lente, mais inexorable, conduisant à quelques réajustements dans les décisions publiques ? ).
- bien évidement une commune (ou plus précisément un CCAS ou CIAS) en défense sur ce point aurait à démontrer que le régime ainsi bâti ne contrevient pas au principe non bis in idem (ce qui s’apprécie au cas par cas de manière assez subtile ; voir ici un article où j’ai eu l’occasion de faire un point un peu large à ce sujet fort délicat).
- enfin, rappelons qu’une telle procédure ne saurait être envisagée sans une phase de contradictoire ; voir à titre de comparaisons : Source : CE, 4 octobre 2021, n° 438695, à mentionner aux tables du recueil Lebon ; CE, Section, 13 mars 2015, Office de développement de l’économie agricole d’outre-mer, n° 364612, rec. p. 84 ; pour une application aux aides que sont les subventions, voir : Pas de retrait de subventions sans contradictoire… même si le bénéficiaire est une personne publique (communauté d’agglomération recevant une aide d’une agence de l’eau en l’espèce) ).
Bref, la délibération querellée était à l’évidence difficile à défendre en droit.
Finalement la seule vraie surprise vient de ce que c’est carrément pour erreur manifeste d’appréciation que le juge des référés du Conseil d’Etat a reconnu qu’il y avait un doute sérieux en l’espèce :
« 9. Aux termes de l’article L. 123-5 du code de l’action sociale et des familles : ” Le centre communal d’action sociale anime une action générale de prévention et de développement social dans la commune, en liaison étroite avec les institutions publiques et privées. Il peut intervenir sous forme de prestations remboursables ou non remboursables (…) “.
« 10. Le moyen tiré de ce que, en raison de ses imprécisions quant aux circonstances pouvant conduire à la suspension des aides sociales facultatives et de l’absence de tout encadrement de la faculté ainsi reconnue au président du centre communal d’action sociale, la délibération contestée est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation est, en l’état de l’instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à sa légalité.»
2/ Sur cette question locale, peut agir une association nationale
Du point de vue de la procédure on notera que de nouveau se posait la question de savoir si une association nationale, en l’espèce la Ligue des droits de l’hommes (LDH ; voir ici) pouvait, ou non, être requérante en ce domaine.
Pour ce faire, le Conseil d’Etat n’a eu qu’à appliquer… la fameuse jurisprudence déjà forgée dans un cas de recours de la LDH, justement : CE, 4 novembre 2015, n° 375178.
NB : mais voir ensuite : CE, 15 novembre 2017, Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen (LDH), n° 403275.
On rappellera que sur ce point le mode d’emploi en est fourni par cet arrêt n° 375178 de 2015, dont il est utile de rappeler le début du résumé aux tables du rec. :
« En principe, le fait qu’une décision administrative ait un champ d’application territorial fait obstacle à ce qu’une association ayant un ressort national justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour en demander l’annulation.
[…]
Il peut en aller autrement lorsque la décision soulève, en raison de ses implications, notamment dans le domaine des libertés publiques, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales»
En ce domaine, l’appréciation au cas par cas opérée par le juge peut se révéler un peu difficile à prédire.
Par leurs statuts, ou en raison d’une appréciation large des circonstances locales notamment en cas d’écho médiatique d’une affaire locale, il arrive que le juge puisse être assez compréhensif (voir pour un cas intéressant concernant un couvre-feu au titre des pouvoirs de police d’un maire, voir CAA Marseille, 20 mars 2017, LDH, n°16MA03385 puis — recevabilité de la LDH mais censure partielle de l’arrêt de la CAA : CE, 10e et 9e ch. réunies, 6 juin 2018, n° 410774 ; voir ici notre article).
La LDH, toujours elle, a été jugée recevable à agir contre un arrêté mendicité dans une ville, par exemple (CAA de Nantes, 7 juin 2017, n°15NT03551 ; voir notre article : Arrêtés anti-mendicité : le juge annule de nouveau l’arrêté du maire de Tours, mais sans effet pratique)/
Pour une application très sévère, où des associations nationales n’étaient pas recevables à agir contre des arrêtés ponctuels de retour aux 90 km/h sur des routes départementales , voir CAA Lyon, 8 juillet 2021, 21LY00400 (et voir à ce propos notre article : Circulation sur départementale à 90 km/h : sortie de route pour les associations nationales ).
Sur ce point, on notera donc que la LDH était recevable à agir contre cette décision du CA de cette commune nordiste voulant lier responsabilité pénale et action sociale facultative (avec en sus un peu de responsabilité familiale, collective, pour autrui pour partie, donc).
Le fait que de telles pratiques tendent à essaimer dans de nombreux CCAS allait naturellement dans ce sens (voir par exemple : Décision du Défenseur des droits n° 2022-016 en date du 11 février 2022, précitée, et portant sur une autre commune).
Voici cette décision :
- Conseil d’État, 24 juin 2022, n° 454799
- voir ici les conclusions de M. Laurent Cytermann, Rapporteur public
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