Quand il le faut, le président d’une formation de jugement dispose de pouvoirs de police. Et l’usage proportionné de ceux-ci sera sans effet sur la régularité de la décision de Justice alors rendue.
Parfois, en cas de grave perturbation donnant lieu à commission d’une infraction, il peut en résulter que ce juge dépose plainte. Mais en ce cas, celui-ci doit ensuite se déporter, selon un mode d’emploi qui vient d’être donné par le Conseil d’Etat, pour éviter toute atteinte au principe d’impartialité.
En termes contentieux, le principe d’impartialité n’est pas d’application toujours aisée :
- ce principe interdit qu’un magistrat en référé expertise, fixant à cette occasion le montant des honoraires d’un expert, ait ensuite à connaître d’une contestation relative à ladite fixation des honoraires d’expertise :
- mais un magistrat peut être rapporteur public dans affaire pour laquelle il a été juge des référés :
- cependant, un juge ne peut siéger pour statuer sur le fond d’une affaire s’il a en tant que juge en référé suspension eu à traiter de cette même affaire et s’il a, à cette occasion, eu à traiter du fond ou de la recevabilité du recours au fond :
Ainsi en 2018 le Conseil d’Etat avait-il rappelé qu’il :
Voir également :
- un magistrat ne peut faire des formations pour un cabinet d’avocats :
- ce principe n’interdit pas le maintien d’une justice militaire :
- et il n’interdit pas certaines fonctions ou mutations à une magistrate mariée à un ministre de l’Intérieur :
- Le droit à une vie familiale et professionnelle… et politique presque normale… même pour les épouses de ministres, même si elles sont magistrates administratives… (suite)
- Le droit à une vie familiale et professionnelle normale… même pour les épouses de ministres, même si elles sont magistrates administratives
- il impose en revanche (en l’espèce en matière de sport et de lutte contre le dopage) de fortes séparations entre fonctions administratives et sanctionnatrices :
- mais il n’interdit pas à un membre du Conseil constitutionnel de connaître du contentieux électoral d’un de ses anciens collaborateurs (si, si c’est possible !). Voir :
- il n’interdit pas le principe d’un (relatif) manque d’indépendance du Parquet :
- Impartialité des juridictions : confirmation des exigences du Conseil constitutionnel en ce domaine (en l’espèce en matière de tribunaux pour enfants : Décision n° 2021-893 QPC du 26 mars 2021)
- La CJUE se reconnaît un droit à enjoindre, en référé, à un Etat de rétablir des éléments majeurs de son régime démocratique (impartialité et l’indépendance des juridictions : CJUE, ord., 8 avril 2020, n° C-791/19 R) )
- Sport, dopage et principe d’impartialité (décision du Conseil constitutionnel rendue ce jour : Décision n° 2017-688 QPC du 2 février 2018)
- Impartialité, référé liberté et référé suspension (Conseil d’État, 3ème – 8ème chambres réunies, 13/03/2019, 420514)
- etc.
Mais il est une question qui à ma connaissance était inédite : un juge administratif qui a déposé plainte contre un requérant au titre d’agressions verbales dont il a été victime en tant que juge… doit-il ensuite organiser son déport pour la suite du dossier ?
A cette question, le Conseil d’Etat vient d’apporter une réponse qui, sans surprise, est positive. OUI le juge administratif peut déposer plainte (certes !). OUI il doit organiser ensuite son déport car il n’aura plus l’impartialité requise (certes).
La Haute Assemblée rappelle que les articles R. 731-1 et R. 731-2 du code de justice administrative (CJA) attribuent au président de la formation de jugement la police de l’audience, en vue que soient garanties la sérénité et la dignité des débats, qui contribuent au caractère équitable du procès.
NB : sur ce dernier point, voir CEDH, 4 octobre 2016, Yaroslav Belouzov c. Russie, 2653/13.
Lorsqu’une partie – ou d’ailleurs toute autre personne présente à l’audience – perturbe le déroulement des débats, il appartient à ce président de la formation de jugement, au titre des pouvoirs que lui confère ainsi le code de justice administrative, d’ordonner qu’elle mette fin immédiatement à ses agissements, sous peine d’être expulsée de la salle d’audience.
Pour l’instant, nul ne doutait de tout ceci : ce sont des rappels .
Le Conseil d’Etat s’aventure en terrains à peine plus nouveaux quand il note que la circonstance que le président d’une formation de jugement fasse, en présence de tels agissements, usage de ses pouvoirs de police conformément aux articles R. 731-1 et R. 731-2, n’est pas, en elle-même, de nature à affecter la régularité de la décision juridictionnelle rendue à l’issue de cette audience.
Donc faire la police d’une audience n’affecte pas la régularité du jugement ainsi rendu. De ce point de vue, nous sommes là encore dans une parfaire habitude (l’usage des pouvoirs de police de la séance d’une assemblée délibérante n’entraîne pas non plus l’illégalité des décisions prises sauf cas très particuliers de violence disproportionnée).
Sources à titre de comparaison : CE 2/10/92 Malberg, req. n° 93858, Rec. T. 792 ; CE 14/12/92 V. de Toul, req. n° 128646, Rec. T. 793…
Le Conseil d’Etat détaille ensuite ce qui se passe en cas de perturbations justifiant une riposte pénale, au delà des mesures de police prises à chaud. Il pose donc que lorsque les agissements de cette partie – ou de toute autre personne – lors de l’audience sont également susceptibles d’être regardés comme relevant d’une qualification pénale, telle celle d’outrage à magistrat prévue par l’article 434-24 du code pénal, il convient :
- que le président de la formation de jugement en informe le chef de la juridiction, de façon à ce qu’il puisse signaler, s’il y a lieu, ces agissements au procureur de la République.
- de rappeler que tout magistrat de cette formation de jugement qui s’estimerait victime de tels agissements peut également porter directement plainte contre l’auteur des faits ou exercer les droits que le code de procédure pénale (CPP), à ses articles 1er et 2, accordent à la victime d’une infraction pénale, en ce qui concerne l’engagement de l’action publique et de l’action civile.
Mais tout ceci n’est qu’une formalisation de points qui en droit ne soulevaient guère de doute.
La suite est plus nouvelle ‘(quoique selon nous sans surprise) quand le Conseil d’Etat impose, alors, un déport.
La Haute Assemblée, en effet, estime qu’alors, dans un tel cas, dès lors que la personne dont les agissements sont mis en cause est partie à une affaire sur laquelle ce magistrat est appelé à délibérer, afin de ne pas créer dans le chef de cette partie un doute sur son impartialité à juger son affaire, il appartient au président de la formation de jugement de rayer l’affaire du rôle de l’audience, de façon à ce qu’elle puisse être examinée à une autre audience, devant une formation de jugement à laquelle le magistrat ne participe pas.
Dès lors, un requérant qui avait été le perturbateur :
- n’est pas fondé à soutenir que l’arrêt qu’il attaque, rejetant son appel, est entaché d’irrégularité, en ce que le président de la formation de jugement qui l’a rendu a exercé à son encontre, lors de l’audience où son affaire a été appelée et, d’ailleurs, après que l’affaire ait été mise en délibéré, et alors que M. X… perturbait les débats et avait une attitude qui n’était ni digne ni respectueuse de la justice, de ses magistrats et de ses greffiers, les prérogatives que lui attribue le code de justice administrative au titre de la police de l’audience.
- est fondé à soutenir que, dès lors que le président de la même formation de jugement a immédiatement après la fin de l’audience porté plainte contre lui à raison de son comportement à l’audience, l’arrêt qu’il attaque, qui a été rendu postérieurement à ce dépôt de plainte, après qu’il eut été délibéré sur le litige par une formation de jugement présidée par le même magistrat administratif, est entaché d’irrégularité.
NB : attention cette rigueur procédurale ne s’impose peut être pas en cas de simple signalement au pénal…
Source :
Conseil d’État, 21 mars 2023, n° 456347, aux tables du recueil Lebon
Voir les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public :
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