Occupation du domaine public : le juge fait preuve d’une relative souplesse concernant la mise en concurrence !

La directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 impose notamment que les conventions d’occupation du domaine public permettant une exploitation économique qui rentrent dans son champ d’application soient soumises à des obligations de publicité et de mise en concurrence pour leur conclusion. Ces obligations demeurent toutefois moins exigeantes et formalisées que celles qui concernent la commande publique. Dès lors, l’appréciation par le juge des critères de sélection concernant une convention d’occupation du domaine public diffère légèrement, comme l’illustre un jugement du tribunal administratif de Marseille, n° 2007870, en date du 22 février 2023.

Cette affaire (TA Marseille, 22 février 2023, n° 2007870) concernait l’appel à projet du Grand port maritime de Marseille, lancé le 28 juin 2017, en vue de la mise à disposition  d’un Hangar près du Vieux Port et du Mucem par une convention d’occupation temporaire du domaine public constitutive de droits réels. Une des sociétés, ayant candidaté et n’ayant pas été sélectionnée pour la deuxième phase de la consultation, a introduit un recours demandant d’annuler, ou à défaut de résilier la promesse synallagmatique de convention. La requérante invoquait des moyens relatifs au manquement des règles de publicité et de mise en concurrence.

Le tribunal confirme que la convention d’occupation temporaire, constitutive de droits réels en vue de l’exploitation d’un Hangar pour des activités notamment tertiaires, hôtelières et de restauration, rentre dans le champ de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006. Dès lors, la procédure de sélection en vue de la conclusion de la promesse d’occupation temporaire doit respecter les exigences de mise en concurrence de la directive.

  1. Les conditions du recours d’un tiers à un contrat administratif : une hypothèse complexe pour laquelle un rappel peut être nécessaire

Le Tribunal commence par rappeler le considérant de principe relatif aux conditions du recours d’un tiers à un contrat administratif, issu de la jurisprudence du Conseil d’Etat (CE, ass., 4 avril 2014, n° 358994, Tarn et Garonne) :

« 2. Tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité́ du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l’organe délibérant de la collectivité́ territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu’au représentant de l’État dans le département dans l’exercice du contrôle de légalité́. Si le représentant de l’État dans le département et les membres de l’organe délibérant de la collectivité́ territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l’appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l’intérêt lésé́ dont ils se prévalent ou ceux d’une gravité telle que le juge devrait les relever d’office. Le tiers agissant en qualité́ de concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif ne peut ainsi, à l’appui d’un recours contestant la validité́ de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d’ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction. »

De surcroît, après avoir évalué l’existence des vices invoqués, et si le requérant peut utilement les invoquer, il revient au juge, « après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, soit d’inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu’il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d’irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l’exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié́ que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s’il se trouve affecté d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d’office, l’annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s’il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu’il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l’indemnisation du préjudice découlant de l’atteinte à des droits lésés. »

2. Le tribunal rappelle que les critères de sélection d’une convention d’occupation du domaine public visant une exploitation économique valorisant le patrimoine sont nécessairement plus souples que ceux de la commande publique, car l’objet de la mise en concurrence ne vise pas à satisfaire un besoin précis de l’autorité compétente.

Parmi les moyens invoqués, la requérante soutenait, sans succès, que les critères de sélection des offres n’étaient ni clairs ni objectifs ni transparents, qu’ils étaient ambigus, et qu’ils ne répondaient pas à une raison impérative d’intérêt général, comme le prévoient les article 10 et 13 de la directive du 12 décembre 2006.

Toutefois le Tribunal a écarté ce moyen au motif que dès le règlement de l’appel à projet, international, celui-ci indiquait les objectifs, qui étaient librement accessible. Le juge estime ici que :

« Par ailleurs, ces critères, nécessairement souples compte tenu de l’objet même de la mise en concurrence, destinée non pas à satisfaire un besoin précis de l’autorité compétente, mais de valoriser le domaine public maritime et portuaire par un projet à co-construire, étaient suffisamment clairs et précis pour permettre aux groupements candidats, initialement au nombre de huit, de proposer un projet, tout en répondant à des raisons impérieuses d’intérêt général destinées notamment à s’assurer de la faisabilité́ des projets présentés, de l’intérêt conservé par l’établissement public et pour le domaine public et sa valorisation».

Le juge rappelle ainsi que les exigences concernant les critères de sélection des offres sont moins sévères en fonction de l’objet de la mise en concurrence : les exigences sont plus sévères pour les contrats de la commande publique que pour les conventions d’occupation domaniale, qui ne répondent pas à un besoin précis de l’autorité compétente. L’exigence de clarté, notamment, ne peut être interprétée de manière à imposer indirectement à l’autorité compétente de définir précisément un besoin.

En l’espèce, l’un des objectifs concernait la création d’une identité architecturale forte, ce qui impliquait d’apprécier le « geste architectural ». La candidate évincée, qui avait présenté un projet qui modifiait le visuel existant du Hangar de manière plus significative que l’offre retenue, considérait ainsi que cette dernière était dépourvue d’identité architecturale forte.

Or, le juge constate que les objectifs fixés aux candidats leur laissaient une large latitude dans leur présentation, et que le parti pris architectural adopté pour la Halle n’était pas contraire aux articles 10 et 13 de la directive du 12 décembre 2006.

Il est également intéressant que la faisabilité d’un projet corresponde à une raison impérieuse d’intérêt général, ce qui permet de ne pas trop alourdir la procédure de sélection.

3. Même si les critères de sélection ne sont pas aussi formels que dans la commande publique, cela n’empêche pas le juge de prendre en compte leur différents degrés d’importance pour évaluer le manquement

Le contrôle de l’erreur manifeste amène le tribunal à avoir une interprétation des textes plus sévères pour le candidat évincé. En effet, même si le juge reconnaît que l’offre du requérant était plus étoffée sur la question des activités culturelles ou éducatives, le moyen a été écarté au motif, d’une part, qu’il avait été indiqué que cette orientation pouvait n’être satisfaite qu’en partie, et d’autre part, que l’offre retenue répondait à cette exigence, même si elle était moins développée sur ce point.

Ainsi, l’analyse du juge prend en compte de l’importance de chaque objectif devant être respecté, telle qu’elle était indiquée dans les instructions, dans un raisonnement similaire à celui de la pondération des critères. Même si l’offre du candidat évincé est meilleure que celle du candidat retenu sur une partie du projet, cette seule différence ne peut suffire à contester le contrat si l’objet de cette différence n’était pas prépondérant.

Le tribunal a validé l’analyse du Grand port maritime de Marseille, qui a écarté une offre qui répondait à ses objectifs, au motif qu’elle n’était pas suffisamment équilibrée et tournée majoritairement vers la clientèle touristique er portuaire, et ce même si elle avait demandé de présenter un projet qui contribue économiquement et touristiquement « notamment dans la filière de l’économie maritime au sens large ».

Même si l’autorité compétence précise qu’elle souhaite que l’offre soit tournée vers une clientèle portuaire et touristique, le juge a adopté une interprétation très souple, qui a permis au Grand port de sélectionner une offre plus équilibrée. Il ressort d’une telle analyse que la rédaction des objectifs devant être remplis doit être particulièrement précise. Dans cette affaire, la rédaction des éléments permettant d’apprécier la qualité du projet ne demandait pas de se tourner exclusivement vers une filière maritime, mais n’a fait que la mentionner comme une des filières devant être développée, et de surcroît « au sens large ». Cet aléa peut entraîner des difficultés de compréhension du projet de l’autorité compétente de la part des candidats. Néanmoins à trop les préciser on risque la requalification en contrat de la commande publique…

*article rédigé avec la collaboration de Yasmine Chevreul, juriste

Pour aller plus loin :

Recours Tarn-et-Garonne : le juge s’accorde les pleins pouvoirs [très courte VIDEO et article] :https://blog.landot-avocats.net/2022/01/04/recours-tarn-et-garonne-le-juge-saccorde-les-pleins-pouvoirs-tres-courte-video-et-article-5/

Contrats publics : l’arrêt Jean Bouin est mort et enterré. L’irrésistible ascension des principes de mise en concurrence et de publicité peut reprendre (pour la plupart des occupations du domaine public à tout le moins) : https://blog.landot-avocats.net/2022/12/08/contrats-publics-larret-jean-bouin-est-mort-et-enterre-lirresistible-ascension-des-principes-de-mise-en-concurrence-et-de-publicite-peut-reprendre/

Quand Tarn-et-Garonne débouche le port de Marseille… : https://blog.landot-avocats.net/2020/07/19/quand-tarn-et-garonne-debouche-le-port-de-marseille/

Recours « Tarn et Garonne » : nouvelles précisions sur la recevabilité : https://blog.landot-avocats.net/2020/06/08/recours-tarn-et-garonne-nouvelles-precisions-sur-la-recevabilite/

Un décret sur l’occupation du domaine public maritime : https://blog.landot-avocats.net/2020/06/09/un-decret-sur-loccupation-du-domaine-public-maritime/