Contrats publics : peut-on ne pas appliquer les pénalités prévues dans les documents contractuels ?

L’application des pénalités suscite souvent un grand nombre d’interrogations. La question qui revient le plus souvent étant : avons-nous le droit de ne pas appliquer les pénalités ou les moduler ? Une récente décision de la CDBF nous fournit des précisions utiles .
Mais tout d’abord faisons quelques rappels.
Les pénalités prévues par les clauses d’un contrat de la commande publique ont pour objet de réparer forfaitairement le préjudice qu’est susceptible de causer à l’acheteur le non-respect, par son cocontractant, de ses obligations contractuelles. Elles sont applicables au seul motif qu’une inexécution des obligations contractuelles est constatée et alors même que la personne publique n’aurait subi aucun préjudice ou que le montant des pénalités mises à la charge de son cocontractant qui résulte de leur application serait supérieur au préjudice subi. ” (Conseil d’État, 12 octobre 2020, société Vert Marine, req. n°431903).
Elle doivent être prévues par le contrat qui lie les parties afin qu’elles puissent être applicables.
Les pénalités peuvent dans certains cas ne pas être appliquées : à titre d’exemple, les nouveaux CCAG prévoient une exonération des pénalités lorsque leur montant ne dépasse pas 1.000 euros HT.  D’autres cas d’exonération existent (cf notre video sur ce point).
Le juge s’est donné même la possibilité de moduler les pénalités, notamment à la baisse, lorsque celles-ci sont manifestement excessifs (cf par exemple, CAA de VERSAILLES, 08 juillet 2021, req. n°18VE01576)
Néanmoins, il faut être particulièrement attentif car la non application des pénalités peut être considéré comme une libéralité accordée au titulaire du contrat ce qui est strictement interdit.

Cela peut par conséquent conduire à une condamnation devant la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF).

Dans une récente décision de la CDBF (CDBF, 23 novembre 2022, ECPAD, n°263-796), celle-ci condamne certains agents d’un établissement public pour ne pas avoir appliqué les pénalités de retard, pénalités qui étaient, par ailleurs, applicables, selon les documents du marché, sans mise en demeure préalable (il s’agissait en effet des pénalités de retard).

L’établissement a conclu un marché public de rationalisation et de passage au gaz. Pendant l’exécution du contrat, la personne publique a constaté un retard dans l’exécution des travaux et a adressé  une mise en demeure en enjoignant à son cocontractant de remplir ses obligations contractuelles faute de quoi des pénalités de retard seraient appliquées.
Selon la CDBF

« Si le pouvoir adjudicateur a la possibilité dans certaines circonstances de ne pas appliquer des pénalités de retard pourtant exigibles en application du marchéen l’espèce l’envoi d’une mise en demeure au prestataire confirme la volonté de l’établissement de percevoir lesdites pénalités. Dans ces conditions, le fait de ne pas avoir liquidé et ordonnancé des pénalités de retard en méconnaissance des dispositions rappelées ci-dessus est constitutif de l’infraction prévue à l’article L. 313-4 du code des juridictions financières».

« Il est également constitutif d’un avantage injustifié au sens de l’article L.313-6 du code des juridictions financières, octroyé par l’E… à son cocontractant, et entraînant pour l’établissement un préjudice financier ».

Notre recommandation : être extrêmement vigilant sur les modalités d’application des pénalités, le cas échéant, sur l’exonération de celles-ci et sur les justifications données en cas d’ exonération ou de modulation.
NB : dans le nouveau régime de responsabilité unifiée des ordonnateurs et des comptables, en vigueur depuis le 1er janvier 2023, le régime de l’article L. 131-12 du CJF peut sembler plus restrictif. Cet article dispose que « Tout justiciable au sens des articles L. 131-1 et L. 131-4 qui, dans l’exercice de ses fonctions ou attributions, en méconnaissance de ses obligations et par intérêt personnel direct ou indirect, procure à une personne morale, à autrui, ou à lui-même, un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, est passible des sanctions prévues à la section 3.» Dès lors, il serait possible de se dire que de tels « cadeaux » ne seraient censurés qu’en cas « [d’]intérêt personnel direct ou indirect »… puisque ce critère s’ajoute aux autres. MAIS si l’on a à l’esprit la rapidité avec laquelle le juge pénal, en application de l’article 432-12 du code pénal, a quasiment présumé l’existence d’un intérêt moral pour autrui sans aucun bénéfice pour l’élu ou pour l’agent public, et même si cette analogie peut être s-discutée, force est de conseiller de rester, sur ce point, d’une très grande prudence. 

Sur le nouveau régime de responsabilité qui remplace celui de feu la CDBF, voir :

Surtout, ceci relativise les jurisprudences traditionnelles selon lesquelles l’application de pénalités ne serait que facultative (CE, 15 mars 1999, Jarnac n° 190720). Car il ne faut donc pas sous-estimer le risque de requalification, dans certains cas, de non application de pénalité… en libéralité illégale. Laquelle peut même donc constituer comme dans cette affaire une infraction financière.

Sur les pénalités, voir la vidéo suivante de 8  mn 38 :

https://youtu.be/lDlrcr2PqNs