Il existe d’assez nombreux cas d’inéligibilités résultant de condamnations pénales (à ne pas confondre avec celles pouvant résulter de l’intervention du juge administratif voire du Conseil constitutionnel), avec de plus ou moins grandes automaticités.
Mais ensuite, selon que la personne concernée est, ou n’est pas, un parlementaire, selon qu’il y a appel ou non, il peut en résulter des situations variées. Qui ont d’ailleurs pu faire polémique pour plusieurs hommes politiques (J.-N. Guérini, E. Zemmour…).
Voyons ceci, étape par étape, en vidéo puis sous forme d’article.
I. VIDEO
Voici tout d’abord un survol en vidéo de ce sujet (10 mn 52) :
II. ARTICLE
Voici, ensuite, un article (très légèrement moins complet, dans les commentaires, que la vidéo).
II.A. Existe-t-il des inéligibilités résultant de condamnations pénales ?
Oui. Voir sur ce point NOTAMMENT les articles 131-26 et suivants du Code pénal :
Attention :
- l’inéligibilité peut aussi résulter d’une condamnation par le juge administratif ou par le conseil constitutionnel, à la suite notamment de certaines violations du droit électoral. Mais c’est alors un autre sujet, un autre cadre juridique.
- Attention l’inéligibilité peut aussi résulter d’une situation professionnelle, d’un mandat, d’une situation fiscale (art. LO 136-4 du code électoral), etc.
Là encore, c’est un autre sujet que celui traité ici.
II.B. Si l’on en reste sur le cas du droit pénal… quelles infractions peuvent-elles conduire à cette inéligibilité ?
- certaines violences (art. 222-9, 222-11, 222-12, 222-14, 222-14-4, 222-14-5, 222-15 du code pénal)
- agressions sexuelles des articles 222-27 et suiv. du code pénal
- discriminations des articles 225-1 et 225-2 de ce même code
- escroqueries ou abus de confiance (art. 313-1 et suiv. et 314-1 et suiv. du Code pénal)
- les délits de terrorisme (chapitre Ier du titre II du livre IV du code pénal)
- la plupart des infractions d’intérêt dont la prise illégale d’intérêts, la concussion, le pantouflage, la corruption, le favoritisme (délits prévus aux articles 432-10 à 432-15,433-1 et 433-2,434-9,434-9-1,434-43-1,435-1 à 435-10 et 445-1 à 445-2-1, puis 441-2 à 441-6, ainsi que leur recel ou leur blanchiment)
- un grand nombre d’infractions électorales et toute une ribambelle d’autres délits ou crimes listés à l’article131-26-2 du code pénal
- A NOTER aussi les peines qu’il est possible d’infliger au titre de l’article 24 de la loi 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, commis donc par une personne qui a incité à la discrimination ou à la haine raciale, ou sexiste, ou religieuse. Cela a donné lieu à une polémique fameuse sur l’éligibilité ou non d’Eric Zemmour à l’élection présidentielle de 2022. Précisons que ce candidat était bien éligible car, quoique condamné, le juge n’avait pas décidé de lui infliger cette peine complémentaire d’inéligibilité.
- Autre exemple : un maire a ainsi été condamné pour provocation à la haine envers les Roms (en regrettant notamment, après un incendie, que des secours aient été appelés trop tôt), avec une peine complémentaire d’inéligibilité pour une période d’une année (Cass. crim., 1er février 2017, n°15-84511).
II.C. Car ce n’est pas automatique ?
NON car pour certaines infractions, comme celles en matière de délit de presse, c’est une peine complémentaire peut décider d’infliger, sans que cela soit prévu « par défaut ».
Et même quand c’est prévu « par défaut » comme dans le cas d’un très grand nombre d’infractions par les dispositions du III. de l’article 131-26-2 du Code pénal… ce n’est pas une vraie automaticité.
Ces peines complémentaires s’imposent de plein droit MAIS par une décision motivée, expressément, le juge peut décider de ne pas prononcer une telle peine « en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ».
II.D. Ne pourrait-on rendre ces peines carrément automatiques ?
NON car une telle automaticité a été jugée contraire à l’article 8 de la DDHC (C. const. n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010 ; décision 2017-752 DC du 8 septembre 2017), voire à la CEDH (mais ladite CEDH sait être souple à ce sujet : CEDH, 17 juin 2021, n° 63772/16, Giancarlo GALAN contre l’Italie ; CEDH, 17 juin 2021, AFFAIRE MINISCALCO c. ITALIE, n° 55093/13 ; mais besoin d’un examen au cas par cas).
II.E. Est-ce sévère ?
Tout est relatif, bien sûr.
Mais quand on voit, d’une part, l’ampleur de cette liste et que l’on sait, d’autre part, combien certaines de ces infractions peuvent en réalité être commises par inadvertance, oui ce me semble sévère.
II.F. Toute personne condamnée avec cette peine complémentaire, au pénal, sera immédiatement inéligible ?
Attention : quand quelqu’un est condamné au pénal, l’appel est suspensif. La personne condamnée qui a fait appel ne sera alors condamnée, ou pas, réellement qu’après l’appel.
Si une personne est condamnée au pénal et qu’elle forme appel, l’exécution de la peine est repoussée au lendemain de la décision de la Cour d’Appel.
Mais le juge de première instance, c’est-à-dire le tribunal correctionnel s’agissant d’un délit, peut décider de prononcer « l’exécution provisoire ». En ce cas, qu’il y ait appel ou non, la peine complémentaire d’inéligibilité peut s’appliquer dès la condamnation, à la condition, donc, que le juge en ait expressément décidé ainsi.
Avec une procédure de « démission d’office » prononcée par le préfet.
Le Conseil d’Etat l’a encore rappelé le 3 octobre 2018 dans une affaire concernant un élu régional (CE, 3 octobre 2018, n° 419049).
II.G. Il en résulte des situations un peu complexes ?
OUI. En voici un aperçu, le cas des parlementaires étant mis à part à ce stade.
Donc, pour un simple citoyen comme pour un élu local, voici quelques sous-hypothèses :
1• si le juge de 1e instance ne condamne PAS à l’inéligibilité et qu’il y a appel : on attend la décision de la Cour d’appel…
2• si le juge de 1e instance condamne à l’inéligibilité SANS exécution provisoire et que l’élu forme appel : on attend la décision de la Cour d’appel.. Si la Cour d’appel condamne aussi à l’inéligibilité, il y aura donc inéligibilité (et donc démission d’office de l’élu s’il est encore titulaire d’un mandat)
3• si le juge de 1e instance condamne à l’inéligibilité SANS exécution provisoire et que l’élu NE forme PAS appel : il y aura donc inéligibilité (et donc démission d’office de l’élu s’il est encore titulaire d’un mandat)
4• si le juge de 1e instance condamne à l’inéligibilité AVEC exécution provisoire (ce qui est fréquent) : il y a donc inéligibilité immédiate (et donc démission d’office de l’élu s’il est encore titulaire d’un mandat local)
II.H. Restons sur ce dernier cas : le juge de 1e instance condamne à l’inéligibilité AVEC exécution provisoire… la personne devient donc inéligible même si elle fait appel ?
OUI :
• et il peut en résulter une situation ubuesque
• sauf pour les parlementaires
II.H.1. Le cas de ceux qui gagnent (au moins sur l’inéligibilité) à hauteur d’appel… mais qui ont été démis d’office après la 1e instance (car l’exécution provisoire avait été décidée par le juge)
Commençons par traiter du caractère potentiellement ubuesque (logique en droit mais peu cohérent pour ceux qui le vivent) de cette situation en cas de succès à hauteur d’appel alors qu’il y a eu exécution provisoire (et donc démission d’office).
Imaginons donc qu’en pareil cas la personne condamnée, avec inéligibilité dès la 1e instance avec exécution provisoire.
Mais imaginons ensuite que cette personne fasse appel au pénal. Et qu’elle gagne son appel. Mais qu’en raison de cette inéligibilité avec « exécution provisoire », entre temps, cette personne ait été interdite d’élection. Voire privée de ses mandats en cours… il y a potentiellement une injustice car alors la personne a subi une sanction électorale d’origine pénale alors que cette personne a été déclarée, certes après coup, innocente par la Cour d’appel au pénal…
Et c’est déjà arrivé. Un élu polynésien s’est trouvé condamné par le tribunal correctionnel avec inéligibilité pour laquelle le juge avait décidé de l’exécution provisoire. Il fait appel mais entre temps il perd ses mandats. En appel, il est encore condamné mais, cette fois, sans peine complémentaire d’inéligibilité… mais trop tard, il a perdu ses mandats. Et c’est légalement qu’il a ainsi perdu ses mandats, a tranché le Conseil d’Etat en 2019.
Source : CE, 20 décembre 2019, n° 432078
II.H.2. Le cas des parlementaires
S’il s’agit d’un parlementaire, il en va exactement de même à un détailprès : l’élu ne sera pas démissionné d’office pour ses mandats parlementaires en cours (au contraire de ce qui se passe pour le mandat local) tant que l’appel est pendant, si en 1e instance le juge a condamné l’éluà l’inéligibilité.
Le conseil Constitutionnel n’est pas très explicite sur les raisons de ce choix…. Il semble avoir voulu agir au nom de la séparation des pouvoirs.
II.i. Donc au total on a un principe simple mais avec des mises en œuvre qui peuvent être complexes ?
Oui… Comme souvent.
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