Quelles sont les limites au droit de communication de documents administratifs… quand les données sont énormes, informatisées et/ou à anonymiser ? [mise à jour au 19 juin 2024 en raison d’un nouvel arrêt]

Une déjà riche jurisprudence combine sur le droit d’accès aux documents administratifs quand ceux-ci ont des informations nominatives et se trouvent dans d’amples bases de données (I). Notamment, en 2020 et en 2022, diverses décisions du Conseil d’Etat réglaient la question de l’équilibre entre raisonnable et impossible, entre anonymisation et traitement de masse, pour l’accès aux données qui sont incluses dans des bases de données et/ou de gros fichiers, numériques par exemple. 

L’étape d’après était évidemment de voir si des requérants peuvent exiger que ces efforts passent par la création d’outils pour ces extractions ou l’appropriation ou à l’adaptation à tel ou tel outil existant. 

Or, un nouvel arrêt en date du 17 juin 2024 précise encore ce cadre (II). En effet, on savait que parmi les raisons pour lesquelles on pouvait refuser une telle communication, il fallait distinguer les cas de « charge disproportionnée » (définissant une des deux hypothèses de demande abusive), déjà assez largement éclairée par le juge… des cas de « charge de travail déraisonnable », notion qui, par cette nouvelle décision, commence d’être identifiable (le juge fixant une énumération de tels cas, ce qui est un bon début à défaut de vraie définition…).. 

 

I. Une déjà riche jurisprudence combinant sur le droit d’accès aux documents administratifs quand ceux-ci ont des informations nominatives et se trouvent dans d’amples bases de données 

 

Un document administratif ne sera un document communicable que si, entre autres conditions, il EXISTE, s’il est déjà un document existant (et définitif et administratif etc.) et non pas un document à créer pour le demandeur (articles L. 311-1 et L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration ; CRPA).

OUI MAIS… avec les bases de données, désormais, la frontière entre un document existant et inexistant s’estompe. De nombreux documents n’existent pas mais peuvent exister en deux clics…

Et il faut alors tenir compte de l’article L. 311-9 du CRPA selon lequel cet accès aux documents administratifs s’exerce « dans la limite des possibilités techniques de l’administration ».

Alors le juge a du définir une frontière et, mieux, une frontière assez floue souple pour être opérationnelle avec une marge d’appréciation au cas par cas :

 

 

Un nouvel arrêt a été rendu en décembre 2023 à ce sujet, dans la lignée des jurisprudences précédentes de 2020 et de de 2022 : le Conseil d’Etat juge que l’administration n’a l’obligation à cette occasion, pour opérer cette extraction, ni de recourir à un logiciel qui serait mis à sa disposition par le demandeur, ni de développer un nouvel outil informatique, ni de développer de nouvelles fonctionnalités sur les outils dont elle dispose…. De plus, cette affaire illustre bien un cas refus fondé en raison de la charge disproportionnée sur l’administration saisie au regard des moyens dont elle dispose, s’il était fait droit à cette demande.

Source :

Conseil d’État, 20 décembre 2023, 467161, Publié au recueil Lebon

Voir aussi ici les conclusions de M. Laurent DOMINGO, rapporteur public dans cette affaire

Voir aussi :

 

 

 

II. Or, un nouvel arrêt en date du 17 juin 2024 précise encore ce cadre. En effet, on savait que parmi les raisons pour lesquelles on pouvait refuser une telle communication, il fallait distinguer les cas de « charge disproportionnée » (définissant une des deux hypothèses de demande abusive), déjà assez largement éclairée par le juge… des cas de « charge de travail déraisonnable », notion qui, par cette nouvelle décision, commence d’être identifiable (le juge fixant une énumération de tels cas, ce qui est un bon début à défaut de vraie définition…).

 

 

On a vu ci-avant notamment que l’on peut refuser une communication notamment (en sus d’autres hypothèses, comme celle du document inexistant ou déjà en ligne)

 

On a vu, ci-avant en I., que les cas de demande abusive, notamment pour « charge disproportionnée », commencent d’être assez clairs.

Mais l’autre hypothèse, distincte, propre aux extractions de données, pour « charge de travail déraisonnable » restait assez obscure.

Or ce point vient d’être précisé par le juge administratif avec le futur résumé des table que voici, avec :

  • un rappel de la non obligation de créer un document administratif :
    • « Les articles L. 300-2 et L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA) n’ont pas pour effet d’imposer à l’administration d’élaborer un document dont elle ne disposerait pas pour faire droit à une demande de communication. »
  • un rappel qu’il peut en aller autrement en cas de simple extraction d’une base de données :
    • « En revanche, constituent des documents administratifs au sens de ces articles les documents qui peuvent être établis par simple extraction des bases de données dont l’administration dispose […] »
  • en rappelant dans ce dernier cas la limite à cette possibilité, à savoir l’absence de « charge de travail déraisonnable »… Mais en définissant enfin cette notion :
    • « si cela ne fait pas peser sur elle une charge de travail déraisonnable, notamment en l’obligeant soit à modifier l’organisation d’une base de données, soit à développer des outils de recherche, ou à modifier ceux actuellement à sa disposition, pour l’extraction des informations demandées. »

 

Enfin… définissant…. définissant.. .cela reste vite dit. Cela reste une énumération commençant par un « notamment ». Mais c’est un début !

 

En l’espèce, la  » Confédération paysanne  » avait demandé à l’INRAE  la communication d’un grand nombre de documents.

Le Conseil d’Etat commence donc par poser ce cadre :

« 3. Ces dispositions n’ont pas pour effet d’imposer à l’administration d’élaborer un document dont elle ne disposerait pas pour faire droit à une demande de communication. En revanche, constituent des documents administratifs au sens de ces dispositions les documents qui peuvent être établis par simple extraction des bases de données dont l’administration dispose, si cela ne fait pas peser sur elle une charge de travail déraisonnable, notamment en l’obligeant soit à modifier l’organisation d’une base de données, soit à développer des outils de recherche, ou à modifier ceux actuellement à sa disposition, pour l’extraction des informations demandées.»

Et le Conseil d’Etat a censuré ensuite le TA d’Orléans pour n’avoir pas utilisé ce mode d’emploi alors que certaines demandes :

  • conduiraient à l’élaboration de documents nouveaux dans un cas et à une modification de l’organisation de la base de données dans un autre cas (non communication donc, et là le rejet de la demande était conforme déjà aux jurisprudences précitées de 2020 et de 2022)
  • avec dans ce cadre le dépassement de la simple extraction sauf charge de travail déraisonnable, donc

 

Source : 

Conseil d’État, 17 juin 2024, INRAE, n° 470620, aux tables du recueil Lebon

Voir aussi les conclusions de Mme Esther de MOUSTIER, Rapporteure publique :

 


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