Trois fois enterré juridiquement, le tri mécano-biologique est toujours vivant (CE, 26/6/2019, n°416924)

Mise à jour au 22/4/2022

Le Conseil constitutionnel valide la résurrection partielle du TMB. Clap de fin d’une saga juridique en forme de comédie parfois drolatique. Avec le TMB dans le rôle d’un mort-vivant.  


 

 

Le tri mécano-biologique (TMB) aura connu, non pas 4 mariages et 1 enterrement… mais 3 morts et 1 quasi-renaissance, au moins du point de vue des unités antérieures à août 2015.

 

 

I. Premier enterrement, au Parlement

 

La loi pour la transition énergétique et pour la croissance verte (LTECV), n° 2015-992 du 17 août 2015, dite « loi Royal », ne mettait pas à mort le TMB, lequel avait connu bien des déboires en France sur de nombreux sites, mais on s’en rapprochait. 

Le I de l’article L. 541-1 du code de l’environnement, dans sa rédaction issue de cette loi, définissait les objectifs de la politique nationale de prévention et de gestion des déchets, en posant notamment par son 4°, que :

« (…) La généralisation du tri à la source des biodéchets, en orientant ces déchets vers des filières de valorisation matière de qualité, rend non pertinente la création de nouvelles installations de tri mécano-biologique d’ordures ménagères résiduelles n’ayant pas fait l’objet d’un tri à la source des biodéchets, qui doit donc être évitée et ne fait, en conséquence, plus l’objet d’aides des pouvoirs publics (…). »

 

Donc cette loi était claire sur l’interdiction des aides publiques en ce domaine, mais pas sur une réelle illégalité du recours à ce mode (lequel risquait vite en revanche d’être entaché d’une erreur manifeste d’appréciation, en dépit du caractère limité du contrôle du juge sur les choix techniques opérés).

 

II. Deuxième enterrement, à Pau

 

Le 30 décembre 2015, quand d’autres s’apprêtaient à enterrer l’année 2015, sonnait le premier glas du tri mécano biologique. Voir :

Le Tri mécano-biologique (TMB) est-il juridiquement condamné pour les installations nouvelles ?

Comme nous l’écrivions, en effet, alors, un jugement n°1402450-2 en date du 15 décembre 2015 du TA de Pau, avec un raisonnement et des formulations hardies, enfouissait quasiment ce mode de traitement des déchets ménagers et assimilés (i.e. déchets non dangereux), dans les poubelles de l’histoire… et ce au moins pour les installations nouvelles, notion que le juge avait, au passage, défini de manière extensive.

Le TA de Pau avait ainsi notamment posé que :

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Pour accéder au jugement intégral :

Ce jugement était hardi… au point de se fonder sur un moyen qui n’avait pas été vraiment soulevé par les parties et qui n’était pas d’ordre public.

Que le juge ne pouvait déterrer et recycler de son propre chef, donc. C’est que ça peut être joueur, un TA.

 

III. Troisième enterrement, à Bordeaux

 

L’appel ne fut guère plus favorable aux derniers défenseurs du tri mécano-biologique : faute de prévoir du recyclage, du tri, l’installation, jugée nouvelle, est également censurée à hauteur d’appel par un arrêt sévère :

Il résulte de ces dispositions, éclairées par les débats parlementaires, que la préférence ainsi accordée à la généralisation du tri à la source doit, en principe, conduire l’autorité administrative à rejeter les demandes d’autorisations de nouvelles installations de tri mécano-biologique.

10. En l’espèce, l’unité de valorisation de déchets non dangereux par tri mécano biologique que le SMTD 65 a été autorisé à exploiter à Bordères-sur-l’Echez, a vocation à se substituer à l’installation de stockage située à Benac qui reçoit l’intégralité des ordures ménagères résiduelles du département des Hautes-Pyrénées sans qu’elles ne fassent l’objet d’aucune valorisation ou recyclage. Elle constitue une unité nouvelle au sens des dispositions précitées dès lors que le syndicat mixte ne peut se prévaloir d’aucune autorisation d’exploiter antérieure à celle du 3 octobre 2014 dont la légalité est contestée.

Voici cet arrêt en version intégrale :

CAA Bordeaux, 14 novembre 2017, Société Vinci Environnement – Syndicat mixte de traitement des déchets des Hautes-Pyrénées, n° 16BX00688, 16BX00690, 16BX00699, 16BX00700

 

IV. Une résurrection à durée limitée à Paris

 

Le Conseil d’Etat a fini par censurer cet arrêt au motif que cette semi prohibition du TMB, qui en droit n’en est même pas une à vrai dire, ne saurait s’appliquer aux unités de TMB antérieures à la promulgation de la loi. Citons le résumé de Légifrance et d’Ariane qui d’ordinaire annonce celui du rec. :

« l résulte des termes du I de l’article L. 541-1 du code de l’environnement, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015, éclairés par les travaux parlementaires ayant conduit à l’adoption de cette loi, que le législateur n’a entendu viser que la création, postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi, de nouvelles installations de tri mécano-biologique d’ordures ménagères. Il s’ensuit que les objectifs ainsi fixés par la loi ne sauraient, en tout état de cause, s’appliquer à des installations de tri ayant été autorisées avant le 19 août 2015, date d’entrée en vigueur de la loi du 17 août 2015.»

 

Les unités futures seront donc sans doute proscrites, même si une fenêtre de tir serait possible pour défendre l’inverse.

Les unités anciennes sont sauvées des eaux, pour celles qui ne se sont pas noyées dans les difficultés juridico-financières depuis leur construction…

 

Voici cet arrêt du Conseil d’Etat :

 

Conseil d’État, 6ème et 5ème chambres réunies, 26/06/2019, 416924
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Références

Conseil d’État

N° 416924
ECLI:FR:CECHR:2019:416924.20190626
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
6ème et 5ème chambres réunies
Mme Fanélie Ducloz, rapporteur
M. Stéphane Hoynck, rapporteur public
SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE ; SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS ; SCP SEVAUX, MATHONNET, avocats
lecture du mercredi 26 juin 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral

Vu la procédure suivante :

L’association Pays Rochefortais Alert’, l’association Nature Environnement 17 et l’association Zero Waste France, d’une part, le comité régional de la conchyliculture Poitou-Charentes, d’autre part, ont demandé au tribunal administratif de Poitiers d’annuler l’arrêté du 15 octobre 2014 par lequel le préfet de la Charente-Maritime a autorisé le Syndicat intercommunautaire du littoral (SIL) à exploiter une installation de traitement bio-mécanique de déchets sur le territoire de la commune d’Echillais. Par un jugement n° 1501376, 1500803 du 23 mars 2017, le tribunal administratif a annulé cet arrêté du 15 octobre 2014.

Par un arrêt n° 17BX01387, 17BX01388 du 12 décembre 2017, la cour administrative d’appel de Bordeaux a, sur appel du Syndicat intercommunautaire du littoral (SIL), annulé ce jugement mais, statuant par la voie de l’évocation, a annulé l’arrêté du 15 octobre 2014 du préfet de la Charente-Maritime.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un autre mémoire, enregistrés les 28 décembre 2017, 28 mars 2018 et 26 mars 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le Syndicat intercommunautaire du littoral (SIL) demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt en tant qu’il annule l’arrêté préfectoral du 15 octobre 2014 et qu’il statue sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit dans cette mesure à ses conclusions d’appel ;

3°) de mettre à la charge des associations Pays Rochefortais Alert’, Nature Environnement 17 et Zero Waste France ainsi que du comité régional de la conchyliculture Poitou-Charentes la somme de 8 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux qu’il attaque est entaché :
– d’une erreur de droit en ce qu’il juge, pour annuler l’autorisation préfectorale, que l’installation autorisée méconnaît les dispositions de l’article L. 541-1 du code de l’environnement, dans leur rédaction issue de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, alors que celles-ci sont dépourvues de portée normative ;
– d’une erreur de droit et d’une insuffisance de motivation en ce qu’il juge que les dispositions de l’article L. 541-1 du code de l’environnement, dans leur rédaction issue de la loi du 17 août 2015, sont applicables à l’installation en cause alors que celles-ci ne concernent que les installations de traitement des déchets ménagers dont l’exploitation a été autorisée postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi ;
– d’une erreur de droit en ce qu’il juge qu’il résulte des dispositions des articles L. 541-1 et L. 512-14 du code de l’environnement, dans leur rédaction issue de la loi du 17 août 2015, que l’objectif de généralisation du tri à la source doit, en principe, conduire l’autorité administrative à rejeter une demande d’autorisation de nouvelles installations de traitement de déchets comportant une usine de tri mécano-biologique, sans rechercher si l’installation autorisée était incompatible avec la hiérarchie des modes de traitement des déchets prévue au II de l’article L. 541-1 du code de l’environnement ;
– d’une erreur de qualification juridique en ce qu’il retient que l’autorisation litigieuse méconnaît la hiérarchie des modes de traitement des déchets ;
– d’irrégularité en ce qu’il ne s’est pas prononcé sur ses conclusions reconventionnelles, qui n’avaient pas été abandonnées en appel, tendant à la délivrance d’une autorisation provisoire d’exploiter l’installation en litige.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 janvier 2019, l’association Pays Rochefortais Alert’, l’association Nature Environnement 17 et l’association Zero Waste France concluent au rejet du pourvoi et à ce qu’une somme de 4 000 euros soit mise à la charge du Syndicat intercommunautaire du littoral (SIL) au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Les associations soutiennent que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par une intervention, enregistrée le 29 mars 2019, la société Soval Nord, venant aux droits de la société Setrad, demande que le Conseil d’Etat fasse droit aux conclusions du Syndicat intercommunautaire du littoral (SIL).
Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de l’environnement ;
– la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Fanélie Ducloz, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat du Syndicat intercommunal du littoral (SIL), à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l’association Pays Rochefortais Alert’ et autres et à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois avocat de la société Soval Nord ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 5 juin 2019, présentée par l’association Pays Rochefortais Alert’, l’association Nature Environnement 17 et l’association Zero Waste France ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le préfet de la Charente-Maritime a, au titre de la police des installations classées pour la protection de l’environnement, autorisé le Syndicat intercommunautaire du littoral (SIL) à exploiter une installation de traitement bio-mécanique des déchets ménagers sur le territoire de la commune d’Echillais par un arrêté du 15 octobre 2014. Par une convention en date du 15 juillet 2015, l’exploitation de cette installation a été confiée, dans le cadre d’une délégation de service public, à la société Setrad, aux droits de laquelle vient la société Soval Nord. Par un jugement du 23 mars 2017, à la demande de l’association Pays Rochefortais Alert’ et autres, le tribunal administratif de Poitiers a annulé cet arrêté. Par un arrêt du 12 décembre 2017 la cour administrative d’appel de Bordeaux, après avoir annulé ce jugement pour irrégularité, a prononcé l’annulation de l’arrêté du préfet du 15 octobre 2014. Le Syndicat intercommunautaire du littoral se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu’il annule l’arrêté du 15 octobre 2014, met à sa charge la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et rejette les conclusions qu’il avait présentées au titre de ces dispositions.

2. Eu égard à la nature et à l’objet du litige, la société Soval Nord, qui est l’exploitant de l’installation de traitement des déchets litigieuse, justifie d’un intérêt suffisant au maintien de l’arrêté en cause. Par suite, son intervention est recevable.

3. Le I de l’article L. 541-1 du code de l’environnement, dans sa rédaction issue de la loi de transition énergétique du 17 août 2015, définit les objectifs de la politique nationale de prévention et de gestion des déchets. Il prévoit notamment, par son 4°, que : ” (…) La généralisation du tri à la source des biodéchets, en orientant ces déchets vers des filières de valorisation matière de qualité, rend non pertinente la création de nouvelles installations de tri mécano-biologique d’ordures ménagères résiduelles n’ayant pas fait l’objet d’un tri à la source des biodéchets, qui doit donc être évitée et ne fait, en conséquence, plus l’objet d’aides des pouvoirs publics (…) “.

4. Il résulte des termes de cet article, éclairés par les travaux parlementaires ayant conduit à l’adoption de la loi de transition énergétique, que le législateur n’a entendu viser que la création, postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi, de nouvelles installations de tri mécano-biologique d’ordures ménagères. Il s’ensuit que les objectifs ainsi fixés par la loi ne sauraient, en tout état de cause, s’appliquer à des installations de tri ayant été autorisées avant le 19 août 2015, date d’entrée en vigueur de la loi du 17 août 2015.

5. Il résulte de ce qui précède qu’en se fondant sur les termes de l’article L. 541-1 du code de l’environnement dans leur rédaction issue de la loi du 17 août 2015 pour annuler l’arrêté préfectoral du 15 octobre 2014 ayant autorisé l’installation en cause, la cour administrative d’appel de Bordeaux a commis une erreur de droit. Par suite, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, le Syndicat intercommunautaire du littoral est fondé à demander l’annulation des articles 4, 6 et 7 de l’arrêt qu’il attaque.

6. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du Syndicat intercommunautaire du littoral, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par l’association Pays Rochefortais Alert’ et autres au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’association Pays Rochefortais Alert’, l’association Nature Environnement 17 et l’association Zero Waste France une somme globale de 3 000 euros, et du comité régional de la conchyliculture Poitou-Charentes une somme de 1 000 euros, qui seront versées au Syndicat intercommunautaire du littoral au même titre.
D E C I D E :
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Article 1er : L’intervention de la société Soval Nord est admise.
Article 2 : Les articles 4, 6 et 7 de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 12 décembre 2017 sont annulés.
Article 3 : L’affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d’appel de Bordeaux.
Article 4 : L’association Pays Rochefortais Alert’, l’association Nature Environnement 17 et l’association Zero Waste France verseront au Syndicat intercommunautaire du littoral (SIL) une somme globale de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Le comité régional de la conchyliculture Poitou-Charentes versera au Syndicat intercommunautaire du littoral (SIL) une somme de 1 000 euros au titre des mêmes dispositions.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au Syndicat intercommunautaire du littoral (SIL), à l’association Pays Rochefortais Alert’, premier défendeur dénommé, au comité régional de la conchyliculture Poitou-Charentes et à la société Soval Nord.
Copie en sera adressée au ministre d’Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.