Le présent blog a souvent tenté de faire la lumière juridique sur les divers contentieux en matière de couvre-feux covidiens (avec une grille de lecture, en droit, qui diffère entre arrêtés préfectoraux ou municipaux, au moins durant l’état d’urgence sanitaire). Voir :
- Le juge administratif commence à éteindre les couvre-feux préfectoraux [mise à jour au 28/5]
- Un TA refuse de réduire en flammes un couvre-feu municipal.
- Covid-19 : la bataille du couvre-feu
- Après les affaires de Lisieux, de Saint-Ouen, puis maintenant de Nice et de Cholet : le point sur les arrêtés couvre-feux
- Covid-19 : le pouvoir de police des maires est-il en quarantaine ? [VIDEO]
- Covid-19 : un autre TA admet le principe d’arrêtés de police du maire (couvre-feux, circulations…)… mais avec un rigoureux contrôle du caractère proportionné de ces arrêtés
Oui mais le feu viral brûle encore vivement dans cette partie de la France qui avoisine le… Brésil, à savoir la Guyane.
Dans le contexte de l’épidémie du covid-19 affectant la Guyane et sur le fondement notamment du décret n° 2020-663 du 31 mai 2020 modifié prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, le préfet de la Guyane a pris successivement quatre arrêtés en date des 22 juin, 25 juin, 26 juin et 30 juin 2020 portant mesures de prévention et restrictions nécessaires dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19. Ces mesures sont drastiques à un point inédit en France à notre connaissance.
Un chef d’entreprise, M. A., une entreprise et une organisation professionnelle, invoquant la violation de plusieurs libertés fondamentales, à savoir la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre, la liberté du travail et la liberté personnelle, ont demandé au juge des référés du tribunal, par référé liberté, la suspension de l’exécution des articles 5, 18 et 20 de l’arrêté du 30 juin 2020, par lesquels le préfet de la Guyane a réglementé les déplacements sur le territoire guyanais, notamment en avançant le couvre-feu de 19 heures à 17 heures en semaine sur le territoire de la plupart des communes guyanaises, a prescrit la fermeture des commerces hors les pharmacies et les stations-service, à 16 heures 30 du lundi au vendredi sur le territoire des mêmes communes et a limité l’accueil du public par les restaurants et débits de boisson aux activités de livraison et de vente à emporter, au room service des restaurants d’hôtels et à la restauration collective.
L’ordonnance a relevé, s’agissant de l’extension du couvre-feu et de la fermeture des commerces dès 16 heures 30 en semaine que les affirmations des requérants selon lesquelles les mesures en litige auraient pour effet, en restreignant la plage horaire libre de couvre-feu, d’affecter l’organisation et le chiffre d’affaires des entreprises, la vie des salariés et celle des habitants du territoire, n’étaient étayées par aucun élément concret justifiant la réalité des effets négatifs excessifs invoqués, à savoir la désorganisation des entreprises, la mise en péril de celles-ci, l’impact social induit, les atteintes portées à la vie des salariés et des habitants et, d’une manière générale, les conséquences de telles restrictions sur la crise sanitaire elle-même. Pareillement, s’agissant de la mesure affectant les restaurants et débits de boissons, lieux de rassemblement et de circulation des personnes, l’ordonnance a estimé que dans le contexte épidémique actuel, la mesure était nécessaire, adaptée et proportionnée.
Dans ces conditions et alors même que le préfet n’a produit que très peu d’éléments tangibles justifiant que le couvre-feu soit avancé de 19 heures à 17 heures en semaine selon le Tribunal lui-même (ce qui est un tacle juridictionnel fait à la Préfecture, pour cause de faible défense, faut-il traduire…), la chambre des référés du tribunal a rejeté cette demande par une ordonnance du 3 juillet 2020.
Voici cette intéressante décision :
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE LA GUYANE
N° 2000506
___________
M. A
Société COMPUTER GUYANE
UNION SYNDICALE DES OPERATEURS TOURISTIQUE DE GUYANE ___________
M. Martin Président-rapporteur ___________
Ordonnance du 3 juillet 2020
LM / SM
– REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
La chambre des référés,
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 30 juin et 2 juillet 2020, M. A, la société Computer Guyane et l’Union syndicale des opérateurs touristiques de Guyane demandent au juge des référés dans le dernier état de leurs écritures :
1°) d’ordonner, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution des articles 5 – I, 18 – III et 20 de l’arrêté n° R03- 2020-06-25-002 du 25 juin 2020 portant mesures de prévention et restrictions nécessaires dans le département de la Guyane dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19, en tant que par ceux-ci le préfet de la Guyane a, notamment :
– en premier lieu, interdit tout déplacement entre 17 heures et 5 heures du lundi au vendredi sur le territoire des communes, d’une part, de Camopi, Cayenne, Iracoubo, Kourou, Macouria, Matoury, Montsinéry-Tonnégrande, Régina, Rémire-Montjoly, Roura, Sinnamary et Saint-Georges, et, d’autre part, sur le territoire des communes d’Apatou, Awala-Yalimapo, Grand- Santi, Mana, Maripasoula, Papaïchton et Saint-Laurent du Maroni ;
– en deuxième lieu, prescrit la fermeture des commerces hors les pharmacies et les stations-service, uniquement pour la vente de carburant, à 16 heures 30 du lundi au vendredi sur le territoire des communes, d’une part, de Camopi, Cayenne, Iracoubo, Kourou, Macouria, Matoury, Montsinéry-Tonnégrande, Régina, Rémire-Montjoly, Roura, Sinnamary et Saint-Georges et, d’autre part, sur le territoire des communes d’Apatou, Awala-Yalimapo, Grand-Santi, Mana, Maripasoula, Papaïchton et Saint-Laurent du Maroni ;
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– en troisième lieu, a limité l’accueil du public par les restaurants et débits de boisson aux activités de livraison et de vente à emporter, au room service des restaurants d’hôtels et à la restauration collective.
2°) d’ordonner, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution des articles 5 – I, 18 – III et 20 de l’arrêté n° R03- 2020-06-3025-003 du 30 juin 2020 portant mesures de prévention et restrictions nécessaires dans le département de la Guyane dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19, par lesquels le préfet de la Guyane a diminué la liberté de circuler et de travailler en :
– en premier lieu, en interdisant tout déplacement entre 17 heures et 5 heures du lundi au vendredi sur le territoire des communes, de première part de Camopi, Cayenne, Iracoubo, Kourou, Macouria, Matoury, Montsinéry-Tonnégrande, Régina, Rémire-Montjoly, Roura et Sinnamary, le couvre-feu étant par ailleurs fixé à 13 heures le samedi sur le territoire de ces communes, de deuxième part des communes d’Apatou, Awala-Yalimapo, Grand-Santi, Mana, Maripasoula, Papaïchton et Saint-Laurent du Maroni et, de troisième part, sur le territoire de la commune de Saint-Georges ;
– en deuxième lieu, a prescrit la fermeture des commerces hors les pharmacies et les stations-service, uniquement pour la vente de carburant, à 16 heures 30 du lundi au vendredi sur le territoire des communes de première part de Camopi, Cayenne, Iracoubo, Kourou, Macouria, Matoury, Montsinéry-Tonnégrande, Régina, Rémire-Montjoly, Roura et Sinnamary, de deuxième part des communes d’Apatou, Awala-Yalimapo, Grand-Santi, Mana, Maripasoula, Papaïchton et Saint-Laurent du Maroni et, de troisième part, sur le territoire de la commune de Saint-Georges ;
– en troisième lieu, a limité l’accueil du public par les restaurants et débits de boisson aux activités de livraison et de vente à emporter, au room service des restaurants d’hôtels et à la restauration collective.
M. A et autres soutiennent que :
– les mesures en cause portent une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés d’aller et venir, à la liberté du travail, à la liberté d’entreprendre et au droit à chacun au respect de sa liberté personnelle ;
– les mesures de police comprises dans les articles 5 et 18 des arrêtés pris le 25 juin 2020 et le 30 juin 2020, avançant le couvre-feu du lundi au vendredi de 19 heures à 17 heures ainsi que le samedi à 13 heures et la fermeture des commerces de 18 heures à 16 heures 30 ne sont ni adaptées, ni nécessaires, ni proportionnées aux risques sanitaires encourus ; le couvre- feu fixé à 19 heures était cohérent, respecté par la majorité des guyanais et d’impact limité sur l’activité des commerces ; il a été avancé à 17 heures seulement quatre jours après son instauration à 19 heures, sans qu’il ait été possible d’apprécier les effets du couvre-feu fixé à 19 heures ; l’activité des entreprises qui perdent 10 heures de travail par salarié et par semaine en est affectée ; il en va de même de leurs chiffres d’affaires ; l’impact social du couvre-feu à 17 heures est certain ; les services de l’Etat ne démontrent pas le bénéfice attendu du changement d’horaire au regard des très nombreux inconvénients qu’il engendre ;
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– la pertinence des mesures réglementant l’accueil du public par les restaurants et débits de boisson n’est pas démontrée alors que l’impact économique et social est extrêmement lourd pour ce secteur d’activité.
Par un mémoire en défense enregistré le 2 juillet 2020, le préfet de la Guyane conclut, à titre principal, au non-lieu à statuer ainsi qu’à l’irrecevabilité du déféré dès lors que M. A ne justifie pas d’un intérêt à agir et, à titre subsidiaire, au rejet au fond.
Le préfet de la Guyane fait valoir, à titre principal, qu’il n’y a pas lieu à statuer sur la requête dès lors que l’arrêté contesté du 25 juin 2020 a été abrogé par un arrêté du 26 juin 2020 lui- même abrogé par l’article 29 de l’arrêté 30 juin 2020, que l’intérêt à agir de M. A n’est pas établi et expose, à titre subsidiaire, que l’urgence n’est pas établie et que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
-
- – la Constitution du 4 octobre 1958, notamment son préambule ;
- – la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales ;
-
- – le code de la santé publique ;
- – la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- – la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 ;
- – l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020, notamment ses articles 6 et 7 ;
- – le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 ;
- – le décret n° 2020-663 du 31 mai 2020 ;
- – le décret n° 2020-724 du 14 juin 2020 ;
- – le décret n° 2020-759 du 21 juin 2020 ;
- – les arrêtés du préfet de la Guyane en date des 25, 26 et 30 juin 2020 ;
- – le code de justice administrative.
En application du troisième alinéa de l’article L. 511-2 du code de justice administrative, le président du tribunal administratif de la Guyane a décidé que la nature de l’affaire justifiait qu’elle soit jugée par une formation composée de trois juges des référés.
Par décision du 5 février 2019, le président du tribunal administratif de la Guyane a désigné M. Bilate, premier conseiller, et M. Vollot, conseiller, pour statuer sur les demandes de référés.
Par une lettre en date du 2 juillet 2019, les parties ont été informées, en application des dispositions de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l’ordonnance était susceptible d’être fondée sur un moyen d’ordre public relevé d’office, tiré de l’existence d’une cause de non-lieu à statuer dès lors que l’arrêté contesté du 25 juin 2020 a été abrogé par un arrêté du 26 juin 2020 lui-même abrogé par un arrêté du 30 juin 2020.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
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Ont été entendus au cours de l’audience :
-
- – le rapport de M. Martin,
- – les observations de M. A qui, se prévalant de ses qualités de chef d’entreprise et de
citoyen, invoque l’urgence en ce qui concerne nombre d’entreprises affectées par les mesures prises et désormais proches de la faillite, conteste l’utilité d’un couvre-feu instauré dès 17 heures et de la fermeture des commerces dès 16 heures 30 sans que l’impact en ait été déterminé, pointe un défaut de cohérence de cette mesure dans un contexte économique et social déjà dégradé, affirme que le couvre-feu à 19 heures était en revanche adapté et proportionné, et enfin relève que l’activité des restaurants est fortement contrainte alors que ceux-ci avaient investi pour observer les prescriptions sanitaires ;
– et celles de Mmes Labat et Durrieu, en présence de Mme Rivière, pour le préfet de la Guyane qui ont contesté l’intérêt à agir de M. A, ont estimé que la condition d’urgence n’était pas démontrée en l’espèce, et ont ajouté que les mesures en cause étaient nécessaires, adaptées et proportionnées dans le contexte épidémiologique actuel en Guyane, avec un taux d’incidence constaté au 25 juin de 465 pour 100.000 habitants, des risques de débordements pour les capacitéssanitaires, des mesures prises (masques, tests…) pour contenir et circonscrire le virus, du fait que des restaurants et débits de boisson seraient facteurs de rassemblements favorisant la propagation du virus et enfin des mesures prises de soutien à l’économie locale.
La clôture de l’instruction a été fixée le 3 juillet 2020 à 10 heures, heure locale, à l’issue de l’audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. L’article L. 511-1 du code de justice administrative dispose que : « Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n’est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais. ». Aux termes de l’article L. 521-2 du même code : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ».
2. L’émergence du coronavirus covid-19, de caractère pathogène et particulièrement contagieux et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique. En particulier, par un arrêté du 14 mars 2020, un grand nombre d’établissements recevant du public ont été fermés au public, les rassemblements de plus de 100 personnes ont été interdits et l’accueil des enfants, élèves et étudiants dans les établissements les recevant et les établissements scolaires et universitaires a été suspendu. Puis, par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l’épidémie de covid-19, modifié par décret du 19 mars, le Premier ministre a interdit sur l’ensemble du territoire le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d’exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, à compter du 17mars2020, sans préjudice de mesures plus strictes susceptibles d’être ordonnées par le représentant de l’Etat dans le département. Le ministre des solidarités et de la santé a pris des mesures complémentaires par plusieurs arrêtés successifs.
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3. Par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, a été déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois sur l’ensemble du territoire national. Par un nouveau décret du 23 mars 2020 pris sur le fondement de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique issu de la loi du 23 mars 2020, plusieurs fois modifié et complété depuis lors, le Premier ministre a réitéré les mesures précédemment ordonnées tout en leur apportant des précisions ou restrictions complémentaires. Leurs effets ont été prolongés en dernier lieu par décret du 14 avril 2020. Par un décret du 11 mai 2020, pris sur le fondement de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, le Premier ministre a prescrit les nouvelles mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, habilitant par son article 27 les préfets à adopter des mesures plus restrictives en matière de déplacement des personnes, d’accueil du public et de réunions. Enfin, par un décret du 31 mai 2020, puis par deux autres décrets, le premier du 14 juin 2020 et le second du 21 juin 2020, il a modifié ces mesures générales pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, le territoire de la Guyane étant classé en zone orange au regard de sa situation sanitaire par effet de l’annexe 2 à l’article 4 du décret du 31 mai 2020 modifié.
Sur le cadre juridique du litige, l’office du juge des référés et libertés fondamentales en jeu :
4. Dans l’actuelle période d’état d’urgence sanitaire, il appartient aux différentes autorités compétentes de prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l’épidémie. Ces mesures, qui peuvent limiter l’exercice des droits et libertés fondamentaux doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent.
5. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1 et L. 521-2 du code de justice administrative qu’il appartient au juge des référés, lorsqu’il est saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 et qu’il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, résultant de l’action ou de la carence de cette personne publique, de prescrire les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, dès lors qu’existe une situation d’urgence caractérisée justifiant le prononcé de mesures de sauvegarde à très bref délai. Ces mesures doivent, en principe, présenter un caractère provisoire, sauf lorsque aucune mesure de cette nature n’est susceptible de sauvegarder l’exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Sur le fondement de l’article L. 521-2, le juge des référés peut ordonner à l’autorité compétente de prendre, à titre provisoire, des mesures d’organisation des services placés sous son autorité, dès lors qu’il s’agit demesures d’urgence qui lui apparaissent nécessaires pour sauvegarder, à très bref délai, la liberté fondamentale à laquelle il est gravement, et de façon manifestement illégale, porté atteinte. Le caractère manifestement illégal de l’atteinte doit s’apprécier notamment en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a déjà prises.
6. Pour l’application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre, la liberté du travail et le droit à chacun au respect de sa liberté personnelle constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de cet article.
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Sur la demande adressée au juge des référés :
7. Le 30 juin 2020, M. A et la société Computer Guyane, puis le 2 juillet 2020 les mêmes et l’Union syndicale des opérateurs touristiques de Guyane ont saisi le juge des référés du tribunal, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, de demandes tendant à la suspension de l’exécution des articles 5-I, 18-III et 20 de l’arrêté du 25 juin 2020 portant mesures de prévention et restrictions nécessaires dans le département de la Guyane dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19, puis des articles 5-I, 18-III et 20 de l’arrêté du 30 juin 2020 portant mesures de prévention et restrictions nécessaires dans le département de la Guyane dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19.
Sur l’exception de non-lieu à statuer opposée par le préfet de la Guyane et soulevée d’office :
8. D’une part, dès lors que l’arrêté R03-2020-06-25-002 du 25 juin 2020 a été abrogé par l’article 29 de l’arrêté n° R03-2020-06-26-001 du 26 juin 2020 et que ce dernier arrêté a été abrogé par l’article 29 de l’arrêté du 30 juin 2020, les conclusions présentées à l’encontre de l’arrêté du 25 juin 2020 sont privées d’objet. Ainsi, le préfet de la Guyane est fondé à opposer l’exception de non-lieu à statuer à l’égard de l’arrêté du 25 juin 2020. Par suite, il n’y a pas lieu destatuer sur les conclusions dirigées à l’encontre de cet arrêté.
9. D’autre part, les requérants ont formé des conclusions aux fins de suspension des articles 5, 18 et 20 de l’arrêté n° R03-2020-06-30-003 du 30 juin 2020 produit à l’instance par les requérants. Ces conclusions ne sont pas dépourvues d’objet dès lors que cet arrêté est toujours applicable et n’a pas été abrogé. Par suite, il y a lieu de statuer sur ces conclusions.
10. Il y a ainsi lieu de statuer uniquement sur les conclusions à fin de suspension dirigées à l’encontre de l’exécution des articles 5-I, 18-III et 20 de l’arrêté n° R03-2020-06-30-003 du 30 juin 2020 portant mesures de prévention et restrictions nécessaires dans le département de la Guyane dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19, par lesquels, premièrement, le préfet de la Guyane a interdit tout déplacement entre 17 heures et 5 heures du lundi au vendredi sur le territoire, d’une part, des communes de Camopi, Cayenne, Iracoubo, Kourou, Macouria, Matoury, Montsinéry-Tonnégrande, Régina, Rémire-Montjoly, Roura et Sinnamary, et, d’autre part, des communes d’Apatou, Awala-Yalimapo, Grand-Santi, Mana, Maripasoula, Papaïchton et Saint-Laurent du Maroni, deuxièmement a prescrit la fermeture des commerces hors les pharmacies et les stations-service, uniquement pour la vente de carburant, à 16 heures 30 du lundi au vendredi sur le territoire, d’une part, des communes de Camopi, Cayenne, Iracoubo, Kourou, Macouria, Matoury, Montsinéry-Tonnégrande, Régina, Rémire-Montjoly, Roura et Sinnamary, et d’autre part, sur le territoire des communes d’Apatou, Awala-Yalimapo, Grand- Santi, Mana, Maripasoula, Papaïchton et Saint-Laurent du Maroni., troisièmement a limité l’accueil du public par les restaurants et débits de boisson aux activités de livraison et de vente à emporter, au room service des restaurants d’hôtels et à la restauration collective.
Sur l’intérêt donnant qualité à agir :
11. L’arrêté du 30 juin 2020 a pour objet, notamment, de réglementer tout déplacement de personnes, d’instaurer un couvre-feu, et de limiter dans le temps l’activité des commerces dans le département de la Guyane. Ainsi, il restreint, en particulier, la liberté d’aller et venir, la liberté du travail ainsi que la liberté d’entreprendre à l’échelle de l’ensemble du territoire guyanais. M. A a
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intérêt et par suite qualité en tant qu’habitant de la Guyane et entrepreneur, pour demander la suspension de l’arrêté en cause. Il en va de même de la société Computer Guyane dont M. A est le gérant et de l’Union syndicale des opérateurs touristiques de Guyane.
Sur l’urgence :
12. Les requérants demandent au juge des référés, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l’exécution de l’arrêté du 30 juin 2020, par lequel le préfet de la Guyane organise le couvre-feu, prescrit les horaires d’ouverture des commerces et restreint l’activité des restaurants et débits de boissons. A l’appui de cette demande, ils invoquent l’impact immédiat des mesures en cause pour les habitants, les salariés et les entreprises du territoire. Ce faisant et au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, ils justifientsuffisamment de l’urgence que présenterait une levée des mesures soumises au juge des référés.
Sur les articles 5-I et 18-III de l’arrêté du 30 juin 2020 :
13. Aux termes de l’article 5-I de l’arrêté n° R03-2020-06-30-003 du 30 juin 2020 : « I. – Sans préjudice de l’application des dispositions des articles 2 à 4, tout déplacement est interdit, en dehors des exceptions prévues au II : 1° entre 17 heures et 5 heures du lundi au vendredi et du samedi 15 heures au lundi à 5 heures sur le territoire des communes de Camopi, Cayenne, Iracoubo, Kourou, Macouria, Matoury, Montsinéry-Tonnégrande, Régina, Rémire-Montjoly, Roura et Sinnamary ; 2° entre 17 heures et 5 heures du lundi au vendredi (…) sur le territoire des communes d’Apatou, Awala-Yalimapo, Grand-Santi, Mana, Maripasoula, Papaïchton et Saint- Laurent du Maroni. (…) II. Les exceptions mentionnées au I. concernent les déplacements pour les motifs suivants : 1° trajets entre le lieu de résidence et l e ou les lieux d’exercice de l’activité professionnelle et déplacements professionnels insusceptibles d’êtres différés, y compris les livraisons de fret ;2° déplacements pour motifs de santé à l’exception des consultations et soins pouvant être assurés à distance et, sauf pour les patients atteints d’une affection de longue durée, de ceux qui peuvent être différés ; 3° déplacements pour motif familial impérieux, pour l’assistance des personnes vulnérables et pour la garde d’enfants ;4° déplacements brefs, dans la limite d’une heure quotidienne et dans un rayon maximal d’un kilomètre autour du domicile, liés soit à l’activité physique individuelle des personnes, à l ‘exclusion de toute pratique sportive collective et de toute proximité avec d’autres personnes, soit à la promenade avec les seules personnes regroupées dans un même domicile, soit aux besoins des animaux de compagnie ;5° déplacements aux seules fins de participer à des missions d’intérêt général sur demande de l’autorité administrative et dans les conditions qu’elle précise. (…). Aux termes de l’article 18 du même arrêté : « (…) III – Afin de permettre aux clients de respecter la mesure portant restriction de circulation énoncée au I. de l’article 5, les commerces peuvent ouvrir à 6h00 et cessent d’accueillir du public, à l’exception des pharmacies pour la vente exclusive de médicaments sur présentation d’une ordonnance ainsi que des stations-services, uniquement pour la vente de carburant : 1° à 16h30 du lundi au vendredi (…) lorsqu’ils sont situés sur le territoire des communes de Camopi, Cayenne, Iracoubo, Kourou, Macouria, Matoury, Montsinéry-Tonnégrande, Régina, Rémire-Montjoly, Roura et Sinnamary ; 2° à 16h30 du lundi au samedi, lorsqu’ils sont situés sur le territoire des communes d’Apatou, Awala-Yalimapo, Grand-Santi, Mana, Maripasoula, Papaïchton et Saint- Laurent du Maroni ; (…) ».
14. D’une part, si les requérants demandent le retour du couvre-feu le samedi à 15 heures, ils n’accompagnent leurs conclusions d’aucun moyen permettant d’en préciser la portée. Ces conclusions doivent ainsi être rejetées. D’autre part, il résulte de l’instruction, en particulier des motifs de l’arrêté litigieux, des écritures du préfet de la Guyane et des observations des parties
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au cours de l’audience, que la mesure de police réglementant tout déplacement sur le territoire guyanais, à l’exception de Saint-Georges, Saül, Ouanary et Saint-Elie, entre 17h et 5h les jours de semaine, est rendue nécessaire, selon le préfet, par la situation épidémiologique que connaît la Guyane et le risque de débordements du système de santé dans le contexte de forte augmentation du nombre des hospitalisations et d’admissions en réanimation et le constat par les forces de sécurité intérieure de la persistance de rassemblements en fin de journée et la nuit sur la voie publique et devant certains établissements proposant à la vente de l’alcool à emporter, notamment sur l’île de Cayenne. A cet égard il cite, s’agissant de la tranche horaire allant de 17 à 19 heures, trois constats d’infraction, l’une commise le mercredi 17 juin à 17h20 dans le quartier Balata de Matoury, une vingtaine de jeunes jouant au football, les deux autres commises à Cayenne le jeudi 25 juin entre 18h30 et 19 heures, constituées de rassemblements de jeunes gens (vingt et cinquante personnes) jouant également au football dans les quartiers Horth et Cabassou. Le préfet relève en outre le caractère proportionné et adapté de la réponse de l’Etat dans la situation de crise sanitaire que connaît la Guyane que constitue un couvre-feu élargi en semaine dès 17 heures, destiné à renforcer le freinage de l’épidémie. Il invoque également diverses mesures destinées à réduire la transmission du virus telles que la distribution gratuite de masques, l’identification des personnes positives par le moyen de tests, la possibilité de l’isolement dans un lieu dédié des malades du Covid, les mesures prises en particulier pour les habitants des quartiers informels, l’arrivée de renforts sanitaires, la réalisation d’évacuations sanitaires et l’augmentation des capacités d’hospitalisation. Enfin, le préfet se prévaut des mesures de soutien prises par l’Etat destinées à réduire les conséquences des mesures prises en matière économique et sociale. Pour leur part, les requérants qui estiment que le couvre-feu imposé à 19 heures et la fermeture des commerces fixée à 18 heures 30 par l’arrêté du 22 juin 2020 constituaient des mesures adaptées et proportionnées, pointent le fait que les mesures en litige ont pour effet, en réduisant la plage horaire sans couvre- feu, d’affecter l’organisation et le chiffre d’affaires des entreprises, la vie des salariés et celle des habitants du territoire. Cependant, et alors même que le préfet n’a pas produit d’éléments tangibles justifiant que le couvre-feu soit avancé de 19 heures à 17 heures en semaine hors le relevé de trois incidents constatés à Cayenne et Matoury ainsi qu’il est dit plus haut ni apporté de précisions sur le bilan des inconvénients et des avantages qui l’a conduit à avancer le couvre-feu, en semaine, de 19 heures à 17 heures et la fermeture des commerces de 18h30 à 16h30, les requérants, en dépit d’une clôture d’instruction différée, se sont bornés à produire les arrêtés litigieux et n’ont, ainsi, communiqué au tribunal aucun élément concret justifiant la réalité des effets négatifs excessifs invoqués, à savoir la désorganisation des entreprises, la mise en péril de celles-ci, l’impact social induit, les atteintes portées à la vie des salariés et des habitants et, d’une manière générale, les conséquences de telles restrictions sur la gestion de la crise sanitaire. Par suite, M. A et autres ne sont pas fondés à soutenir que l’exécution des articles 5-I et 18-III de l’arrêté du 30 juin 2020 porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
Sur l’article 20 de l’arrêté du 30 juin 2020 :
15. Aux termes de l’article 20 de l’arrêté n° R03-2020-06-30-003 du 30 juin 2020 : « L’accueil du public par les restaurants et débits de boissons est limité aux activités de livraison et de vente à emporter, au room service des restaurants d’hôtels et à la restauration collective sous contrat, dans des conditions permettant le respect des dispositions de l’article 5. ».
16. Il résulte de l’instruction que les restaurants et débits de boisson constituent des lieux de rassemblement et de circulation des personnes. Dans les conditions épidémiologiques sanitaires que décrit le préfet, non contestées par les requérants, et alors même que les restaurateurs ont pris à compter du 2 juin 2020 les décisions d’investissement leur permettant d’accueillir leur
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clientèle dans le respect des règles sanitaires, la mesure en litige qui autorise le maintien d’une activité minimum des entreprises doit être regardée comme nécessaire, adaptée et proportionnée. Par suite et sans qu’il soit besoin pour la chambre des référés de se prononcer sur l’intérêt donnant qualité à agir des requérants sur ce point, M. A et autres ne sont pas fondés à soutenir que l’exécution de l’article 20 de l’arrêté du 30 juin 2020 porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
17. Ainsi les conclusions, présentées au titre de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, tendant à la suspension de l’exécution de l’article 20 de l’arrêté n° R03-2020-06-30- 003 du 30 juin 2020 doivent être rejetées.
18. Il résulte de tout ce qui précède que M. A et autres ne sont pas fondés dans leur requête, celle-ci devant par suite être rejetée.
O R D O N NE :
Article 1er : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions aux fins de suspension présentées à l’encontre de l’exécution des articles 5, 18 et 20 de l’arrêté du 25 juin 2020.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A et autres est rejeté. Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A et au préfet de la Guyane.
La présente ordonnance sera communiquée à la société Computer Guyane et à l’Union syndicale des opérateurs touristiques de Guyane.
Délibéré après l’audience du 2 juillet 2020, à laquelle siégeaient :
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M. Martin, président,
M. Bilate, juge des référés, M. Vollot, juge des référés.
Fait à Cayenne, le 3 juillet 2020.
Le juge des référés le plus ancien, Signé
X. BILATE
Le président-rapporteur de la chambre des référés,
Signé
L. MARTIN
La République mande et ordonne au préfet de la Guyane en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme,
Le Greffier en Chef,
Ou par délégation le greffier,
Signé
S. MERCIER