Le Conseil d’Etat vient de rendre une décision importante en matière d’impartialité (I) des formations en charge des poursuites en amont de sanctions, d’une part, et quant à la portée des moyens contentieux invoquant le principe de non rétroactivité des lois portant des sanctions plus sévères, d’autre part (II).
I. Portée de ce nouvel arrêt en matière d’impartialité des formations en charge des poursuites en amont de sanctions
En matière de dopage, mais avec des formulations qui s’étendent à tous les rouages administratifs en charge de poursuites à un titre ou un autre, le Conseil d’Etat vient de poser que le principe d’impartialité des juridictions ne peut être invoqué à l’encontre de l’autorité assurant les fonctions de poursuite.
Ce principe d’impartialité des juridictions :
- découle de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen,
- se retrouve également au paragraphe 1 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (conv. EDH [ou CEDH au prix alors d’un risque de confusion avec la Cour du même nom).
Ce principe et ses obligations sont-ils applicables à l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), autorité publique indépendante dotée d’un pouvoir de sanction ?
Oui bien sûr. Il en résulte notamment l’obligation d’une séparation entre, d’une part, les fonctions de poursuite des éventuels manquements et, d’autre part, les fonctions de jugement de ces mêmes manquements.
MAIS, pose la Haute Assemblée, ce principe ne peut être opposé à l’autorité assurant les fonctions de poursuite, qui n’est pas appelée à décider d’une éventuelle sanction.
On le voit, on retrouvera cette règle (et donc cette limite) dans nombre d’autres procédures sanctionnatrices.
En l’espèce, le Conseil d’Etat en déduit que la circonstance que des membres du collège de l’AFLD qui avaient fait partie de la formation disciplinaire ayant adopté la première sanction, infligée au requérant le 5 avril 2018 puis annulée par le Conseil d’Etat le 28 février 2019 (n° 423635), aient participé à la délibération du collège de l’AFLD qui a décidé, le 5 septembre 2019, d’engager de nouvelles poursuites à l’encontre de l’intéressé est dépourvue d’incidence sur la régularité de la sanction prise, le 24 juin 2020, par la commission des sanctions de l’Agence.
Le moyen tiré de la méconnaissance du principe d’impartialité des juridictions découlant de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et rappelé par l’article 6 § 1 de la conv. EDH ne peut, ainsi, qu’être écarté comme inopérant.
Voir à ce sujet : CEDH, 18 décembre 1974, X. c/ République fédérale d’Allemagne, n° 6541/74.
II. Portée de ce nouvel arrêt quant à la portée des moyens contentieux invoquant le principe de non rétroactivité des lois portant des sanctions plus sévères
Dans ce même arrêt, le Conseil d’Etat a rendu une décision intéressante aussi quant à la portée des moyens contentieux invoquant le principe de non rétroactivité des lois portant des sanctions plus sévères.
Le principe de la non-rétroactivité de la loi (pénale et/ou administrative ?) plus sévère était soulevé par la partie requérante. En l’espèce, il y avait eu engagement par l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), après annulation d’une première sanction au motif que la fédération était seule compétente pour engager les poursuites, d’une nouvelle procédure de sanction à raison des mêmes faits. Mais le Conseil d’Etat a refusé cette argumentation dès lors que l’AFLD était devenue compétente à la date de cette nouvelle procédure.
Certes, par par sa décision n° 423635 du 28 février 2019, le Conseil d’Etat avait annulé la première sanction infligée le 5 avril 2018 au requérant par le collège de l’AFLD au motif que l’Agence n’était pas compétente pour sanctionner l’intéressé (pas la bonne fédération !).
Mais, pose la Haute Assemblée, cette annulation ne faisait, par elle-même, pas obstacle à ce qu’une nouvelle sanction puisse éventuellement être prononcée à l’encontre de l’intéressé dans le respect de la chose jugée par le Conseil d’Etat.
Or les dispositions de l’ordonnance n° 2018-178 du 19 décembre 2018, entrée en vigueur le 1er mars 2019, ont modifié les articles L. 232-22 et L. 232-23 du code du sport pour donner désormais compétence, respectivement, au collège de l’Agence et à sa commission des sanctions, et non plus à la fédération dont le sportif est licencié, pour engager les poursuites et pour sanctionner les manquements constatés à l’article L. 232-9 de ce code.
En vertu de ces dispositions issues de l’ordonnance du 19 décembre 2018, le collège et la commission des sanctions de l’Agence avaient compétence, après l’entrée en vigueur de l’ordonnance, pour, respectivement, engager des poursuites et y statuer, et ce même à l’égard de faits constatés antérieurement à cette entrée en vigueur, dès lors que ces faits étaient punissables à la date à laquelle ils ont été commis et qu’ils le demeuraient.
Ainsi, la circonstance que le Conseil d’Etat ait annulé la sanction prise le 5 avril 2018 pour le motif indiqué ne faisait pas obstacle à ce que puisse être engagée, à raison des mêmes faits, une nouvelle procédure de sanction dans le respect des règles de compétence applicables à la date de cette nouvelle procédure. Dès lors, cette nouvelle procédure de sanction ne méconnaît pas le principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère.
Sur ce point, cette jurisprudence est confirmative (cf. CE, 11 avril 2012, Banque Populaire Côte d’Azur, n° 336839, rec. T. pp. 550-565-596-597-965).
Voici ce nouvel arrêt
CE, 21 avril 2021, n° 443043, à mentionner aux tables du recueil Lebon
Voici aussi :
- Impartialité des juridictions : confirmation des exigences du Conseil constitutionnel en ce domaine (en l’espèce en matière de tribunaux pour enfants)
- La CJUE se reconnaît un droit à enjoindre, en référé, à un Etat de rétablir des éléments majeurs de son régime démocratique (impartialité et l’indépendance des juridictions)
- Sport, dopage et principe d’impartialité (décision du Conseil constitutionnel rendue ce jour)
- Impartialité, référé liberté et référé suspension
- Contentieux administratif : le principe d’impartialité progresse…
- etc.