Comment calculer le solde positif (reversable) d’un compte de campagne… quand par ailleurs le candidat a exposé des dépenses électorales non retracées dans son compte (notamment pour les bulletins de vote et circulaires) ?
Des dépenses non exposées dans le compte de campagne peuvent-elles donner lieu à remboursement pour le candidat ?
A ces questions, dans une affaire qui semble avoir tutoyé le grandiose en termes de gestion du compte de campagne, le Conseil d’Etat vient d’apporter des réponses logiques et nuancées :
- le candidat devra bien reverser le solde positif du compte de campagne sans pouvoir exciper d’une minoration de ce solde par des dépenses que ce candidat aurait du retracer dans son compte de campagne…
- Mais il pourra obtenir une minoration dudit solde positif au titre des dépenses exposées sur son compte personnel pour les dépenses dont il s’était acquitté sur ses fonds propres pour l’impression de bulletins de vote et de « professions de foi » (puisque ces dépenses sont hors comptes de campagne tout en relevant des dépenses électorales lato sensu).
Sans pouvoir échapper au passage à une petite inéligibilité bien sûr.
Il est des candidats dont la comptabilité électorale (comptes de campagne) s’avère à tout le moins étrangement tenue par le mandataire financier… Certes quand un candidat n’a pas assez de votes pour prétendre aux remboursements légaux, la comptabilité, souvent, se relâche… mais tout de même, il est des cas qui font penser aux pieds nickelés s’aventurant en campagne électorale.
Sur ce point, la position constante du juge administratif est la suivante :
« 4. Si, par dérogation à la formalité substantielle que constitue l’obligation de recourir à un mandataire pour toute dépense effectuée en vue de sa campagne, le règlement direct de menues dépenses par le candidat peut être admis, ce n’est qu’à la double condition que leur montant, en vertu des dispositions précitées de l’article L. 52-4 du code électoral, c’est-à-dire prenant en compte non seulement les dépenses intervenues après la désignation du mandataire financier mais aussi celles réglées avant cette désignation et qui n’auraient pas fait l’objet d’un remboursement par le mandataire, soit faible par rapport au total des dépenses du compte de campagne et négligeable au regard du plafond de dépenses autorisées fixé par l’article L. 52-11 du code électoral. »
Reste que se pose la question de la prise en compte desdites dépenses pour estimer le solde d’un tel compte, notamment quand le solde positif (hors apports des sommes avancées par le candidat lui-même) doit donner lieu à reversement (soit à une association de financement d’un parti politique, soit à un ou plusieurs établissement reconnus d’utilité publique), dans les conditions fixées par le dernier alinéa de l’article L. 52-6 du code électoral… ce qui minore donc la récupération par le candidat des dépenses par lui exposées sur ses fonds propres.
Hier, sur ce point, le Conseil d’Etat a posé que pour établir le montant devant faire l’objet de cette dévolution (soit à une association de financement d’un parti politique, soit à un ou plusieurs établissement reconnus d’utilité publique), le juge prend en compte :
- les dépenses exposées en vue de la campagne électorale par le mandataire
- les dépenses exposées en vue de ladite campagne par le candidat s’il n’en résulte aucun enrichissement personnel (bref hors de question de récupérer des sommes issues des dons bien sûr)
- MAIS ce à l’exception des dépenses irrégulièrement faites par ledit candidat et qu’il a omis de porter sur le compte de campagne qu’il a déposé dans les conditions fixées par l’article L. 52-12.
En l’espèce, le compte de campagne dudit candidat, qui avait frôlé les 1% à l’élection municipale de Bordeaux, faisait apparaître :
- un montant de recettes de 8 000 euros, provenant intégralement de dons de personnes physiques,
- et une unique dépense de 15 euros (!!!)
Ce candidat tête de liste apportait la preuve, au moyen d’attestations de l’entreprise prestataire et d’un relevé bancaire de son compte personnel, de la réalité d’une dépense d’un montant de 7 134 euros dont il s’était acquitté sur ses fonds propres pour l’impression de bulletins de vote et de « professions de foi » (appelées en droit « circulaires électorales »).
Il établissait également l’absence d’enrichissement personnel à hauteur du montant de cette dépense dès lors que celle-ci (la dépense afférente aux bulletins de vote et aux professions de foi, donc) était rattachable aux dépenses de campagne officielle au sens de l’article R. 39 du code électoral, n’avait pas à être acquittée par le mandataire ni à figurer au compte de campagne et ne lui sera pas remboursée en application du deuxième alinéa de l’article L. 52-11-1 du code électoral faute d’avoir obtenu au moins 5 % des voix.
En revanche, la dépense d’un montant de 1 132 euros, qui a été prise en charge directement par le candidat en violation de l’article L. 52-4 du code électoral, ne peut être prise en compte pour établir le montant devant faire l’objet de la dévolution, tranche le Conseil d’Etat.
Faisons un peu de mathématiques : in fine, le Conseil d’Etat estime qu’il y a lieu de fixer à 8 000 euros – (15 euros + 7 134 euros), soit 851 euros, le montant de la somme devant faire l’objet d’une dévolution en application de l’article L. 52-6 du code électoral.
Le candidat, lui, écope d’une inéligibilité de 6 mois (pour un maximum encouru d’un an). Le candidat, tête d’une liste intitulée « suivez le guide » (pour des raisons que les bordelais comprendront, le personnage étant connu), aurait du lire, justement, le guide (fort bien fait) de la CNCCFP sur la tenue des comptes de campagne.
Source : Conseil d’État, 9 décembre 2021, n° 451567, à mentionner aux tables du recueil Lebon
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