Masques : mode d’emploi unique par le Conseil d’Etat ; emplois élastiques à la mode de chaque TA [mise à jour]

MISE À JOUR AU 27/1/2022 EN RAISON D’UNE NOUVELLE DÉCISION (d’ailleurs intéressante, nuancée) DU TA DE LIMOGES RELATIVE À UN ARRÊTÉ DE LA PRÉFÈTE DE LA HAUTE-VIENNE (87).

 

 

Un arrêté préfectoral en matière de masques sera légal selon des règles canoniques (proportionnalité au risque, proportionnalité dans le temps et l’espèce ; simplifications possibles mais à la marge pour des raisons d’intelligibilité)… rappelées et un peu affinées le 11 janvier 2021 par le Conseil d’Etat (I).

Or, en raison de la diversité des situations et des relations des arrêtés préfectoraux… mais aussi à l’évidence en raison de divergences d’approches entre TA, les décisions en ce domaine finissent par donner lieu à un assez grand éparpillement (II).

 

Crédits photos : Adam Nieścioruk (sur Unsplash)

I. Un mode d’emploi clair et unique

Le 11 janvier 2021, le Conseil d’Etat a dévoilé, en réalité avec une assez grande continuité jurisprudentielle (selon moi ; mais ce point reste débattu), ce que sont les calibrages à respecter pour les préfets qui veulent, en extérieur, imposer le port du masque à leurs ouailles (proportionnalité au risque, proportionnalité dans le temps et l’espèce ; simplifications possibles mais à la marge pour des raisons d’intelligibilité).

Voir :

 

 

II. Des applications dispersées qui, au delà des différences justifiées par le contrôle au cas par cas, traduisent un éparpillement des TA mais aussi des arrêtés rédigés avec plus ou moins de prudence

 

II.A. Dans les zones urbanisées des Yvelines et à Paris, ainsi que dans le Val-de-Marne, ainsi que c’est bas les masques, traduisant une interprétation à tout le moins restrictive du mode d’emploi fixé par le Conseil d’Etat. Idem, ensuite, pour le 53 et le 49. Mais dans ces derniers cas, la moindre densité de population explique plus nettement cette position du juge.

 

Fort de ce mode d’emploi, le TA de Versailles a dès le lendemain suspendu l’exécution de l’arrêté préfectoral du 29 décembre 2021 rendant obligatoire le port du masque à tout piéton d’au moins 11 ans sur l’ensemble de la voie publique et dans l’espace public, et ce dans les zones urbanisées de toutes les communes du département des Yvelines.

TA Versailles, ord., 12 janvier 2021, n° 2200114 et 2200137

Pour plus de détails, voir notre article :

 

 

Le TA de Paris a été dans le même sens pour la Capitale :

 

Idem dans le Val-de-Marne en raison d’une ordonnance du TA de Melun rendue semble-t-il le lundi 17 janvier 2022, mais nous n’avons pas le texte de celle-ci. 

 

 

Le TA de Nantes, qui poudrant avait adopté une position souple vis-à-vis de l’arrêté du Préfet du 72 (voir ci-dessous) a ensuite censuré les arrêtés préfectoraux du 53 (Mayenne) et du 49 (Maine-et-Loire) :

 

 

II.B. Inversement, le 92… et, pour ses zones agglomérées, le 72, restent masqués, ce qui traduit une appréciation différente par contraste notamment avec la position du TA de Paris qui avait pourtant à traiter un espace urbain plus dense.

 

Mais voici une décision en sens contraire pour le 92 ( TA Cergy-Pontoise, 13 janvier 2022, n° 2200002), ainsi relatée par ledit TA :

« […] Faisant application de la décision n°460002 rendue le 11 janvier 2022 par le Conseil d’Etat, le juge des référés a rappelé que le préfet pouvait imposer le port du masque à l’extérieur, à la condition que la situation épidémiologique locale le justifie et que cette obligation soit limitée aux lieux et aux heures de forte circulation de population ne permettant pas d’assurer la distanciation physique, ainsi qu’aux lieux où les personnes sont amenées à se regrouper (tels que les marchés, les rassemblements sur la voie publique ou les centres-villes commerçants).

« s’agissant du département des Hauts-de-Seine, le juge des référés a tout d’abord relevé que la situation épidémiologique de ce département, où le taux d’incidence et de positivité sont en forte hausse, s’était rapidement dégradée.

« Il a ensuite estimé que la forte densité urbaine de ce département, les mouvements quotidiens de population permis par son offre de transport sur des horaires très étendus ainsi que la nécessité de garantir une application cohérente et effective de la mesure dans un contexte de continuité urbaine, justifiaient de rendre obligatoire le port du masque en extérieur dans l’ensemble de ce département.

« En conséquence, le juge des référés a considéré que la portée donnée à l’obligation du port du masque par l’arrêté préfectoral n’était pas de nature à faire naître un doute sérieux sur sa légalité. La requête a donc été rejetée. »

 

Source : TA Cergy-Pontoise, 13 janvier 2022, n° 2200002

 

Or, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a été à ce même diapason, pour des espaces pourtant moins denses que d’autres ayant donné lieu à censure. Mais l’arrêté préfectoral dans le 72 avait, à l’évidence, été rédigé avec plus de prudence juridique.

En l’espèce, le juge des référés de ce TA a estimé que la situation épidémiologique dans la Sarthe, caractérisée par de très forts taux d’incidence et de positivité et une circulation très active du virus, était de nature à justifier que soit imposée une obligation de port du masque en extérieur. Il a par ailleurs jugé que l’obligation de port du masque telle qu’elle est encadrée par l’arrêté du préfet de la Sarthe était proportionnée au risque sanitaire ainsi identifié et appropriée aux circonstances de temps et de lieu. En effet, elle ne trouve à s’appliquer que dans les zones « agglomérées » des communes du département, qui sont les plus susceptibles de connaître des regroupements de population et, au sein-même de ces zones, ne vaut pas pour les secteurs de plus faible fréquentation, tels notamment que les grands parcs, dans lesquels le masque n’est pas obligatoire, des dérogations existant également pour les personnes en situation de handicap munies d’un certificat médical ou encore celles qui pratiquent des activités physiques ou sportives sur la voie publique. Enfin, là où elle s’applique, l’obligation ne vaut qu’entre 7 heures et minuit, période où la probabilité de regroupements dans l’espace public liée aux activités scolaires, professionnelles et de loisirs est la plus forte.

En conséquence, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de suspension de l’exécution de l’arrêté du préfet de la Sarthe du 12 janvier 2022.

TA Nantes, ord., 17 janvier 2021, n°2200422

 

 

 

Le tribunal administratif de Limoges a rejoint ce peloton en suspendant l’exécution de l’arrêté préfectoral du 3 janvier 2022 rendant obligatoire le port du masque à l’extérieur dans le département de la Haute-Vienne (plus précisément en extérieur dans les lieux de rassemblement du public et dans les communes de plus de 3 500 habitants).

 

En l’espèce, le juge des référés a tout d’abord suspendu l’exécution de l’article 2 de l’arrêté contesté, qui rend le port du masque obligatoire « dans tous les espaces publics des communes de plus de 3 500 habitants du département de la Haute-Vienne », pour atteinte grave et manifestement illégale à la liberté individuelle, à la liberté d’aller et venir et au droit au respect de la vie privée. Il a en effet estimé que, si la situation épidémiologique en Haute-Vienne, qui s’est dégradée en raison des rassemblements liés aux fêtes de fin d’année et de la reprise scolaire, est de nature à justifier que soit imposée une obligation de port du masque en extérieur, l’obligation prévue à l’article 2 de l’arrêté, qui n’est pas limitée aux lieux et heures de forte circulation de population et aux espaces publics où les personnes sont susceptibles de se regrouper, ne peut être regardée comme étant strictement proportionnée aux risques sanitaires encourus dans les communes concernées et comme étant appropriée aux circonstances de temps et de lieux.

Mais l’ordonnance est nuancée car en même temps le juge des référés a ensuite rejeté les conclusions des requérants à fin de suspension de l’exécution de l’article 1er de l’arrêté contesté, qui rend le port du masque obligatoire sur l’ensemble du département pour toute personne âgée de plus de onze ans « dans les marchés, brocantes, braderies, vide-greniers, et dans toutes manifestations revendicatives, culturelles, sportives ou festives », « dans les files d’attente et sur les parcs de stationnement des commerces à leurs jours et heures d’ouverture », « à moins de 50 mètres des entrées réservées au public des crèches et des autres établissements d’accueil du jeune enfant et accueils collectifs de mineurs, du lundi au vendredi, de 7h à 19h », « à moins de 50 mètres des entrées réservées au public des établissements culturels, artistiques et sportifs » et « à moins de 50 mètres des entrées réservées au public des établissements scolaires (…) du lundi au vendredi, de 7h à 19h, ainsi que le samedi de 7h à 13h ». Il a en effet considéré que l’obligation du port de masque prévue à cet article est limitée à des espaces spécifiques dans lesquels, même dans les communes rurales, des personnes sont susceptibles de se regrouper et où une circulation de population avec des difficultés notables à faire respecter une distance physique est à prévoir.

Le juge des référés a enfin rejeté les conclusions des requérants à fin de suspension de l’exécution de l’article 3 de l’arrêté contesté, qui rend le port du masque obligatoire « dans les cours de récréation de l’ensemble des établissements scolaires pour les enfants à partir de six ans ». Après avoir rappelé que les établissements scolaires figurent parmi les principaux foyers de contamination par le Sars-Cov-2, eu égard au nombre d’élèves accueillis et aux difficultés à faire respecter les mesures barrières même dans les cours de récréation, le juge des référés a estimé que les requérants n’apportaient pas d’éléments précis de nature à démontrer que le port du masque pour les enfants d’au moins six ans dans les cours de récréation serait nocif à ces derniers ou qu’il aurait une incidence sur les apprentissages. Il a également ajouté qu’il ne saurait être reproché à la préfète de ne pas avoir adapté l’obligation de port du masque en fonction de la densité d’élèves par rapport à la surface des cours de récréation des établissements scolaires du département, compte tenu de l’exigence de simplicité et de lisibilité qui s’attache aux mesures de police, telles que celle contestée en l’espèce.

En conséquence, le juge des référés a uniquement suspendu l’exécution de l’article 2 de l’arrêté du 3 janvier 2022.