CE, 28 mars 2022, Commune de Sainte-Flaive-des-Loups, req. n°450477, mentionné aux tables.
Lors de l’achèvement d’un marché de travaux, il n’est pas rare qu’un désaccord survienne entre le maître d’ouvrage et le titulaire concernant la cristallisation du décompte général et définitif.
Dans cet arrêt récent, le Conseil d’État est venu apporter d’utiles précisions concernant le sort des réserves émises chiffrées ou non par le maître d’ouvrage lors de la réception de l’ouvrage dans le décompte général.
La commune de Sainte-Flaive-des-Loups (Vendée) a entrepris d’importants travaux visant au réaménagement d’une grange en une bibliothèque. Ces travaux ont nécessité une importante phase de démolition laquelle a été réalisée par la société M., attributaire de ses prestations.
Toutefois, la réception de la bibliothèque a été prononcée sous réserve de l’achèvement de certaines prestations notamment celles relatives à la finition de l’enduit traditionnel extérieur.
Après avoir procédé à une nouvelle intervention, la société M. a transmis un projet de décompte final à la commune. Toutefois, la commune a refusé de lever les réserves émises et mise en demeure la société M. d’effectuer les travaux de reprise afin qu’ils soient conformes au marché.
A la suite de la réception (du nouveau) projet de décompte final de ladite société, la commune lui a en retour adressé un décompte général déduisant une somme pour les travaux correspondant aux réserves non levées.
Ce différend a ouvert un contentieux devant le tribunal administratif de Nantes par la société tendant à ce que soit arrêté le montant du décompte général et définitif. Ce tribunal ayant fait droit à sa demande, la commune a fait appel de ce jugement qui a été rejeté par la Cour administrative d’appel de Nantes. La commune s’est alors pourvue en cassation devant le Conseil d’État.
Tout d’abord par le présent arrêt, le Conseil d’État précise qu’en vertu du dernier alinéa de l’article 41.6 du CCAG Travaux, le maître d’ouvrage peut parfaitement, lorsqu’il a lors de la réception de l’ouvrage émis des réserves et qui n’ont pas été levées dans le délai imparti, procéder à l’exécution de ces travaux aux frais et risques de son titulaire, et ce, même après l’établissement du décompte général du marché.
Dans un second temps, le Conseil d’État retrace le cadre juridique de sa jurisprudence de principe sur le caractère unique du décompte général et définitif :
« l‘ensemble des opérations auxquelles donne lieu l’exécution d’un marché public est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde arrêté lors de l’établissement du décompte général et définitif détermine les droits et obligations définitifs des parties » (Conseil d’Etat, Section, 23 juillet 1974, Ministre de l’Education Nationale, req. N°85465, publié au recueil Lebon)
« Toutes les conséquences financières de l’exécution du marché sont retracées dans ce décompte même lorsqu’elles ne correspondent pas aux prévisions initiales. » (Conseil d’État, 6 novembre 2013, Région Auvergne, req. n°361837, mentionné aux tables).
En ce sens, lorsque des réserves ont été émises et n’ont pas été levées, le maître d’ouvrage doit en faire état au sein de ce décompte général et définitif. Or, le maître d’ouvrage doit particulièrement être vigilant car le Conseil d’État énonce qu’à défaut d’une telle mention :
« le caractère définitif de ce dernier a pour effet de lui interdire toute réclamation des sommes correspondant à ces réserves. Les réserves ainsi mentionnées dans le décompte peuvent être chiffrées ou non. »
Ainsi, le Conseil d’État indique les deux situations pouvant se présenter lorsque le maitre d’ouvrage émet des réserves :
- lorsque des réserves non chiffrées sont mentionnées dans le décompte, celui-ci ne devient définitif que sur les éléments n’ayant pas fait l’objet de réserves ;
- en revanche, lorsque des réverses sont chiffrées et sont mentionnées dans le décompte, et que ce montant n’a fait l’objet d’aucune réclamation de la part du titulaire, dans ce cas le décompte devient définitif dans sa totalité et les sommes correspondant à ces réserves peuvent être déduites du solde du marché s’il n’a pas exécuté les travaux permettant qu’elles soient levées.
Dans cette affaire, la Cour administrative d’appel de Nantes avait estimé que même si le décompte général et définitif de la commune faisait mention d’un montant correspondant aux travaux ayant fait l’objet de réserves non levées, elle ne pouvait se prévaloir d’une créance correspondant à cette somme à l’encontre de la société MC Bat au motif que lesdits travaux n’avaient pas été réalisés. C’est ce raisonnement juridique qui est retoqué pour erreur de droit par la Haute Juridiction.
*article rédigé avec la contribution de Lucie Santini, stagiaire