Le régime de ce qu’on appelait, autrefois et que l’on appelle encore parfois, la coopération décentralisée, est fondé par l’article L. 1115-1 du CGCT :
« Dans le respect des engagements internationaux de la France, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent mettre en œuvre ou soutenir toute action internationale annuelle ou pluriannuelle de coopération, d’aide au développement ou à caractère humanitaire. Ils prennent en considération dans ce cadre le programme de développement durable à l’horizon 2030 adopté par l’Assemblée générale des Nations unies le 25 septembre 2015.
A cette fin, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent, le cas échéant, conclure des conventions avec des autorités locales étrangères. Ces conventions précisent l’objet des actions envisagées et le montant prévisionnel des engagements financiers. Elles entrent en vigueur dès leur transmission au représentant de l’Etat dans les conditions fixées aux articles L. 2131-1, L. 2131-2, L. 3131-1, L. 3131-2, L. 4141-1 et L. 4141-2. Les articles L. 2131-6, L. 3132-1 et L. 4142-1 leur sont applicables.
Ce régime donne lieu d’ailleurs à une vision large des champs d’action pour les collectivités en ces domaines (voir par exemple notre article : Un 3e TA admet qu’une collectivité ait subventionné une association de sauvetage de migrants en mer (SOS Méditerranée) en raison du droit propre à la « coopération décentralisée » TA Montpellier, 19 octobre 2021, n°2003886 ; TA Paris, 2e sect. – 2e ch., 12 sept. 2022, n° 1919726 ; TA Nantes, 19 octobre 2022, n°202012829).
NB : non sans limites toutefois. Voir par exemple cet article et les nombreuses jurisprudences citées : Une commune peut-elle, légalement, signer une « charte d’amitié » avec une commune du Haut-Karabagh ? [SUITE] . Voir aussi (non immixion dans le conflit palestien ; TA Montreuil, 8 juillet 2013, n° 1209704. Sur le besoin d’être tout de même un peu précis, voir TA Mayotte, 25 février 2014, n° 1200727. Voir aussi pour une grande sévérité du juge : TA Lyon, 3 octobre 2013, n° 1103936.
Quand une telle opération est conduite, et qu’un acteur, essentiellement associatif, va agir, la collectivité peut-elle accorder une subvention ou doit-elle conclure un marché public ?
Sur ce point, on peut renvoyer aux nombreuses décisions du juge fixant la frontière entre marché public et subvention (dont par exemple CE, 6 avril 2007, Aix-en-Provence, n° 284736)… avec des frontières que j’avais plus ou moins tenté de présenter ainsi sous forme de tableau :
Le projet est associatif | Le projet est public | |||
à 100 % de l’origine à ce jour | à 100 % à l’origine, mais il a été qualifié de public en cours de route | parce qu’il s’agit de gérer un équipement public ou un service public | parce qu’il s’agit de fournir des prestations, détaillées par contrat, à une collectivité publique, au delà d’une simple fixation d’objectifs généraux | |
Solution juridique normale | Subventionnement normal ou autre régime d’aide | Subventionnement normal ou autre régime d’aide (mais gare à ne pas glisser vers des prestations de services ou une gestion de service public ou d’équipement public : la qualification de public du projet doit bien porter sur des activités et des équipements associatifs) | • Délégation de service public si l’association gère un service public en se « rémunérant substantiellement » sur l’exploitation du service.
• Marché public sinon (sauf quelques dérogations). |
Marché public (sauf quelques dérogations) |
Cas où l’association n’est pas un « opérateur sur un marché concurrentiel » | Subventionnement normal ou autre régime d’aide – application désormais de la règle des 4P utilisée déjà en fiscal | |||
Cas d’une association transparente vis-à-vis de la collectivité publique | Possibilité de confier la gestion d’un service public, ou des prestations de services, à l’association, sans mise en concurrence ni publicité. Mais l’association doit respecter des pans entiers du droit public qui la feront fonctionner presque comme une administration. Attention en ce cas à la gestion de fait qui est un danger à ne pas sous-estimer. |
MAIS ce n’est pas tout. On peut se demander si ce sont des marchés publics tout simplement. En effet, l’article L. 2 du code de la commande publique pose que :
« Sont des contrats de la commande publique les contrats conclus à titre onéreux par un acheteur ou une autorité concédante, pour répondre à ses besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services, avec un ou plusieurs opérateurs économiques. »
Le Conseil d’Etat dans une affaire de coopération décentralisée (qui était aussi très souple sur la question de la laïcité…) a posé que ne s’appliquait pas la loi MOP sur la maîtrise d’ouvrage car il ne s’agissait pas de l’ouvrage de la personne de droit public français :
11. Considérant, en troisième lieu, que la convention dont la signature a été approuvée par la délibération attaquée a pour objet la participation financière de la région au projet de restauration de la basilique Saint-Augustin d’Hippone et non la définition des modalités de réalisation des travaux ; que le moyen tiré de ce que, en approuvant cette convention, la délibération attaquée méconnaîtrait la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’oeuvre privée et le code des marchés publics ne peut, en tout état de cause, qu’être écarté ;
Conseil d’État, 3ème – 8ème SSR, 17 février 2016, 368342, Publié au recueil Lebon ; voir notre article D’une pierre deux coups : le Conseil d’Etat assouplit à la fois le droit de la coopération décentralisée et la rigueur du principe de laïcité
Voir aussi dans le même sens sur une non application en coopération décentralisée des règles de paiement des marchés publics : Tribunal administratif de Lille, 25 avril 2016, n° 1509603
Donc les cas de requalification en marchés seront rares… mais si la collectivité fait beaucoup de publicité sur ces actions et choisit elle-même ses prestataires, associations ou non, il est possible en effet qu’une « ligne jaune » soit en droit franchie (si l’action devient ainsi « pour les besoins » de la collectivité) ou si l’on estime que l’action de coopération décentralisée est celle de la collectivité, ce qui est une évolution juridictionnelle possible… Prudence donc.
D’ailleurs il n’est pas rare que les collectivités lancent des marchés en pareil cas (exemple : Tribunal administratif de Bordeaux, 12 décembre 2011, n° 1104612).