Le Health Data Hub va devoir franciser sa dénomination, au moins en France

Le Health Data Hub est un groupement d’intérêt public (GIP) qui associe 56 parties prenantes, en grande majorité issues de la puissance publique. Elles sont réparties en neuf collèges. 

Son objectif est de garantir « l’accès aisé et unifié, transparent et sécurisé, aux données de santé pour améliorer la qualité des soins et l’accompagnement des patients ».

Ce qui n’est pas une mission aisée, surtout si les données finissent (en tous cas en 2020) par être gérées hors Union Européenne au regard des règles de ladite Union et de ce qu’est le droit américain. Voir CE, ord., 13 octobre 2020, n° 444937.

Voir aussi : https://www.cnil.fr/fr/la-plateforme-des-donnees-de-sante-health-data-hub

Puis le projet a évolué. Voir cet article du Monde :

Cet été 2022 :

Or, voici que cette structure vient d’être censurée dans son nom même. 

Il faut rappeler en effet que le droit impose aux administrations publiques d’utiliser la langue françaises, certes, mais non sans subtilités (I). Dès lors, le TA de Paris vient de censurer le nom même du Health Data Hub (II).

Ce nom ne pourra plus tel quel être utilisé, au moins pour les activités françaises de la plate-forme. 

Rappelons que, sur ce point, la voie tracée par le législateur puis par le juge semble étroite. D’un côté, « la langue française est notre trésor, sachons le préserver » (Jean Dutourd)… et de l’autre force est d’espérer que la défense du français passera bien plus par l’offensive créatrice que par une mentalité d’assiégés. Car pour citer Paul Veyne, « une culture est bien morte quand on la défend au lieu de l’inventer » (Leçon inaugurale au Collège de France, « L’inventaire des différences », Ed. Seuil, 1976).

 

I. Rappel des grandes lignes du droit imposant, non sans limites donc, aux administrations d’utiliser la langue française

 

La loi « Toubon » n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française précisait l’article 2 de la Constitution et, par certains côtés, réactivait l’ordonnance de Villers-Cotterêts du 10 aout 1539.

Oui mais de cette loi, les juridictions ont, en droit public, donné un mode d’emploi subtil.

Que nous dit le Conseil constitutionnel ? Une chose fort claire :

«8. […] l’usage du français s’impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public ; que les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, d’un droit à l’usage d’une langue autre que le français, ni être contraints à un tel usage ; que l’article 2 de la Constitution n’interdit pas l’utilisation de traductions ; que son application ne doit pas conduire à méconnaître l’importance que revêt, en matière d’enseignement, de recherche et de communication audiovisuelle, la liberté d’expression et de communication ; »
[Décision 99-412 DC – 15 juin 1999 – Charte européenne des langues régionales ou minoritaires – Non conformité partielle]

Voir plus récemment la décision n° 2021-818 DC du 21 mai 2021. Voir :

Passons à l’autre aile du Palais Royal. Ouvrons les entrailles du recueil Lebon et invoquons la loi Toubon. Cela fonctionnera peut être mieux ? De fait, là,   les matériaux divinatoires sont moins rares :

 

Sauf que là encore, le juge note que ni la loi « Toubon » précitée, ni l’article 2 de la Constitution n’interdisent pas l’usage d’autres langues (voir l’avant dernier alinéa de l’article 6, par exemple), même si, entre autres, les dispositions en matière de marques, par exemple, sont assez strictes (voir l’article 14 de cette loi). Voici quelques jurisprudences :

  • acceptation de l’usage de l’anglais pour la candidature française aux JO (TA Paris, juge des référés, 2 mai 2017, Association Francophonie Avenir, Association pour la sauvegarde et l’expansion de la langue française, Union nationale des écrivains de France, n° 1702872)
  • censure du logo d’une Université qui incluait l’expression anglaise « PSL Research University» (TA Paris, 21 septembre 2017, Association Francophonie avenir, n°1609169/5-1).
  • obligation pour un prospectus présentant une offre d’émission ou un produit financier sur un marché soumis à la loi française d’être rédigé en langue française quitte à être accompagné d’une version traduite dans une langue étrangère (qui ne peut être plus complète ; CE, 20 décembre 2000, Géniteau, n°213415).
  • censurant la décision de l’établissement public Sèvres-Cité de la céramique, de REFUSER DE supprimer des affiches qu’il avait diffusées à l’occasion de l’exposition organisée dans ses espaces extérieurs, du 10 juin au 23 octobre 2016, la dénomination « Sèvres Outdoors » (voir ici), au motif que celles-ci ne respectent pas la loi 94-665 du 4 aout 1994 relative à l’emploi de la langue française ( TA Cergy Pontoise, 26 novembre 2018, n° 1610555)
  • position souple en matière de sites Internet (mais pas in situ ; CAA Lyon, 4 juin 2020, n°18LY01058).
  • acceptation très souple de formulations de marques en anglais s’il n’existe pas d’expression française de même sens… et le Palais Royal, bon prince, va jusqu’à poser que « let’s » n’a pas d’équivalent dans la langue de Molière, en tous cas pas d’équivalent arrêté par la commission d’enrichissement de la langue française… ce qui est donc le « mètre étalon » en la matière (CE, 22 juillet 2020, n° 435372).
  • obligation de présenter les offres des marchés publics en français ainsi que les certificats correspondants (mais encore une fois rien n’interdit la présence de traductions en langue étrangère : CAA Douai, 16 mai 2012, Société NHV, req. n°11DA00727 ; CE, 29 juin 2012, Société Signature, req. n°357617 ; voir dans le même sens et avec sévérité  : TA Marseille, 20 octobre 2016, Société Unowhy, req.  °1607877 ; voir aussi 1/ Marchés publics : Molière NON ; l’interprétariat, OUI. Une application par le TA de Lyon.  2/ Marchés publics : le Conseil d’Etat valide les clauses d’interprétariat [vidéo] 3/ marchés publics : Clause Molière acte II – scène finale ).
  • acceptation de la traduction (laquelle n’est pas interdite par la loi) des cartes nationales d’identité : CE, 22 juillet 2022, n°455477

Attention bien sûr à mettre à part le cas des textes écrits en allemand et qui s’imposent encore parfois en Alsace-Moselle (pour ceux des textes adoptés entre 1871 et 1918 et qui — pour certains — ont continué de s’appliquer sur place depuis lors). Pour un aperçu plus complet de cette délicate question, voir : CAA Nancy, 9 juillet 2020, n° 18NC01505; arrêt que nous avons diffusé et commenté ici : Alsace-Moselle : quand un texte de droit local, en allemand, remontant à la période 1871-1918, est-il encore applicable ? 

De cette liste de jurisprudence, on notera donc que les marques avec des expressions étrangères sont assez libéralement acceptées si aucun équivalent n’a été arrêté par la commission d’enrichissement de la langue française (CE, 22 juillet 2020, n° 435372) avec sans doute une tolérance plus grande si l’on s’adresse à un public étranger (TA Paris, juge des référés, 2 mai 2017, Association Francophonie Avenir, Association pour la sauvegarde et l’expansion de la langue française, Union nationale des écrivains de France, n° 1702872) non sans limites toutefois (cf. par exemple TA Cergy Pontoise, 26 novembre 2018, n° 1610555)

Aussi, ont été acceptées par le TA de Paris les marques suivantes :

  • French Impact
  • Choose France
  • French Tech
  • Next 40

 

Avec à chaque fois le même point de principe aux formulations désormais totalement types:

« 3. Il résulte de l’ensemble de ces dispositions, éclairées par leurs travaux préparatoires, que, pour les noms de marque de fabrique, de commerce ou de service, l’obligation d’emploi de la langue française, dont le principe est posé par l’article 2 de la loi du 4 août 1994, obéit aux dispositions particulières de l’article 14 de cette loi qui prévoit que l’emploi, dans le nom d’une marque utilisée pour la première fois après l’entrée en vigueur de la loi, d’une expression ou d’un terme étranger à la langue française, n’est interdit aux personnes morales de droit public que s’il existe une expression française de même sens approuvée par la commission d’enrichissement de la langue française et publiée au Journal officiel de la République française. Il en résulte également que pour les manifestations, colloques ou congrès qui ne concernent que des étrangers, ainsi que les manifestations de promotion du commerce extérieur de la France, l’obligation d’emploi de la langue française n’est pas applicable

Sources

 

II. Censure du Health Data Hub, pour les mêmes raisons que celles qui avaient précédemment conduit le TA de Paris à valider d’autres marques ou noms de langue anglaise : le passage, ou non, par là, de la « commission d’enrichissement de la langue française »

 

Ce nom ne pourra plus tel quel être utilisé, au moins pour les activités françaises de la plate-forme… et tout est clairement exposé par le TA de Paris lui-même (la mise en gras, italique et souligné, est bien sûr de nous) :

«4. Il résulte de l’ensemble de ces dispositions, éclairées par leurs travaux préparatoires, que, pour les noms de marque de fabrique, de commerce ou de service, l’obligation d’emploi de la langue française, dont le principe est posé par l’article 2 de la loi du 4 août 1994, obéit aux dispositions particulières de l’article 14 de cette loi qui prévoit que l’emploi, dans le nom d’une marque utilisée pour la première fois après l’entrée en vigueur de la loi, d’une expression ou d’un terme étranger à la langue française, n’est interdit aux personnes morales de droit public que s’il existe une expression française de même sens approuvée par la commission d’enrichissement de la langue française et publiée au Journal officiel de la République française. Il en résulte également que pour les manifestations, colloques ou congrès qui ne concernent que des étrangers, ainsi que les manifestations de promotion du commerce extérieur de la France, l’obligation d’emploi de la langue française n’est pas applicable.

« 5. En l’espèce, la marque litigieuse est constituée des trois termes anglais ” Health “, ” Data ” et ” Hub “. Le terme ” Health ” a fait l’objet d’une traduction approuvée par la commission d’enrichissement de la langue française et publiée au Journal officiel du 3 juin 2003, proposant le mot ” santé “. Le terme ” Data ” a fait l’objet d’une traduction approuvée par la commission d’enrichissement de la langue française et publiée au Journal officiel du 22 septembre 2000, proposant le mot ” donnée “. Enfin, le terme ” Hub ” a fait l’objet d’une traduction approuvée par la commission d’enrichissement de la langue française et publiée au Journal officiel du 16 mars 1999, proposant le mot ” concentrateur “. Par suite, dès lors qu’il existait des expressions françaises de même sens que les termes anglais utilisés au sein de la marque ” Health Data Hub “, approuvées par la commission d’enrichissement de la langue française et publiées au Journal officiel de la République française, l’utilisation de cette marque anglophone méconnaît l’article 14 de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française. Par suite, la décision litigieuse est, sur ce fondement, entachée d’erreur de droit.

« 6. En deuxième lieu, aux termes de l’article 3 de la loi du 4 août 1994 : ” Toute inscription ou annonce apposée ou faite sur la voie publique, dans un lieu ouvert au public ou dans un moyen de transport en commun et destinée à l’information du public doit être formulée en langue française (). ” Aux termes de l’article 6 de cette loi : ” Tout participant à une manifestation, un colloque ou un congrès organisé en France par des personnes physiques ou morales de nationalité française a le droit de s’exprimer en français. Les documents distribués aux participants avant et pendant la réunion pour en présenter le programme doivent être rédigés en français et peuvent comporter des traductions en une ou plusieurs langues étrangères. / Lorsqu’une manifestation, un colloque ou un congrès donne lieu à la distribution aux participants de documents préparatoires ou de documents de travail, ou à la publication d’actes ou de comptes rendus de travaux, les textes ou interventions présentés en langue étrangère doivent être accompagnés au moins d’un résumé en français. / Ces dispositions ne sont pas applicables aux manifestations, colloques ou congrès qui ne concernent que des étrangers, ni aux manifestations de promotion du commerce extérieur de la France. “

« 7. L’association requérante produit un courrier du 22 juin 2020 du directeur de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère chargé de la santé, selon lequel le dossier de dépôt de la marque ” Health Data Hub ” auprès de l’Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) aurait été retiré. Cependant, elle produit également un document de l’INPI attestant du dépôt de la marque, le 4 février 2019, par le directeur de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère chargé de la santé, puis de son enregistrement. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que l’Etat français aurait, en application de l’article L. 714-2 du code de la propriété intellectuelle, engagé auprès de l’INPI un processus de renonciation aux effets de l’enregistrement de cette marque.

« 8. Au demeurant, à supposer que les termes ” Health Data Hub ” doivent être regardés comme une simple expression, et non comme une marque déposée au sens des dispositions de l’article 14 de la loi du 4 août 1994, le ministre des solidarités et de la santé soutient que l’expression ” Health Data Hub ” a seulement vocation à favoriser l’activité internationale de la plateforme de données de santé et n’est utilisée qu’à destination d’un public étranger ou à l’extérieur du territoire national. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que l’expression en cause n’est pas seulement utilisée dans les activités de promotion de la plateforme des données de santé à l’étranger, mais également dans les supports de communication disponibles sur le territoire français et à destination de la population française, en français, dans de nombreuses manifestations publiques. Par suite, l’association requérante est fondée à soutenir que l’usage de ces termes méconnaît les dispositions précitées des articles 3 et 6 de la loi du 4 août 1994.

« 9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, qu’il y a lieu d’annuler la décision implicite de rejet opposée à la demande de l’association requérante tendant au retrait de l’appellation anglaise ” Health Data Hub ” des supports de communication publique du gouvernement à destination de la population française.»

 

Source :

Tribunal administratif de Paris, 6e Section – 3e Chambre, 20 octobre 2022, 2006810 (à lire, en cliquant sur ce lien, sur la plate-forme Pappers Justice)

III. Voir aussi cette vidéo

 

Voir notamment ma courte vidéo faite en mars 2022 à ce sujet (4 mn 11) :

https://youtu.be/8ddUF0y8gj8