Lorsqu’une autorisation de construire ou de démolir un bâtiment d’habitation ainsi qu’une autorisation de réaliser un lotissement est contestée devant un Tribunal administratif, la décision de ce dernier n’est pas toujours susceptible d’appel. En zone dite « tendue », l’article R. 811-1-1 du Code de justice administrative (CJA) précise que le jugement du Tribunal est alors rendu en premier et dernier ressort de sorte qu’il ne peut être contesté que par la voie du recours en cassation devant le Conseil d’Etat (I).
Ce régime a donné lieu à diverses précisions jurisprudentielles en 2021 et 2022 (II).
Or, le Conseil d’Etat vient de préciser que ce régime s’applique, dans les zones concernées, aux permis de construire autorisant la réalisation de travaux sur une construction existante, à la condition, d’une part, que les travaux ainsi autorisés aient pour objet la réalisation de logements et, d’autre part, que ces travaux aient un usage principal d’habitation, c’est-à-dire consacrent plus de la moitié de la surface de plancher autorisée à l’habitation (III).
Mais deux autres apports sont à noter pour cet arrêt (IV.).
Voyons tout cela ensemble.
I. Rappels sur ce régime
Lorsqu’une autorisation de construire ou de démolir un bâtiment d’habitation ainsi qu’une autorisation de réaliser un lotissement est contestée devant un Tribunal administratif, la décision de ce dernier n’est pas toujours susceptible d’appel.
Si la commune d’implantation du projet est située en zone dite « tendue » au sens de l’article 232 du Code général des impôts (soit schématiquement lorsque l’offre de logements sur le territoire est insuffisante par rapport aux besoins de la population), l’article R. 811-1-1 du Code de justice administrative (CJA) précise que le jugement du Tribunal est alors rendu en premier et dernier ressort de sorte qu’il ne peut être contesté que par la voie du recours en cassation devant le Conseil d’Etat.
Citons cet article :
« A l’exception des autorisations et actes afférents aux opérations d’urbanisme et d’aménagement des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 mentionnées au 5° de l’article R. 311-2, les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours contre :
1° Les permis de construire ou de démolir un bâtiment comportant plus de deux logements, les permis d’aménager un lotissement, les décisions de non-opposition à une déclaration préalable autorisant un lotissement ou les décisions portant refus de ces autorisations ou opposition à déclaration préalable lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d’une des communes mentionnées à l’article 232 du code général des impôts et son décret d’application ;
2° Les actes de création ou de modification des zones d’aménagement concerté mentionnés aux articles L. 311-1 et R. 311-3 du code de l’urbanisme, et l’acte approuvant le programme des équipements publics mentionné à l’article R. 311-8 du même code, lorsque la zone d’aménagement concerté à laquelle ils se rapportent porte principalement sur la réalisation de logements et qu’elle est située en tout ou partie sur le territoire d’une des communes mentionnées à l’article 232 du code général des impôts et son décret d’application ;
3° Les décisions suivantes, afférentes à une action ou une opération d’aménagement, au sens de l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, située en tout ou partie sur le territoire d’une des communes mentionnées à l’article 232 du code général des impôts et son décret d’application, et dans le périmètre d’une opération d’intérêt national, au sens de l’article L. 102-12 du code de l’urbanisme, ou d’une grande opération d’urbanisme, au sens de l’article L. 312-3 du même code :
a) L’autorisation environnementale prévue à l’article L. 181-1 du code de l’environnement et l’arrêté portant prescriptions complémentaires en application de l’article L. 181-14 du même code ;
b) L’absence d’opposition à la déclaration d’installations, ouvrages, travaux et activités et l’arrêté portant prescriptions particulières mentionnés au II de l’article L. 214-3 du code de l’environnement ;
c) La dérogation mentionnée au 4° du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement et l’arrêté portant prescriptions complémentaires en application de l’article R. 411-10-2 du même code ;
d) Le récépissé de déclaration ou l’enregistrement d’installations mentionnés aux articles L. 512-7 ou L. 512-8 du code de l’environnement et les arrêtés portant prescriptions complémentaires ou spéciales mentionnés aux articles L. 512-7-5 ou L. 512-12 du même code ;
e) L’autorisation de défrichement mentionnée à l’article L. 341-3 du code forestier.
Les dispositions du présent article s’appliquent aux recours introduits entre le 1er septembre 2022 et le 31 décembre 2027. »
N.B. : Ce régime a été plusieurs fois modifié et encadré temporellement : en l’état du texte à ce jour, ce régime doit cesser de s’appliquer aux recours introduits après le 31 décembre 2027… sous réserve des textes qui, d’ici là, n’auront pas manqué d’être adoptés. Pour les recours introduits entre le 1er décembre 2013 et le 31 août 2022, continue de s’appliquer le régime de cet article tel qu’il était rédigé avant le décret n°2022-929 du 24 juin 2022.
II. Précisions jurisprudentielles déjà apportées en 2021 et 2022
Le Conseil d’Etat avait déjà en mai 2022 élargi le champ d’application de cette règle aux recours dirigés contre les retraits et les refus de retrait portant sur l’une des autorisations précitées :
- CE, 26 avril 2022, Société Immobilière Aire Saint-Michel, req., n° 452695. Voir l’article fait alors à ce sujet de mon associé N. Polubocsko : Constructions de logements en zone tendue : la porte de l’appel se ferme un peu plus
Cette disposition est aussi applicable aux recours dirigés contre les permis d’aménager autorisant la création d’un lotissement, et ce même si le projet ne prévoyait pas la constructions d’habitations :
- CE, 8 juin 2017, Association les amis de la Terre Val-D’Oise, req., n° 410433. Voir l’article fait alors à ce sujet de mon associé N. Polubocsko : Lorsqu’un lotissement est autorisé en zone tendue, le Tribunal administratif statue en premier et dernier ressort, peu importe la destination des constructions
En revanche, cette disposition ne s’applique, ni aux jugements statuant sur les recours dirigés contre un refus d’autorisation d’urbanisme, ni sur ceux contestant un sursis à statuer que la collectivité aurait opposé au pétitionnaire, quand bien même le sursis litigieux devrait être considéré comme opérant le retrait d’un permis tacitement obtenu :
- CE, 15 décembre 2021, Commune de Venelles, req., n° 451285. Voir l’article fait alors à ce sujet de mon associé N. Polubocsko : Sursis à statuer en zone tendue : les jugements rendus peuvent-ils être frappés d’appel ?
- voir déjà dans le même sens, CE, 25 novembre 2015, n° 390370. Voir ici mon article
NB : en cas d’énergie renouvelable, voir aussi l’application — même en ces domaines — des délais maxima du décret n° 2022-1379 du 29 octobre 2022 (voir mon article ici). En cas de contentieux administratif lié aux Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, voir ici le décret n° 2018-1249 du 26 décembre 2018 et voir là CE, 17 octobre 2022, n° 464620 et n° 459219 [2 aff. distinctes].
Le Conseil d’Etat a affiné ce régime en novembre 2022 en posant que ce régime doit être regardé comme concernant non seulement les recours dirigés contre des autorisations de construire, de démolir ou d’aménager, mais également, lorsque ces autorisations ont été accordées, les recours dirigés contre les décisions refusant de constater leur péremption.
Source : Conseil d’État, 22 novembre 2022, n° 461869, aux tables
III. Le juge vient de préciser que ce régime s’applique, dans les zones concernées, aux permis de construire autorisant la réalisation de travaux sur une construction existante, à la condition, d’une part, que les travaux ainsi autorisés aient pour objet la réalisation de logements et, d’autre part, que ces travaux aient un usage principal d’habitation, c’est-à-dire consacrent plus de la moitié de la surface de plancher autorisée à l’habitation.
Or, voici que le juge vient de nouveau de préciser ce cadre par un arrêt à publier en intégral au recueil Lebon.
La Haute Assemblée vient de déduire de ce régime de l ‘article R. 811-1-1 du CJA qu’il devait par principe s’s’interpréter strictement, en tant que dérogation à la règle générale (posée par le premier alinéa de l’article R. 811-1 du code de justice administrative).
Le Conseil d’Etat en déduit que, si ses dispositions sont susceptibles de s’appliquer aux permis de construire autorisant la réalisation de travaux sur une construction existante, c’est à la condition, d’une part, que les travaux ainsi autorisés aient pour objet la réalisation de logements et, d’autre part, que ces travaux aient un usage principal d’habitation, c’est-à-dire consacrent plus de la moitié de la surface de plancher autorisée à l’habitation.
Soit :
En l’espèce, il s’agissait d’un permis autorisant une extension sur un bâtiment, d’une surface de 862 m2, exclusivement destiné au commerce, avec un projet de surélévation portant sur une surface de 414 m2, entièrement destinée à l’habitation.
Les travaux ainsi autorisés portant sur une surface dont plus de la moitié est destinée à l’habitation, puisqu’elle est même exclusivement destinée à un tel objet, le permis doit être considéré comme autorisant des travaux à usage principal d’habitation au sens et pour l’application de l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative.
Le Conseil d’Etat précise également que le recours dirigé contre les prescriptions attachées au permis de construire doit, au sens et pour l’application de l’article R. 811-1-1, être considéré comme un recours contre un permis de construire.
NB voir aussi deux autres apports de cet arrêt :
Voici cette décision :
Conseil d’État, 2 juin 2023, n° 461645, Publié au recueil Lebon
Voir aussi les conclusions de M. Nicolas AGOUX, rapporteur public :
Voir aussi cette vidéo :
Voici tout d’abord une vidéo de 4 mn 35 :
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