Il n’y a ni atteinte à des « situations légalement acquises », ni à « des effets qui peuvent légitimement en être attendus » ? Alors il ne peut y avoir matière à invoquer le « principe de sécurité juridique » en dépit de l’extension spectaculaire de celui-ci. Cette précision, apportée par le Conseil d’Etat, est la conséquence logique (quoiqu’un brin lointaine) de la position du Conseil constitutionnel.
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Ainsi que le rappellent les articles L. 221-5 et L. 221-6 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA), il incombe à l’autorité investie du pouvoir réglementaire d’édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu’implique, s’il y a lieu, une réglementation nouvelle. Il en va ainsi en particulier lorsque l’application immédiate de celle-ci entraîne, au regard de l’objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause.
Ces principes, posés par le CRPA, résultent d’une jurisprudence désormais constante et, même, exigeante (CE, Assemblée, 24 mars 2006, Société KPMG et autres, n° 288460, rec. p. 154 ; CE, Section, 13 décembre 2006, Mme , n° 287845, rec. p. 540).
Plus encore, le juge s’autorise lui-même à imposer, transitoirement, de telles transitions juridiques au delà de ce qui était prévu ou avec plus d’étapes que prévu (y compris si cela résulte de décisions de Justice et/ou de difficultés identifiées en cours de mise en oeuvre : CE, 30 décembre 2021, n°434004 et autres, à mentionner aux tables du recueil Lebon ;voir ici notre article).
Le principe de sécurité juridique d’ailleurs s’impose en d’autres domaines que celle des mesures transitoires nécessaires parfois pour passer d’un cadre juridique ancien à un cadre juridique nouveau.
C’est ainsi cette même sécurité juridique a conduit, avec le fameux arrêt Czabaj, à limiter dans le temps les recours contre les actes individuels entachés d’insuffisances en termes de notification des voies et délais de recours. Voir :
- L’absence de voies et délais de recours ne permet plus d’attaquer indéfiniment une décision administrative individuelle
- Voir aussi entre autres, pour démontrer l’ampleur prise par cette jurisprudence importante :
- Les tiers ne peuvent contester indéfiniment une décision administrative individuelle qui a fait l’objet d’une mesure de publicité à leur égard… même en cas de fraude (précision ce jugement de TA reste très incertain dans sa postérité selon nous)
- Actes individuels mal notifiés : application stricte ou non du délai d’un an ?
- Actes individuels mal notifiés : application stricte ou non du délai d’un an ?
- Marché public, titre de recettes et mention des voies et délais de recours
- Peut-on motiver, par avance, une décision implicite de rejet ?
- etc.
Voir aussi en matière de réformes éducatives : Conseil d’État, 4 février 2022, n° 457051 457052, à mentionner aux tables du recueil Lebon ; Conseil d’État, 4 février 2022, n° 448017, à mentionner aux tables du recueil Lebon (voir ici notre article à ce sujet).
Un peu plus largement, au delà de ce principe de sécurité juridique, s’applique donc un principe de mutabilité des services publics (CE Sect., 27 janvier 1961, Vannier, Lebon 60, concl. Kahn ; voir aussi Tribunal des Conflits, 18 juin 2007, Préfet de l’Isère et Université Joseph-Fourier, req. n° C3627, AJDA 2007, p. 1832) et de possible évolution du droit, mais tempéré par l’obligation de ne pas « priver de garanties légales des exigences constitutionnelles » et notamment de ne pas porter atteinte « sans motif d’intérêt général suffisant […] aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations », la sécurité juridique étant un sous-ensemble de ce dernier élément (voir englobant cet entier concept, ce que nous ne croyons pas mais cela pourrait se défendre). Citons sur ce point le Conseil constitutionnel :
« 97. Considérant, en second lieu, qu’il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu’en particulier, il ne saurait, sans motif d’intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations ; »
Cons. const., 21 janv. 2016, n° 2015-727 DC.
Or, voici de manière intéressante, qu’un pont est établi par le Conseil constitutionnel dans ce même sens, celui d’un lien entre principe de sécurité juridique, d’une part, la notion d’ « atteinte à des situations légalement acquises ou à des effets qui peuvent légitimement en être attendus », ce qui correspond à la formation, précitée, du Conseil constitutionnel de 2016.
Ce lien est ainsi formulé par le Conseil d’Etat (la mise en gras et souligné étant, bien évidemment, de nous) :
« 8. En dernier lieu, le principe de sécurité juridique inhérent à la garantie des droits assurée par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ne peut être utilement invoqué que lorsqu’est en cause une atteinte à des situations légalement acquises ou à des effets qui peuvent légitimement en être attendus. Dès lors, il ne peut être utilement invoqué en l’espèce pour soutenir que les dispositions de l’article L. 612-6 du code de l’éducation, citées au point 2, en ce qu’elles laissent aux établissements d’enseignement supérieur le soin de définir les modalités de sélection pour l’accès en première année des formations de deuxième cycle lorsque les capacités d’accueil y sont limitées, méconnaîtraient les droits et libertés garantis par la Constitution, dès lors qu’elles n’assureraient pas la sécurité juridique. »
Source :
Voir aussi un autre apport (quoique…) de cette même décision :