Sécurité juridique : quand, en matière éducative notamment, est-il trop tard pour changer les règles du jeu ?

Sécurité juridique et éducation : une réforme avant la rentrée, oui ; en cours d’année non si cela change l’orientation, les notations, les champs des possibles pour les étudiants ou élèves… Avec sans doute des ajustements selon l’importance desdites réformes.

Deux arrêts, en miroir l’un de l’autre, portant sur le BAC et sur le CAP, affinent, au delà même des questions scolaires, le mode d’emploi imposé par le juge en matière de sécurité juridique et de mesures transitoires. 

 

Ainsi que le rappellent les articles L. 221-5 et L. 221-6 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA), il incombe à l’autorité investie du pouvoir réglementaire d’édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu’implique, s’il y a lieu, une réglementation nouvelle. Il en va ainsi en particulier lorsque l’application immédiate de celle-ci entraîne, au regard de l’objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause.

Ces principes, posés par le CRPA, résultent d’une jurisprudence désormais constante et, même, exigeante (CE, Assemblée, 24 mars 2006, Société KPMG et autres, n° 288460, rec. p. 154 ; CE, Section, 13 décembre 2006, Mme , n° 287845, rec. p. 540).

Plus encore, le juge s’autorise lui-même à imposer, transitoirement, de telles transitions juridiques au delà de ce qui était prévu ou avec plus d’étapes que prévu (y compris si cela résulte de décisions de Justice et/ou de difficultés identifiées en cours de mise en oeuvre : CE, 30 décembre 2021, n°434004 et autres, à mentionner aux tables du recueil Lebon ;voir ici notre article).

Le principe de sécurité juridique d’ailleurs s’impose en d’autres domaines que celle des mesures transitoires nécessaires parfois pour passer d’un cadre juridique ancien à un cadre juridique nouveau.

C’est ainsi cette même sécurité juridique a conduit, avec le fameux arrêt Czabaj, à limiter dans le temps les recours contre les actes individuels entachés d’insuffisances en termes de notification des voies et délais de recours. Voir :

Or, voici que, le même jour par deux décisions assez différentes, le Conseil d’Etat a appliqué ce principe juridique en matière de réformes éducatives.

Dans une première décision, le Conseil d’Etat a estimé que le passage du Baccalauréat à une plus grande part de contrôle continu n’était pas illégal. L’intérêt, selon nous, de cette première décision, réside surtout dans ce que cela  a donné l’occasion au juge de préciser la portée et les limites du principe de liberté pédagogique de l’enseignant de l’article L. 912-1-1 du code de l’éducation. Voir :

 

… N’empêche : il était intéressant de voir le Conseil d’Etat décider de ne pas censurer cette réforme du Bac non plus au nom d’un autre principe, qui est celui de la sécurité juridique, avec prise en compte, outre des conditions pandémiques exceptionnelles que nous vivons, du fait que ces nouvelles règles étaient sorties avant la rentrée (la mise en gras est de nous bien sûr) :

« Il résulte de ces dispositions qu’en conséquence de l’annulation, en raison de la crise sanitaire, des deux séries d’évaluations communes en classe de première, les notes prises en compte, au titre de ces évaluations communes, pour les candidats au baccalauréat général et technologique pour la session 2022 scolarisés en classe de première pendant l’année scolaire 2020-2021, sont les moyennes annuelles de la classe de première inscrites dans le livret scolaire, dans les enseignements concernés. Le syndicat requérant n’est ainsi pas fondé à soutenir que les dispositions attaquées auraient été édictées en méconnaissance du principe de sécurité juridique au motif qu’elles prennent en compte, pour l’examen du baccalauréat général et technologique de la session 2022, les moyennes annuelles des candidats en classe de première au titre de l’année scolaire 2020-2021 dans les enseignements concernés, dès lors que cette prise en compte résulte, non du décret attaqué, mais des dispositions du décret du 25 février 2021 relatif à l’organisation de l’examen du baccalauréat général et technologique de la session 2022 pour l’année scolaire 2020-2021. Il ressort en outre du décret et de l’arrêté attaqués que ceux-ci ont été publiés le 27 juillet 2021, soit avant la rentrée scolaire des candidats à la session 2022 du baccalauréat général et technologique scolarisés en classe de terminale pendant l’année scolaire 2021-2022, de sorte que le syndicat requérant n’est pas davantage fondé à soutenir qu’il aurait été édicté à une date ne permettant pas de garantir les exigences attachées au principe de sécurité juridique. Enfin, si le syndicat requérant fait également valoir l’impossibilité de prendre en compte les résultats des candidats scolarisés en classe de première pendant l’année scolaire 2020-2021 au titre des enseignements obligatoires, dont l’enseignement moral et civique, et en déduit la méconnaissance du principe de sécurité juridique, il ressort des dispositions de l’article 15 de l’arrêté du 27 juillet 2021 que pour la session 2022 du baccalauréat général et technologique, les coefficients affectés à chacun des enseignements obligatoires au titre du contrôle continu ne s’appliquent qu’à l’année de terminale. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions attaquées méconnaîtraient à tous ces titres le principe de sécurité juridique doit être écarté.»

Source : Conseil d’État, 4 février 2022, n° 457051 457052, à mentionner aux tables du recueil Lebon

 

Mais le même jour, en contrepoint, une autre décision du Conseil d’Etat montrait ce que peut être une possible censure sur le même thème, et pour les mêmes raisons a contrario.

Passons du Bac au Cap.

L’article 2 du décret n° 2020-1277 du 20 octobre 2020 supprimait la possibilité pour certains élèves et candidats de se présenter au certificat d’aptitude professionnelle.

L’article 15 de ce même décret prévoyant une entrée en vigueur de ces dispositions à compter du 1er janvier 2021… en plein milieu de l’année scolaire 2020-2021.

Un tel changement de règles en cours d’année a donc eu, selon le juge, pour effet de priver les élèves scolarisés au titre de cette année scolaire en classes de seconde et de première professionnelles dans un établissement public local d’enseignement ou dans un établissement privé sous contrat, ainsi que ceux préparant le baccalauréat professionnel par la voie de l’apprentissage, de la possibilité de se présenter au certificat d’aptitude professionnelle correspondant à la spécialité du baccalauréat professionnel postulé ou relevant du même champ professionnel et les autorisant, le cas échéant, à exercer une activité réglementée, alors même que leur inscription dans ces classes ou dans ces formations au début de l’année scolaire en cours leur en ouvrait la possibilité.

Par suite, pose la Haute Assemblée très logiquement, l’article 2 du décret, en tant qu’il s’applique à ces élèves, a été édicté en méconnaissance de l’article L. 221-5 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA) déclinant le principe général de sécurité juridique.

Source de cette seconde décision : Conseil d’État, 4 février 2022, n° 448017, à mentionner aux tables du recueil Lebon

Conclusion : un changement qui ne change pas l’orientation peut encore être apporté avant la rentrée, même après les dates d’orientation (fin juillet en l’espèce). Mais un changement ne peut être opéré en cours d’année surtout s’il emporte de lourdes conséquences sauf à violer le principe de sécurité juridique. Entre les deux, restent encore quelques zones temporelles incertaines… qui donneront sans doute lieu à de futures jurisprudences.