Le référé mesures utiles est un outil commode (I) mais subsidiaire, qui ne peut notamment conduire à des effets irréversibles, ainsi que le juge administratif l’a précisé ou réaffirmé à plusieurs reprises cette année en matière de domanialité, avec une nouvelle décision rendue hier (II), d’où une petite liste de 9 points à vérifier, en demande ou en défense, à chaque fois, en ce domaine (III).

I. Rappels sur le référé mesures utiles
Saisi sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-3 du code de justice administrative (CJA) le juge administratif des référés peut prescrire « toutes […] mesures utiles » à la triple condition (mais nous verrons en fin d’article, « III » qu’il faut plutôt compter 9 conditions) :
- de l’urgence
- d’une compétence du juge administratif (admise avec souplesse à ce stade, la formule utilisée par le juge étant « qui n’est pas manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence du juge administratif»)
- qu’il ne s’agisse pas de « faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative » ( «à moins qu’il ne s’agisse de prévenir un péril grave », a précisé le juge)
Ce texte est en effet ainsi formulé :

Le champ de ce référé mesures utiles ne cesse d’être affiné par le juge. Pour citer quelques exemples récents :
- Conseil d’État, 17 août 2022, société Orange et autres c/ GAEC de Coupet, n° 464622 : sauf péril grave, pas de référé mesures utiles s’opposant à une décision administrative… Même temporairement (et l’interruption provisoire d’une antenne relai correspond à un tel cas)
- CE, 11 mai 2021, n° 447948, aux tables.(Le référé mesures utiles est-il un outil opérant pour demander la mise en fourrière d’un véhicule ?… réponse non)
- CE, 8 avril 2022, n° 455000 (Un référé mesures utiles peut servir à vérifier l’authenticité d’un document (demande de copie certifiée conforme)
- CE, 16 mai 2022, n° 459904, à publier au recueil Lebon (Des biens culturels protégés par des marques, ou par des stipulations contractuelles, ainsi que des pages de réseaux sociaux, peuvent être des biens de retour traités par le juge administratif en référé mesures utiles)
- CE, 5 juin 2020, n° 435126, aux tables (Pas de danger immédiat : pas de référé mesures utiles [dommage environnemental et station d’épuration en l’espèce[).
- CE, 29 mai 2019, Université de Rennes I, n°428628 (Le référé mesures utiles, outil d’exécution d’un marché public [VIDEO])
- TA de Châlon-en-Champagne, ord., 9 mars 2020, n°2000513 (Un candidat est-il fondé à demander une expertise, en référé mesures utiles, pour protéger les électeurs dans les bureaux de vote du coronavirus covid-19 ?)
- CE, 28 février 2019, 424005, Publié au recueil Lebon (Un juge, en référé mesures utiles, peut aller jusqu’à enjoindre à l’administration de mettre fin à des dommages de travaux publics en cas de danger immédiat).
- CE, 28 novembre 2018, n° 420343 (Le référé mesures utiles ne peut pas être contré par l’administration via la prise de décisions postérieures à l’introduction de ce référé)
- TA Grenoble, Ord., 3 octobre 2018, n° 1806181 (Le TA de Grenoble accepte qu’un préfet le saisisse en référé mesures utiles pour ordonner l’évacuation d’une occupation syndicale de déchetteries)
- CE, 16 février 2018, n°41503 mais aussi par exemple TA de Lyon, juge des référés, 19 mars 2018, Service Départemental Métropolitain d’Incendie et de Secours (SDMIS) n°1801569 (Expulsion d’un occupant du domaine public et référé mesure utiles… gare au critère de l’urgence !)
- CE, S., 20 mars 2015, n° 385332 : ce référé ne peut conduire à ordonner à l’Administration de prendre un acte réglementaire
- etc.
Voir notre vidéo en commande publique :
Reste qu’entre diverses autres limites (urgence, non blocage d’une décision administrative), il est constant qu’en :
« raison du caractère subsidiaire du référé régi par l’article L. 521-3, le juge saisi sur ce fondement ne peut prescrire les mesures qui lui sont demandées lorsque leurs effets pourraient être obtenus par les procédures de référé régies par les articles L. 521-1 et L. 521-2 du même code »
Sources : la décision de référence est Conseil d’État, Section, 5 février 2016, 393540, Publié au recueil Lebon. Voir aussi : Conseil d’État, 3ème chambre, 20 mai 2016, 393785, Inédit au recueil Lebon ; Conseil d’État, 1ère et 4ème chambres réunies, 24 juillet 2019, 426527 ; Conseil d’État, 8 février 2018, 417745, Inédit au recueil Lebon ; Conseil d’État, 30 juin 2021, 453248, Inédit au recueil Lebon…
Combiné avec les autres apports de la jurisprudences, la formule sacramentelle dans sa version complète, désormais reprise par les juridictions est donc la suivante :
« Saisi sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative d’une demande qui n’est pas manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence du juge administratif, le juge des référés peut prescrire, à des fins conservatoires ou à titre provisoire, toutes mesures que l’urgence justifie [dont… notamment… ajustés au cas par cas] à la condition que ces mesures soient utiles, ne se heurtent à aucune contestation sérieuse et ne fasse pas obstacle à l’exécution d’une décision administrative, même celle refusant la mesure demandée, à moins qu’il ne s’agisse de prévenir un péril grave. En raison du caractère subsidiaire du référé régi par l’article L. 521-3, le juge saisi sur ce fondement ne peut prescrire les mesures qui lui sont demandées lorsque leurs effets pourraient être obtenus par les procédures de référé régies par les articles L. 521-1 et L. 521-2 du même code. »

Autre limite classique qui est citée dans l’article du CJA et : faire obstacle à une décision administrative ferme lui aussi la voie du référé mesures utiles, aux termes mêmes, précités, de l’article L. 521-3 du CJA (non sans subtilités :voir CE, 28 novembre 2018, 420343, voir notamment la fin, claire, du considérant n° 6, reprise pour le résumé des tables).
Enfin, « les mesures que le juge des référés peut ordonner sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative (CJA) ont nécessairement un caractère provisoire ou conservatoire», ce qui exclut certaines mesures radicales, définitives (II) …

II. Pas de mesures définitives, irréversibles (application en matière de domanialité)
Le 14 avril 2023, le Conseil d’Etat estimait que l’on peut en référé mesures utiles demander des mesures provisoires, mais non définitives, irréversibles.
Sources : voir déjà CE, 25 juin 2021, 449675 ; CE, 15 mars 2021, n° 449016.
Ainsi, sur le domaine public, peut-on demander des déplacer ou de démonter ce qui peut l’être, mais pas de démolir :
« 7. Toutefois, en troisième lieu, les mesures que le juge des référés peut ordonner sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative ont nécessairement un caractère provisoire ou conservatoire. Si tel peut être le cas d’une mesure ordonnant le déplacement ou le démontage d’un ouvrage immobilier, le juge des référés ne saurait ordonner la destruction d’un tel ouvrage. Dès lors, en jugeant qu’aucun principe ne faisait obstacle à ce que le juge des référés ordonne à l’occupant irrégulier du domaine public de démolir les ouvrages implantés sans droit ni titre sur le domaine public dans le cas où cette destruction découle directement et nécessairement de la mesure d’expulsion, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a entaché son ordonnance d’erreur de droit. »
CE, 8-3 chr, 14 avr. 2023, n° 466993, Lebon.
Bref, c’est la censure des démolitions en référé mesures utiles, ce qui désolera Miley Cyrus :

… et ses fans :

Or, voici que cette jurisprudence vient de connaître en ce mois de juillet 2023 toute une série d’applications :
- devant le TA de Bastia :
- voir ces trois décisions :
- avec dans ces trois affaire une acceptation des déplacements ou démontages d’ouvrage mais non de démolition, avec à chaque fois des formulations proches de celle citées infra, tirées de l’affaire 2300740 :
- « 11. Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’ordonner à M. et Mme E, à M. F et à Mme A, d’une part, de quitter les emplacements qu’ils occupent sans autorisation sur la parcelle cadastrée section B n° 1521 située sur le territoire de la commune de Furiani et, d’autre part, de démonter les ouvrages qui s’y trouvent, lesquels ne sont au demeurant pas affectés à leur habitation principale. Un délai de quinze jours leur est imparti à cet effet. Faute pour eux d’y procéder dans ce délai de quinze jours, le Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres pourra requérir le concours de la force publique pour procéder à leur expulsion et au démontage des installations.
« 12. Il résulte de ce qui a été indiqué au point 10 que les conclusions du Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres tendant à ce que le juge des référés prescrive la démolition des ouvrages immobiliers insusceptibles d’être déplacés ou démontés, tels que des terrasses en béton, doivent être rejetées.
« 13. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu d’assortir l’injonction prononcée au point 11 d’une astreinte, à la charge des occupants de chacun des trois bungalows, d’un montant de 300 euros par jour de retard à compter de l’expiration du délai de quinze jours suivant la notification qui leur sera faite par tout moyen de la présente ordonnance. »
- « 11. Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’ordonner à M. et Mme E, à M. F et à Mme A, d’une part, de quitter les emplacements qu’ils occupent sans autorisation sur la parcelle cadastrée section B n° 1521 située sur le territoire de la commune de Furiani et, d’autre part, de démonter les ouvrages qui s’y trouvent, lesquels ne sont au demeurant pas affectés à leur habitation principale. Un délai de quinze jours leur est imparti à cet effet. Faute pour eux d’y procéder dans ce délai de quinze jours, le Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres pourra requérir le concours de la force publique pour procéder à leur expulsion et au démontage des installations.
- au Conseil d’Etat avec la décision que voici :
- « 5. En se fondant, pour juger que la demande d’expulsion devait être regardée comme présentant un caractère d’utilité et d’urgence, sur la nécessité, d’une part, de rétablir le libre accès des piétons à la plage et l’égalité de traitement entre ses occupants pour mettre fin à des troubles, d’autre part, de préserver l’intégrité du domaine public, le juge des référés, qui a porté sur les faits de l’espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation, n’a pas méconnu les dispositions de l’article L. 521-3 du code de justice administrative.
« 6. Toutefois, les mesures que le juge des référés peut ordonner sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative ont nécessairement un caractère provisoire ou conservatoire. Si tel peut être le cas d’une mesure ordonnant le déplacement ou le démontage d’un ouvrage immobilier, le juge des référés ne saurait ordonner la destruction d’un tel ouvrage.
« 7. Dès lors, en enjoignant à la société La Vedette de procéder à ses frais et risques à la démolition des ouvrages implantés sur le domaine public maritime, dont elle avait elle-même relevé qu’ils étaient constitués d’un container ainsi que de la dalle de béton sur laquelle il était placé, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a méconnu son office.
« 8. Par suite, la société La Vedette est seulement fondée à demander, pour ce motif, l’annulation de l’ordonnance qu’elle attaque en tant qu’elle lui a enjoint de procéder à ses frais et risques à la démolition des ouvrages installés sur le domaine public.
« 9. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative pour régler, dans cette mesure, l’affaire au titre de la procédure de référé engagée.
« 10. Il résulte de ce qui a été dit au point 7 que les conclusions du préfet de la Guadeloupe tendant à ce que le juge des référés ordonne, en vue de la remise en état du domaine public maritime, la destruction des ouvrages litigieux ne peuvent qu’être rejetées. » - Conseil d’État, 24 juillet 2023, n° 467796
- « 5. En se fondant, pour juger que la demande d’expulsion devait être regardée comme présentant un caractère d’utilité et d’urgence, sur la nécessité, d’une part, de rétablir le libre accès des piétons à la plage et l’égalité de traitement entre ses occupants pour mettre fin à des troubles, d’autre part, de préserver l’intégrité du domaine public, le juge des référés, qui a porté sur les faits de l’espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation, n’a pas méconnu les dispositions de l’article L. 521-3 du code de justice administrative.
Bref le retour en arrière doit être possible :

Ce qui n’est pas le cas des démolitions :

III. Petite « check-list » finale (9 points à vérifier que l’on soit en demande en en défense)
D’où les points à vérifier en matière de référé mesures utiles, façon « check-list».. que l’on soit requérant, en défense, ou magistrat :
- le juge administratif est-il bien compétent ? En prenant garde notamment aux expulsions sur voirie qui relèvent du juge judiciaire via la contravention de petite voirie par exemple (voir ici).
- ce qui est demandé n’a-t-il pas été accordé, au moins au jour où le juge statue ?
- bien évidemment, comme toujours, a-t-on intérêt à agir ?…
- …et qualité pour agir en Justice ?
- les mesures demandées sont-elles provisoires (voir II ci-avant) ?
- n’y a-t-il pas une voie d’action (au contentieux, donc) parallèle d’effet équivalent ?
- il y a-t-il urgence ?
- ne s’agit-il pas de faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative (auquel cas le référé mesures utiles n’est pas le bon outil) ?
- il y a-t-il réellement absence de contestation sérieuse sur le fond ?

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