En DSP culturelle, et sans doute dans d’autres secteurs, le transfert des biens et, même, des pages des réseaux sociaux, au titre des biens de retour, peut être traité par le juge administratif en référé liberté sans contrainte liée aux propriétés intellectuelles ou aux stipulations contractuelles contraires, tant que les biens sont nécessaires au service.
Le Conseil d’Etat, par une décision importante, a posé que le juge administratif est bien compétent, au besoin en référé mesures utiles, pour ordonner la restitution de biens de retour en fin de DSP, y compris pour des biens culturels ou électroniques.
Pour ce faire, celui-ci peut renvoyer à plus tard les questions liées aux débats de propriété littéraire et artistique, d’une part, et même écarter certaines stipulations contractuelles qui seraient contraires au bon fonctionnement du régime juridique des biens de retour après une DSP, d’autre part.
Cette décision, totalement logique en droit administratif des contrats, impose une primauté de ce dernier sur les questions de droit privé et de droit culturel qui iraient en sens contraire. Y compris en matière de gestion des réseaux sociaux, qui sont des biens de retour..
Dans cette affaire, qui concerne les (superbes) sites et musées culturels de la romanité à Nîmes, c’est un « vae victis » juridique qui est ainsi clamé. Malheur aux vaincus. Malheur aux vaincus de la passation de la DSP. Malheur au droit privé qui devra passer son tour, assujetti, rendu second en priorité en aval des urgences du droit public.
Ce qui satisfait pleinement les publicistes que nous sommes, sourcilleux quant à la primauté de l’intérêt général et du Service Public…
Il y a bientôt dix ans, l’Assemblée du contentieux, dans sa décision Commune de Douai du 21 décembre 2012 (CE, Ass., 21 décembre 2012, Commune de Douai, n° 342788, p. 417), avait consacré et précisé la théorie des biens de retour, dégagée par la jurisprudence à la fin du XIXème siècle à partir des cahiers des charges des concessions.
Selon cette décision, l’ensemble des biens, meubles ou immeubles, « nécessaires au fonctionnement du service public » et dont le contrat de concession (y compris toutes les DSP donc, même en affermage) met « les investissements correspondant à la création ou l’acquisition à la charge du cocontractant », constituent des biens de retour.
Il résulte d’une telle qualification que les biens en question font nécessairement retour, à l’expiration du contrat, à la personne publique.
Ceux qui ont été amortis au cours de l’exécution du contrat lui font retour gratuitement, tandis que le retour des biens non entièrement amortis peut donner lieu à l’indemnisation du cocontractant.
Enfin la personne publique est, en principe, réputée propriétaire des biens dès leur affectation au service public.
De manière plus créative, en 2018, le juge administratif avait complété cet édifice :
- en créant une sorte de propriété par destination des biens
- y compris de certains biens appartenant au délégataire, nécessaires à la DSP, y compris certains biens qui pouvaient lui appartenir avant la DSP et y compris en dépit de stipulations contractuelles contraires… pour résumer le complexe et… créatif… arrêt CE, 29 juin 2018, n° 402251, publié au rec.
Voir notre article d’alors :
NB 1 : sur les limites à apporter à la catégorie des biens considérés comme nécessaires à la concession, voir par exemple CE, 23 janvier 2020, Commune de Bussy-Saint-Georges, req. n°430192 (voir ici cette décision et un article).
NB 2 : sur les provisions, voir par exemple CE, 18 oct. 2018,Soc. Electricité Tahiti (EDT ENGIE), req. n°420097 ; voir ici un article.
Ce droit, ainsi rapidement brossé, a trouvé à rebondir quelque peu avec les péripéties en cascade de la gestion d’équipements culturels à Nîmes.
Par un avis publié le 13 mars 2020, la commune de Nîmes avait engagé une consultation en vue de concéder l’exploitation culturelle et touristique des monuments romains de la ville. Ce contrat avait pour objet de confier à un exploitant une mission de service public culturel et touristique comprenant la gestion globale des services d’accueil, l’animation culturelle, la communication et la valorisation des Arènes, de la Maison Carrée et de la Tour Magne, monuments romains exploités pour la commune.
Le délégataire sortant (depuis 2012), la société Culturespaces (et en tant qu’usager nous avons pu constater la haute tenue de ces sites, ceci dit en passant), avait déposé une offre. Mais une autre offre avait été déposée par la société Edeis concessions, qui a une forte expérience en ports et aéroports, mais moins en espaces culturels.
L’ordonnance de référé précontractuel qui en résulte était intéressante car elle confirmait que le contrôle juridictionnel, au stade des qualités techniques des divers candidats à une DSP reste limité.
Pour remettre en cause la procédure de consultation engagée par la commune de Nîmes, la société Culturespaces a invoqué des inégalités de traitement et un manque de transparence des offres en critiquant l’inexpérience de sa concurrente dans le domaine culturel, l’inconsistance et l’invraisemblance du projet de cette société et la dénaturation de son offre par le pouvoir adjudicateur.
Le juge des référés du tribunal a rejeté la requête de la société Culturespaces en retenant que la société Edeis concessions répondait bien aux critères édictés par le règlement de consultation et justifiait d’une expérience lui permettant de mener à bien sa mission.
Par un avis publié le 13 mars 2020, la commune de Nîmes a engagé une consultation en vue de concéder l’exploitation culturelle et touristique des monuments romains de la ville. Ce marché de service avait pour objet de confier à un concessionnaire une mission de service public culturel et touristique comprenant la gestion globale des services d’accueil, l’animation culturelle, la communication et la valorisation des Arènes, de la Maison Carrée et de la Tour Magne, monuments romains exploités pour la commune.
Le délégataire sortant, la société Culturespaces (et en tant qu’usager nous avons pu constater la haute tenue actuelle de ces sites, ceci dit en passant), a déposé une offre. Mais une autre offre a été déposée par la société Edeis concessions, qui a une forte expérience en ports et aéroports, mais moins en espaces culturels.
L’ordonnance de référé précontractuel qui en résulte est intéressante car elle confirme que le contrôle juridictionnel, au stade des qualités techniques des divers candidats à une DSP reste limité.
Voir : TA Nîmes, ord., 12 juillet 2021, n° 2101994
Voir notre article : Confirmation : le contrôle, opéré par le juge, sur les qualités techniques des candidats à une DSP reste limité

Mais ceci n’était qu’un premier round contentieux. Vint ensuite celui sur les biens de retour.
Le délégataire sortant menaçait de détruire des biens considérés par la ville comme étant « de retour », notamment des pages Internet et donc la commune a saisi le juge judiciaire sur la récupération et la non destruction de ses biens, au nom des dispositions du code de la propriété intellectuelle (CPI).
Par une ordonnance du 28 octobre 2021 rendue sur la demande de la commune de Nîmes, le président du tribunal judiciaire de Marseille a ordonné à la société Culturespaces de suspendre toute action de destruction et de s’assurer de la conservation des biens matériels et immatériels susceptibles d’être qualifiés de biens de retour de la concession.
Mais de son côté, le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes, statuant sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative (référé mesures utiles), a rejeté la demande de la commune de Nîmes tendant à la restitution de ces biens matériels et immatériels.
C’est cette position du TA de Nîmes qui vient d’être censurée par le Conseil d’Etat par une décision du 16 mai 2022, qui aura les honneurs de la publication intégrale au rec. Lebon.


« 14. Il résulte de l’instruction que l’exploitation des pages en cause a été interrompue, alors qu’elles constituent, par leur ancienneté et les communautés d’abonnés qu’elles réunissent, un élément important de la valorisation des monuments, que le nouveau délégataire ne saurait reconstituer rapidement. La restitution des droits d’accès aux pages en question revêtant donc un caractère d’utilité et d’urgence, il y a lieu d’enjoindre à la société Culturespaces d’y procéder.»

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