Quelles sont les limites du droit de communication ou de mise en ligne de documents administratifs… quand les données sont énormes, informatisées et à anonymiser ? [nouvel arrêt, important]

 

Une déjà riche jurisprudence combine sur le droit d’accès aux documents administratifs quand ceux-ci ont des informations nominatives et se trouvent dans d’amples bases de données (I). Notamment, en 2022, diverses décisions du Conseil d’Etat réglaient la question de l’équilibre entre raisonnable et impossible, entre anonymisation et traitement de masse, pour l’accès aux données qui sont incluses dans des bases de données et/ou de gros fichiers, numériques par exemple. 

L’étape d’après était évidemment de voir si des requérants peuvent exiger que ces efforts passent par la création d’outils pour ces extractions ou l’appropriation ou à l’adaptation à tel ou tel outil existant. 

Cette étape a été franchie, puis régulée par une nouvelle décision du Conseil d’Etat rendue fin décembre 2023 (II).

Ce nouvel arrêt se trouve dans la lignée des jurisprudences de 2022 : l’administration n’a l’obligation à cette occasion, pour opérer cette extraction, ni de recourir à un logiciel qui serait mis à sa disposition par le demandeur, ni de développer un nouvel outil informatique, ni de développer de nouvelles fonctionnalités sur les outils dont elle dispose…. De plus, cette affaire illustre bien un cas refus fondé en raison de la charge disproportionnée sur l’administration saisie au regard des moyens dont elle dispose, s’il était fait droit à cette demande. 

 

 

I. Une déjà riche jurisprudence combinant sur le droit d’accès aux documents administratifs quand ceux-ci ont des informations nominatives et se trouvent dans d’amples bases de données 

 

Un document administratif ne sera un document communicable que si, entre autres conditions, il EXISTE, s’il est déjà un document existant (et définitif et administratif etc.) et non pas un document à créer pour le demandeur (articles L. 311-1 et L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration ; CRPA).

OUI MAIS… avec les bases de données, désormais, la frontière entre un document existant et inexistant s’estompe. De nombreux documents n’existent pas mais peuvent exister en deux clics…

Et il faut alors tenir compte de l’article L. 311-9 du CRPA selon lequel cet accès aux documents administratifs s’exerce « dans la limite des possibilités techniques de l’administration ».

Alors le juge a du définir une frontière et, mieux, une frontière assez floue souple pour être opérationnelle avec une marge d’appréciation au cas par cas :

 

 

Voir aussi :

 

 

 

II. Un nouvel arrêt dans la lignée des jurisprudences de 2022 : l’administration n’a l’obligation à cette occasion, pour opérer cette extraction, ni de recourir à un logiciel qui serait mis à sa disposition par le demandeur, ni de développer un nouvel outil informatique, ni de développer de nouvelles fonctionnalités sur les outils dont elle dispose…. De plus, cette affaire illustre bien un cas refus fondé en raison de la charge disproportionnée sur l’administration saisie au regard des moyens dont elle dispose, s’il était fait droit à cette demande. 

 

Il a été précisé ci-avant qu’avec plusieurs décisions en date du 27 septembre 2022, le Conseil d’Etat a réglé la question de l’équilibre entre raisonnable et impossible, entre anonymisation et traitement de masse, pour l’accès aux données qui sont incluses dans des bases de données et/ou de gros fichiers, numériques par exemple.

L’étape d’après était évidemment de voir si des requérants peuvent exiger que ces efforts passent par la création d’outils pour ces extractions ou l’appropriation ou à l’adaptation à tel ou tel outil existant.

Et l’on peut faire confiance à certains demandeurs pour tout oser. C’est à cela qu’on les reconnait.

 

 

En l’espèce, l’association  » Ouvre-boîte  » avait demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler la décision implicite par laquelle le ministre de l’intérieur et des outre-mer avait rejeté sa demande de « publication en ligne de la totalité des fichiers XML générés par les collectivités locales avec l’application Totem (pour Totalisation et Enrichissement des Maquettes) et qui sont envoyés aux préfectures via l’application « Actes budgétaires » pour l’exercice du contrôle budgétaire, soit, depuis 2011, la totalité de leurs budgets primitifs, budgets supplémentaires, décisions modificatives et comptes administratifs (soit quelques 600 000 fichiers). »

Source ; extrait des conclusions de M. Laurent DOMINGO, rapporteur public dans cette affaire

Or, ces informations soit sont déjà en ligne, soit sont énormes à traiter.

 

La CADA et le TA ont été dans le sens des requérants,  sous réserve des occultations nécessaires.

Le Conseil d’Etat n’a pas été du même avis. 

Il commence par rappeler que le premier alinéa de l’article L. 311-9 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA) fait seulement obligation à l’administration de donner accès aux documents demandés en ayant recours, le cas échéant, aux outils informatiques dont elle dispose à la date à laquelle elle se prononce et en utilisant les fonctionnalités dont ceux-ci sont dotés.

La Haute Assemblée souligne qu’aucun texte ne fait obligation à l’administration :

  • NI de recourir à un logiciel qui serait mis à sa disposition par le demandeur,
  • NI  de développer un nouvel outil informatique,
  • NI de développer de nouvelles fonctionnalités sur les outils dont elle dispose….

 

Quant au fond de la demande, cette affaire illustre bien un cas refus fondé en raison de la charge disproportionnée sur l’administration saisie au regard des moyens dont elle dispose, s’il était fait droit à cette demande.

Le Conseil d’Etat note en effet que :

  • d’une part, l’anonymisation manuelle de ces documents ferait, à l’évidence, peser une charge disproportionnée sur l’administration saisie au regard des moyens dont elle dispose.
  • d’autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier que les services du ministère de l’intérieur et des outre-mer disposeraient d’un outil informatique permettant de procéder de façon satisfaisante à l’anonymisation des données personnelles de manière automatisée.

L’association requérante faisait valoir que l’anonymisation des documents pourrait être réalisée à l’aide d’un logiciel libre qu’elle a proposé au ministère d’utiliser, lequel permettrait de supprimer l’ensemble des champs susceptibles de contenir normalement des données à caractère personnel… mais l’administration n’est pas tenue d’en passer par ces solutions (de ce point de vue, reconnaissons que la position du Conseil d’Etat, si elle est logique, ouvre néanmoins la porte à de possibles abus…).

Dans ces conditions, le Conseil d’Etat juge que, eu égard aux fonctionnalités de l’application « Actes budgétaires » dans laquelle les fichiers demandés sont stockés, la demande de mise en ligne de l’intégralité de ces derniers excède les possibilités techniques de l’administration au sens de cet article….Rejet de la demande.

Source :

Conseil d’État, 20 décembre 2023, 467161, Publié au recueil Lebon

Voir aussi ici les conclusions de M. Laurent DOMINGO, rapporteur public dans cette affaire