Notre blog a souvent traité des modalités de désignation des délégués des communes aux conseils communautaires et conseils métropolitains, lorsque ceux-ci sont à désigner indépendamment de la désignation directe faite lors des renouvellements généraux des conseils municipaux. Citons :
- Qui va siéger au sein du conseil de communauté au lendemain d’une fusion ou d’une extension de périmètre ?
- Il est bien possible, dès 2016, de désigner ses délégués aux structures intercommunales qui naîtront de fusions en 2017
- Soit une commune de 1000 habitants et plus qui perd des sièges au conseil communautaire au point de ne plus en avoir qu’un. Elle a alors droit à un suppléant. Ce dernier est-il alors à choisir parmi les « sortants » ?
- Elections pour les élus des communes de 1000 habitants ou plus devant être désignés, en cours de mandat, pour siéger à un EPCI à fiscalité propre : l’Etat confirme que, si la commune a moins de sièges qu’auparavant, seuls les sortants sont éligibles, mais sans que l’on soit lié par l’ordre des noms lors des élections de 2014.
- Election des conseillers communautaires en cours de mandat : le Conseil d’Etat rappelle des règles de bon sens
- Le conseil constitutionnel a, ce matin, validé les règles de désignation des élus dans les EPCI à fiscalité propre
Et surtout :
Si une commune change de nombre de délégués au sein du conseil de communauté : qui siège ?
Avec un changement (à la marge) introduit récemment par la loi :
Dans ce cadre, notre blog a traité le 29 mars dernier d’un jugement du TA de Caen (26 janvier 2017, M. Daniel C. Élection des délégués communautaires de Bretoncelles, n° 1602334) :
Or, ce jugement vient d’être invalidé par un arrêt du Conseil d’Etat fort intéressant (et d’ailleurs à notre sens les deux positions se défendaient, celle du TA comme celle de la Haute Assemblée. Peut-être un peu plus celle du TA mais bon…).
I. La position du TA de Caen
Le TA de Caen (26 janvier 2017, M. Daniel C. Élection des délégués communautaires de Bretoncelles, n° 1602334) avait donc rendu le jugement que voici :
ta-caen-26-janvier-2017-m.-c.-election-des-dlgus-communautaires-de-bretoncelles-n-1602334
Le TA commençait par noter que :
« le législateur a entendu prévoir, en cas de fusion d’établissements publics de coopération intercommunale entre les renouvellements généraux des conseils municipaux, deux régimes différents de désignation des conseillers communautaires selon que le nombre de sièges attribués à la commune concernée est supérieur ou égal, d’une part, ou inférieur, d’autre part, au nombre de conseillers communautaires précédemment élus ; »
Certes.
Le juge continuait en posant que :
« qu’en vertu du a) de ces dispositions, si le nombre de sièges de la commune dans le nouveau conseil communautaire est égal ou supérieur à ce qu’il était, les conseillers communautaires précédemment élus à l’occasion du précédent renouvellement général des conseils municipaux font de plein droit partie du nouvel organe délibérant avec, le cas échéant, les conseillers élus par le conseil municipal afin de pourvoir les nouveaux sièges attribués à la commune ; qu’en revanche, selon le c) de ces mêmes dispositions, si le nombre de sièges attribués à la commune est inférieur au nombre de conseillers communautaires élus par le corps électoral au suffrage universel direct à l’occasion du renouvellement général, les membres du nouveau conseil de l’établissement public de coopération intercommunal sont élus par le conseil municipal au scrutin de liste à un tour, à la répartition proportionnelle à la plus forte moyenne ; »
A ce stade, on est dans le résumé de la loi, mais vu les bêtises parfois proférées sur ce point précis, une telle pédagogie n’était pas inutile.
Le juge poursuivait alors en posant que le but de ces dispositions :
« est de permettre la continuité des mandats lorsque le nombre de conseillers communautaires représentant une commune reste à tout le moins constant et, en cas de diminution de la représentation, de confier l’élection de l’ensemble des nouveaux conseillers communautaires au conseil municipal ; »
En l’espèce, une commune de mille habitants ou plus (Bretoncelles ; 1 453 âmes) était passée de 6 à 4 sièges.
Donc c’est parmi ces 6 que le conseil municipal devait choisir ses 4 délégués a jugé sans surprise le TA de Caen. Ce qui était la position de la commune.
Mais tel n’était pas le point de vue du requérant qui était élu d’opposition dans la commune… mais président de la communauté de communes. Lequel requérant (ou plus précisément « protestataire » puisqu’un tel recours relève du contentieux électoral) soutenait quant à lui :
« que les quatre conseillers communautaires de Bretoncelles appelés à siéger au sein du conseil de la communauté de communes Coeur de Perche à compter du 1er janvier 2017 doivent nécessairement être ceux élus lors du renouvellement général des conseils municipaux en 2014 »
En fait, et c’est ce qui est intéressant, est qu’en effet 4 conseillers communautaires avaient été désignés, et seulement 4, aux élections municipales de 2014.
Mais ensuite, en 2016, la commune était passée de 4 à 6 sièges (élection de deux conseillers complémentaires par application, donc, du a) de cet article L. 5211-6-2 du CGCT).
D’où le fait que l’argumentation de l’élu ayant engagé le recours n’était pas illogique. Ce protestataire pouvait tenter de dire qu’on n’appliquait pas le c) de l’article L. 5211-6-2 du CGCT, mais qu’on était dans le cas où la commune, par rapport à 2014, garde le même nombre de sièges.
Sauf que cette position était incertaine.
In fine, le TA a refusé de faire droit à la protestation électorale en posant que :
« deux autres conseillers communautaires ont été élus le 23 mars 2016 ; que la circonstance que ces deux conseillers communautaires ont été élus par délibération du conseil municipal, alors que les quatre autres conseillers ont été élus en mars 2014 au suffrage universel direct, n’est pas de nature à justifier une atteinte au principe d’égalité entre les élus, quel que soit leur mode de désignation ; que, par ailleurs, la représentation de la commune de Bretoncelles au sein de la communauté de communes Coeur de Perche n’est diminuée de deux sièges, soit exactement le nombre de conseillers communautaires élus en 2016, que par un concours de circonstances duquel il convient de ne tirer aucune conséquence de droit ; »
« […] si M. C. soutient également que la délibération du 2 décembre 2016, qui viserait à l’éliminer du conseil de la communauté de communes Coeur de Perche, est entachée de détournement de pouvoir, ce moyen doit être écarté dès lors que le conseil municipal de Bretoncelles a fait en l’espèce une exacte application de la loi qui ne laisse, comme il est dit ci-dessus, aucun choix de mode de scrutin ; »
II. La position, inverse, du CE
Cette position vient d’être invalidée par le Conseil d’Etat via un arrêt du 12 juillet 2017 qui sera publié aux tables du recueil.
Le CE fonde tout sur le nombre de sièges des dernières élections municipales sans prise en compte des conseillers communautaires complémentaires :
« Il résulte de ces dispositions que, pour déterminer les modalités selon lesquelles sont pourvus les sièges attribués à la commune, notamment lorsqu’il est procédé, entre deux renouvellements généraux des conseils municipaux, à la fusion de plusieurs établissements publics de coopération intercommunale, il convient de rapprocher le nombre de sièges de conseillers communautaires attribués à la commune dans le nouvel établissement public de coopération intercommunale du nombre de conseillers communautaires élus à l’occasion du précédent renouvellement général des conseils municipaux. Il n’y a pas lieu de prendre en compte les conseillers communautaires élus entre deux renouvellements généraux dans les conditions prévues au b du 1° de l’article L. 5211-6-2. »
En d’autres mots, le CE privilégie le lien avec l’électeur en 2014, au détriment de la continuité des mandats intercommunaux électifs au fil du temps. C’est plus démocratique peut-être. Cela semble cependant nettement plus éloigné de la formulation de l’article L. 5211-6-2 du CGCT… mais de tels détails n’ont jamais trop freiné le Conseil d’Etat.
Dès lors, la Haute Assemblée en tire toutes les conséquences logiques :
« Le nombre de sièges au conseil de la communauté de communes Coeur du Perche attribués à la commune de Bretoncelles est égal au nombre de conseillers communautaires élus à l’occasion du précédent renouvellement général des conseils municipaux. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que, en application du a du 1° de l’article L. 5211-6-2 du code général des collectivités territoriales, dont il aurait dû être fait application, les quatre conseillers communautaires élus à l’occasion du précédent renouvellement général du conseil municipal, le 23 mars 2014, devaient se voir attribuer un siège à la communauté de communes Coeur du Perche et faire partie du nouvel organe délibérant. »
III. voici cet arrêt
NB : arrêt non encore disponible sur Légifrance.
Conseil d’État
N° 408303
ECLI:FR:CECHR:2017:408303.20170712
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère – 6ème chambres réunies
Mme Sandrine Vérité, rapporteur
M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur publicLecture du mercredi 12 juillet 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. E…D…a demandé au tribunal administratif de Caen d’annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 2 décembre 2016 en vue de l’élection des conseillers communautaires de la commune de Bretoncelles (Orne) à la communauté de communes Coeur du Perche. Par un jugement n° 1602334 du 26 janvier 2017, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa protestation.
Par une requête, enregistrée le 23 février 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. D…demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler le jugement du tribunal administratif de Caen du 26 janvier 2017 ;
2°) d’annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 2 décembre 2016 ;
3°) d’enjoindre à la commune de Bretoncelles d’organiser de nouveau des élections, sous astreinte de 500 euros par jour ;
4°) de prononcer d’office sa réintégration sur la liste des conseillers communautaires.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code électoral ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de justice administrative ;Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Sandrine Vérité, maître des requêtes en service extraordinaire,
– les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Lors du renouvellement général des conseils municipaux les 23 et 30 mai 2014, les quatre conseillers communautaires de la commune de Bretoncelles au conseil de la communauté de communes du Perche rémalardais, dont elle était membre, ont été élus. En raison de l’extension du périmètre de la communauté de communes par l’intégration de nouvelles communes, la représentation de la commune de Bretoncelles a été portée à six sièges et deux conseillers supplémentaires ont été élus par délibération du conseil municipal du 23 mars 2016, en application des dispositions du b du 1° de l’article L. 5211-6-2 du code général des collectivités territoriales. Par un arrêté du 6 octobre 2016, le préfet de l’Orme a créé, au 1er janvier 2017, la communauté de communes Coeur du Perche par fusion de la communauté de communes du Perche rémalardais et de la communauté de communes du Perche Sud. La commune de Bretoncelles est représentée au conseil communautaire de la communauté de communes Coeur du Perche par quatre conseillers communautaires, qui ont été élus par une délibération du conseil municipal du 2 décembre 2016. M. D…demande l’annulation du jugement du tribunal administratif de Caen qui a rejeté sa protestation dirigée contre ces opérations électorales.
2. Aux termes de l’article L. 5211-6-2 du code général des collectivités territoriales : ” Par dérogation aux articles L. 5211-6 et L. 5211-6-1, entre deux renouvellements généraux des conseils municipaux : / 1° En cas (…) de fusion entre plusieurs établissements publics de coopération intercommunale dont au moins l’un d’entre eux est à fiscalité propre, d’extension du périmètre d’un tel établissement par l’intégration d’une ou de plusieurs communes ou la modification des limites territoriales d’une commune membre (…), il est procédé à la détermination du nombre et à la répartition des sièges de conseiller communautaire dans les conditions prévues à l’article L. 5211-6-1. / (…) / Dans les communes dont le conseil municipal est élu selon les modalités prévues au chapitre III du titre IV dudit livre 1er [du code électoral] : a) Si le nombre de sièges attribués à la commune est supérieur ou égal au nombre de conseillers communautaires élus à l’occasion du précédent renouvellement général du conseil municipal, les conseillers communautaires précédemment élus font partie du nouvel organe délibérant ; le cas échéant, les sièges supplémentaires sont pourvus par élection dans les conditions prévues au b ; / b) S’il (…) est nécessaire de pourvoir des sièges supplémentaires, les conseillers concernés sont élus par le conseil municipal parmi ses membres et, le cas échéant, parmi les conseillers d’arrondissement au scrutin de liste à un tour, sans adjonction ni suppression de noms et sans modification de l’ordre de présentation, chaque liste étant composée alternativement d’un candidat de chaque sexe. La répartition des sièges entre les listes est opérée à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne. (…) ; / c) Si le nombre de sièges attribués à la commune est inférieur au nombre de conseillers communautaires élus à l’occasion du précédent renouvellement général du conseil municipal, les membres du nouvel organe délibérant sont élus par le conseil municipal parmi les conseillers communautaires sortants au scrutin de liste à un tour, sans adjonction ni suppression de noms et sans modification de l’ordre de présentation. La répartition des sièges entre les listes est opérée à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne. (…) “.
3. Il résulte de ces dispositions que, pour déterminer les modalités selon lesquelles sont pourvus les sièges attribués à la commune, notamment lorsqu’il est procédé, entre deux renouvellements généraux des conseils municipaux, à la fusion de plusieurs établissements publics de coopération intercommunale, il convient de rapprocher le nombre de sièges de conseillers communautaires attribués à la commune dans le nouvel établissement public de coopération intercommunale du nombre de conseillers communautaires élus à l’occasion du précédent renouvellement général des conseils municipaux. Il n’y a pas lieu de prendre en compte les conseillers communautaires élus entre deux renouvellements généraux dans les conditions prévues au b du 1° de l’article L. 5211-6-2.
4. Le nombre de sièges au conseil de la communauté de communes Coeur du Perche attribués à la commune de Bretoncelles est égal au nombre de conseillers communautaires élus à l’occasion du précédent renouvellement général des conseils municipaux. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que, en application du a du 1° de l’article L. 5211-6-2 du code général des collectivités territoriales, dont il aurait dû être fait application, les quatre conseillers communautaires élus à l’occasion du précédent renouvellement général du conseil municipal, le 23 mars 2014, devaient se voir attribuer un siège à la communauté de communes Coeur du Perche et faire partie du nouvel organe délibérant.
5. Dès lors, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, M. D…est fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Caen a rejeté ses conclusions tendant à l’annulation des opérations électorales qui se sont déroulées le 2 décembre 2016 en vue de l’élection des conseillers communautaires de la commune de Bretoncelles à la communauté de communes Coeur du Perche.
6. Il y a lieu, en conséquence, de déclarer que font partie du conseil de la communauté de communes Coeur du Perche, en qualité de conseillers communautaires de la commune de Bretoncelles, M. B…G…, Mme F…H…, M. A…C…et M. E… D…. En revanche, les conclusions de M. D…aux fins d’injonction ne peuvent qu’être rejetées.
D E C I D E :
————–Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 26 janvier 2017 est annulé.
Article 2 : Les opérations électorales qui se sont déroulées le 2 décembre 2016 pour l’élection des conseillers communautaires de la commune de Bretoncelles à la communauté de communes Coeur du Perche sont annulées.
Article 3 : Il est déclaré que font partie du conseil de la communauté de communes Coeur du Perche, en qualité de conseillers communautaires de la commune de Bretoncelles, M. B…G…, Mme F…H…, M. A…C…et M. E…D….
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. D…est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l’intérieur, à M. E…D…et à M. B…G….
Copie en sera adressée à la communauté de communes Coeur du Perche et à la commune de Bretoncelles.
Rappel des modalités de cette désignation des élus communaux aux conseils communautaires ou métropolitains entre deux élections municipales, en cas de changement de nombre d’élus communautaires :
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