TEOM excédentaires : de nouvelles précisions jurisprudentielles

 

I. Rappel des épisodes précédents

 

I.A. A la recherche de l’excédent perdu

 

Ceux qui lèvent la TEOM ont été marqués en 2014 par cette fameuse « jurisprudence Auchan » (CE, 31 mars 2014, n°368111), avec plusieurs considérants importants, donc un qui correspond toujours au droit en vigueur à ce jour :

« la taxe d’enlèvement des ordures ménagères n’a pas pour objet de financer l’élimination des déchets non ménagers, alors même que la redevance spéciale n’aurait pas été instituée »

Le juge estime alors :

  • que la TEOM est une ressource dédiée et affectée aux OM et qu’il est interdit d’avoir une TEOM trop excédentaire.
  • qu’il doit exercer un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation sur l’équilibre du budget.
  • que cette erreur manifeste d’appréciation… se trouve constituée dans des cas qui sont pour le gestionnaire public loin d’être manifestes ! Dans l’affaire « Auchan » concernant Lille Métropole, le juge a censuré un excédent… de 2,5 % du budget ! Soit un niveau correspondant à une marge de sécurité.

Le présent blog a souvent eu l’occasion de déplorer la rigidité presque toujours croissante de cette jurisprudence Auchan. Voir par exemple :

 

 

I.B. A la recherche de la comptabilité analytique perdue

 

Au point qu’il est complexe de déterminer comment, à l’aide d’une comptabilité analytique fine, mais selon des ruses déjouées par le juge avec sévérité, on peut bien comptabiliser les dépenses du services des déchets ménagers et assimilés, même les dépenses indirectes, afin de présenter sa TEOM comme non excédentaire…

 

Sur ces sujets, voir par exemple : TA Lyon, 4 décembre 2017, n°1506949 et 1605089, N° 1507006 et 1507008, n°1507046, n°1507047.

 

Puis vint un arrêt du CE (19/03/2018, n° 402946 ; voir notre commentaire ici) interdisant la prise en compte de  dépenses d’administration générale de la commune dans le calcul des dépenses permettant de justifier un taux de TEOM (!? alors qu’il impose une telle comptabilité analytique en sens inverse pour le calcul des forfaits élèves à verser à l’école privée par exemple… là il faut prendre en compte les quote parts de dépenses ventilées dans les budgets généraux…).

Le futur résumé des tables du rec. est éclairant :
« La taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) n’a pas le caractère d’un prélèvement opéré sur les contribuables en vue de pourvoir à l’ensemble des dépenses budgétaires de la commune mais a exclusivement pour objet de couvrir les dépenses exposées par une commune pour assurer l’enlèvement et le traitement des ordures ménagères et non couvertes par des recettes non fiscales.
« Ces dépenses sont constituées de la somme de toutes les dépenses de fonctionnement réelles exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets ménagers et des dotations aux amortissements des immobilisations qui lui sont affectées, telle qu’elle peut être estimée à la date du vote de la délibération fixant le taux de la taxe.»
N.B. : en cas de collecte des déchets assimilés (ex DIB) non dangereux sans levée d’une redevance spéciale, les dépenses correspondantes peuvent selon nous être pris en compte dans le calcul de la TEOM en dépit d’une formulation du CE qui ne s’encombre hélas pas de cette subtilité. Sinon, ce serait juste idiot… espérons que la formulation de la haute assemblée oubliant les « assimilés » en cas de non levée d’une RS est une coquille, donc… 
Conclusions :
  • le temps et les moyens d’administration générale mis au service du travail des ordures ménagères seront très difficiles à justifier pour fonder le niveau de TEOM. Souvent, la création d’un vrai budget annexe pourra servir à bien prendre en compte de tels frais si l’on veut les intégrer… avec quelques chances d’avoir un début de ligne de défense (cas des frais d’administration générale dédiés à la passation d’un contrat en ce domaine par exemple).
  • les dépenses réelles d’investissement ne sont prises en compte, en quelque sorte, que via la dotation aux amortissements (ce qui nous semble tout à fait contestable).
Voir :

 

Misère des poubelles et de leur financement sans même la possibilité d’une marge financière de sécurité…

Puis vinrent des décisions inquiétantes du TA de Cergy-Pontoise (voir ici).

II. L’apport de ce nouvel arrêt « Auchan » de 2018

Avec ce nouvel arrêt Auchan, rendu le 25 juin 2018, le Conseil d’Etat pose que (les citations ci-dessous reprennent le futur résumé des tables du rec.) :
  • « La taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) n’a pas le caractère d’un prélèvement opéré sur les contribuables en vue de pourvoir à l’ensemble des dépenses budgétaires, mais a exclusivement pour objet de couvrir les dépenses exposées par la commune pour assurer l’enlèvement et le traitement des ordures ménagères et non couvertes par des recettes non fiscales. »

    sur ce point, rien de neuf.

 

  • « Ces dépenses sont constituées de la somme de toutes les dépenses de fonctionnement réelles exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets ménagers et des dotations aux amortissements des immobilisations qui lui sont affectées. Il en résulte que le produit de cette taxe et, par voie de conséquence, son taux, ne doivent pas être manifestement disproportionnés par rapport au montant de telles dépenses, tel qu’il peut être estimé à la date du vote de la délibération fixant ce taux »

sur ce point, on notera une évolution mineure des formulations du CE  par rapport à celles de l’arrêt du 19 mars 2018, précité, n° 402946 ; voir notre commentaire ici), sans qu’il faille selon nous sur-interpréter ces différences. 

  • « Il appartient au juge de l’impôt, pour apprécier la légalité d’une délibération fixant le taux de la TEOM, que la collectivité ait ou non institué la redevance spéciale prévue par l’article L. 2333-78 du code général des collectivités territoriales (CGCT) et quel qu’en soit le produit, de rechercher si le produit de la taxe, tel qu’estimé à la date de l’adoption de la délibération, n’est pas manifestement disproportionné par rapport au coût de collecte et de traitement des seuls déchets ménagers, tel qu’il pouvait être estimé à cette même date, non couvert par les recettes non fiscales affectées à ces opérations, c’est-à-dire n’incluant pas le produit de la redevance spéciale lorsque celle-ci a été instituée »

La position d’exclusion des sommes de redevance spéciale (RS) est logique mais la formulation retenue exclut aussi les autres déchets assimilés ce qui est consternant.

  • « La somme des excédents de fonctionnement résultant de l’exécution des budgets des années précédentes et reportée en section de fonctionnement sous le nom d’excédent de fonctionnement antérieur reporté ne revêt pas, par nature, un caractère récurrent et ne peut, dès lors, être regardée comme une recette non fiscale de la section de fonctionnement au sens des dispositions de l’article L. 2331-2 du CGCT qui, dans sa rédaction applicable aux années d’imposition en litige, prévoit que Les recettes non fiscales de la section de fonctionnement comprennent : (…) 12° : toutes les autres recettes annuelles et permanentes. Elle ne figure pas davantage au nombre des autres recettes non fiscales de la section de fonctionnement énumérées par les dispositions des articles L. 2331-2 et L. 2331-4 du CGCT, dans sa rédaction alors applicable. »

Là encore, une précision utile quoique fort théorique en fait.

 

Ce qui globalement renforce les analyses faites conjointement avec notre comparse en ce domaine, Sylvie Courbet du cabinet CITEXIA, lors d’une webconférence d‘Idéal connaissances.
Voir :

TEOM excédentaires : branle-bas le combat ! [VIDEO] 

 

VOICI CET ARRÊT :

Conseil d’État, 8ème – 3ème chambres réunies, 25/06/2018, 414056

Conseil d’État 

N° 414056    
ECLI:FR:CECHR:2018:414056.20180625 
Mentionné dans les tables du recueil Lebon 
8ème – 3ème chambres réunies
Mme Liza Bellulo, rapporteur
M. Benoît Bohnert, rapporteur public
SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX, avocats


lecture du lundi 25 juin 2018

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 


 

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

La société anonyme (SA) Auchan France a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de prononcer la décharge des cotisations de taxe d’enlèvement sur les ordures ménagères auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2013 et 2014 à raison d’un immeuble dont elle est propriétaire dans la commune d’Aubière (Puy-de-Dôme). Par un jugement n° 1500329 du 4 juillet 2017, le tribunal a rejeté cette demande. 

Par un pourvoi et un nouveau mémoire, enregistrés les 6 septembre 2017 et 9 avril 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Auchan France demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.  



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu : 
– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Liza Bellulo, maître des requêtes,  

– les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la société Auchan France.




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la société requérante se pourvoit en cassation contre le jugement du 4 juillet 2017 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande de décharge des cotisations de taxe d’enlèvement des ordures ménagères auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2013 et 2014 dans les rôles de la commune d’Aubière (Puy-de-Dôme) à raison d’un immeuble dont elle est propriétaire dans cette commune dont la compétence en matière de traitement et de collecte des ordures ménagères a été transférée à la communauté d’agglomération de Clermont-Ferrand. La requérante soutient que les délibérations des 22 mars 2013 et 22 avril 2014 du conseil de cette communauté d’agglomération fixant respectivement le taux de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères pour les années 2013 et 2014 sont illégales en raison d’une disproportion manifeste du taux de la taxe par rapport aux dépenses nécessaires à l’exploitation du service.

2. D’une part, aux termes des dispositions du I de l’article 1520 du code général des impôts, applicable aux établissements publics de coopération intercommunale, dans sa rédaction applicable à l’imposition en cause :  » Les communes qui assurent au moins la collecte des déchets des ménages peuvent instituer une taxe destinée à pourvoir aux dépenses du service dans la mesure où celles-ci ne sont pas couvertes par des recettes ordinaires n’ayant pas le caractère fiscal (…) « . La taxe d’enlèvement des ordures ménagères n’a pas le caractère d’un prélèvement opéré sur les contribuables en vue de pourvoir à l’ensemble des dépenses budgétaires, mais a exclusivement pour objet de couvrir les dépenses exposées par la commune pour assurer l’enlèvement et le traitement des ordures ménagères et non couvertes par des recettes non fiscales. Ces dépenses sont constituées de la somme de toutes les dépenses de fonctionnement réelles exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets ménagers et des dotations aux amortissements des immobilisations qui lui sont affectées. Il en résulte que le produit de cette taxe et, par voie de conséquence, son taux, ne doivent pas être manifestement disproportionnés par rapport au montant de telles dépenses, tel qu’il peut être estimé à la date du vote de la délibération fixant ce taux. 

3. D’autre part, aux termes de l’article L. 2333-78 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable au litige :  » (…) A compter du 1er janvier 1993, les communes, les établissements publics de coopération intercommunale ainsi que les syndicats mixtes qui n’ont pas institué la redevance prévue à l’article L. 2333-76 créent une redevance spéciale afin d’assurer l’élimination des déchets visés à l’article L. 2224-14 (…) Cette redevance est calculée en fonction de l’importance du service rendu et notamment de la quantité des déchets éliminés. Elle peut toutefois être fixée de manière forfaitaire pour l’élimination de petites quantités de déchets. (…) « . Les déchets mentionnés à l’article L. 2224-14 du même code sont les déchets non ménagers que ces collectivités peuvent, eu égard à leurs caractéristiques et aux quantités produites, collecter et traiter sans sujétions techniques particulières. Il résulte de ces dispositions, d’une part, que l’instauration de la redevance spéciale est obligatoire en l’absence de redevance d’enlèvement des ordures ménagères, d’autre part, que, compte tenu de ce qui a été dit au point 2, la taxe d’enlèvement des ordures ménagères n’a pas pour objet de financer l’élimination des déchets non ménagers, alors même que la redevance spéciale n’aurait pas été instituée.

4. Il résulte de ce qui précède qu’il appartient au juge de l’impôt, pour apprécier la légalité d’une délibération fixant le taux de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, que la collectivité ait ou non institué la redevance spéciale prévue par l’article L. 2333-78 du code général des collectivités territoriales et quel qu’en soit le produit, de rechercher si le produit de la taxe, tel qu’estimé à la date de l’adoption de la délibération, n’est pas manifestement disproportionné par rapport au coût de collecte et de traitement des seuls déchets ménagers, tel qu’il pouvait être estimé à cette même date, non couvert par les recettes non fiscales affectées à ces opérations, c’est-à-dire n’incluant pas le produit de la redevance spéciale lorsque celle-ci a été instituée. 

5. En premier lieu, la somme des excédents de fonctionnement résultant de l’exécution des budgets des années précédentes et reportée en section de fonctionnement sous le nom  » d’excédent de fonctionnement antérieur reporté  » ne revêt pas, par nature, un caractère récurrent et ne peut, dès lors, être regardée comme une recette non fiscale de la section de fonctionnement au sens des dispositions de l’article L. 2331-2 du code général des collectivités territoriales qui, dans sa rédaction applicable aux années d’imposition en litige, prévoit que  » Les recettes non fiscales de la section de fonctionnement comprennent : (…) 12° : toutes les autres recettes annuelles et permanentes « . Elle ne figure pas davantage au nombre des autres recettes non fiscales de la section de fonctionnement énumérées par les dispositions des articles L. 2331-2 et L. 2331-4 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction alors applicable. 

6. Par suite, en excluant expressément le report de l’excédent de la section de fonctionnement résultant de l’exécution du budget des années antérieures, d’un montant de 2 957 134 euros, du calcul permettant, en application de la règle rappelée au 2, d’apprécier le caractère non manifestement disproportionné du taux de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères au regard du coût du service de collecte et de traitement des déchets ménagers non couverts par des recettes ordinaires non fiscales, le tribunal administratif, qui a suffisamment motivé son jugement, n’a pas commis d’erreur de droit.

7. En deuxième lieu, le tribunal administratif, pour écarter le moyen tiré, par la voie de l’exception, de l’illégalité des délibérations des 22 mars 2013 et 22 avril 2014 fixant le taux de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères pour les années 2013 et 2014, s’est fondé, d’une part, sur ce qu’il ressortait des annexes des budgets primitifs des années en cause relatives aux ordures ménagères et assimilées, qu’en 2013 le produit estimé de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères était inférieur de 3 392 634 euros au montant nécessaire pour couvrir le coût du service diminué des recettes non fiscales, et qu’en 2014, il était inférieur de 4 785 645 euros au montant nécessaire pour couvrir le coût du service diminué des recettes non fiscales. Il a d’autre part relevé qu’à supposer, comme le soutenait la société requérante, que le coût de traitement des déchets non ménagers représenterait, pour les années 2013 et 2014, environ 15 % du coût global de la gestion du service des ordures ménagères, il n’en résultait pas que les délibérations étaient entachées d’erreur manifeste d’appréciation. 

8. Dès lors que les données prévisionnelles relatives au coût du service et au produit de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères issues du budget primitif avaient été produites à l’instance, c’est sans commettre d’erreur de droit que le tribunal s’est fondé sur ces données pour apprécier la légalité de la délibération fixant le taux de la taxe et non sur les données d’exécution résultant du rapport annuel sur le prix et la qualité du service public d’enlèvement des déchets ménagers de l’année 2013 et du compte administratif de l’année 2014, que la société requérante ne pouvait pas utilement invoquer en l’espèce. Le tribunal n’a, pour les mêmes motifs, pas davantage entaché son jugement d’insuffisance de motivation en s’abstenant de statuer sur l’argumentation tirée de ces derniers documents. 

9. Par ailleurs, il résulte des données chiffrées, non arguées de dénaturation, relevées par le tribunal administratif, qu’en supposant, comme le soutenait la société requérante que le coût de traitement des déchets non ménagers représentait environ 15% des coûts totaux du service de collecte et de traitement des ordures ménagères, l’excédent du produit estimé de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères sur le coût du service des seuls déchets ménagers non couvert par des recettes ordinaires non fiscales s’élevait à environ 10 % en 2013 et 4,3 % en 2014. Il en découle qu’en jugeant que les délibérations en cause n’étaient pas entachées d’erreur manifeste d’appréciation, le tribunal, qui n’a pas méconnu ni les règles rappelées aux points 2 à 4, ni les règles de dévolution de la charge de la preuve, n’a pas entaché son jugement de dénaturation.

10. Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le pourvoi de la société requérante doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la SA Auchan France est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société anonyme Auchan France et au ministre de l’action et des comptes publics.