Face au Covid-19 : un TA refuse aux trois maires d’une île que ceux-ci décident du bouclage sanitaire de l’île… mais, et c’est important, ce TA a censuré ces trois maires pour le caractère supposément disproportionné de leur arrêté de police, et non au motif que ce pouvoir n’appartiendrait qu’à l’Etat. Ce qui augure mal de l’appréciation à venir du juge quant aux marges de manoeuvre des maires… mais qui augure bien du principe même de la prise d’arrêtés de police par les maires face au Covid-19 (même si ce n’est là dit par le juge que de manière implicite)… ce qui d’ailleurs va aussi dans le sens d’extraits d’une ordonnance du Conseil d’Etat rendue précédemment.
Face aux risques liés au Covid-19, le TA de La Guadeloupe a fait preuve d’une audace qui n’était pas la plus évidente, vendredi dernier, face au CHU local, en lui imposant d’acheter des tests (OK…) mais aussi des produits qui ne font pas l’objet d’un consensus total. Voir :
Etrange TA de La Guadeloupe qui, par une autre ordonnance du même jour, refuse aux trois maires de Marie-Galante la possibilité de prendre un arrêté de bouclage sanitaire de leur île…
C’est important même pour les non iliens, car cela cadre la réflexion à venir sur les pouvoirs de police du maire face à ceux de l’Etat en ce domaine (I), ce qui sur place conduit à une consternation très générale sur place mais à des enseignements très contrastés quant aux pouvoirs de maire face au Covid-19 (II).
N.B. : certains développements ci-dessous reprennent certains paragraphes d’un de nos articles précédents, voir : Covid-19 : la bataille du couvre-feu
I. La question, sensible, des pouvoirs de police du maire face aux pouvoirs de police de l’Etat en ces temps d’état d’urgence sanitaire
I.A. D’une manière générale, les pouvoirs de police générale du maire sont à doser avec mesure (techniquement, temporellement, géographiquement), à proportion des risques à l’ordre public et des libertés en cause
Les principes, en matière de pouvoirs de police restent ceux posés par le commissaire du Gouvernement Corneille (sur CE, 10 août 1917, n° 59855) : « La liberté est la règle et la restriction de police l’exception»
Il en résulte un contrôle constant et vigilant, voire sourcilleux, du juge administratif dans le dosage des pouvoirs de police en termes :
- de durée (CE Sect., 25 janvier 1980, n°14 260 à 14265, Rec. p. 44) ;
- d’amplitude géographique (CE, 14 août 2012, n° 361700) ;
- de contenu même desdites mesures (voir par exemple CE, Ass., 22 juin 1951, n° 00590 et 02551 ; CE, 10 décembre 1998, n° 107309, Rec. p. 918 ; CE, ord., 11 juin 2012, n° 360024…).
Autrement posé, l’arrêté est-il mesuré en termes : de durée, de zonages et d’ampleur, en raison des troubles à l’Ordre public, à la sécurité ou la salubrité publiques, supposés ou réels qu’il s’agissait d’obvier .
A titre d’illustration, voir en matière de couvre-feu des mineurs : le 9 juillet 2001 (CE, n° 235638; voir aussi CE, ord., 29 juillet 1997, n° 189250 puis CE, 10 août 2001, n° 237008 ; CE, 10 août 2001, n° 237047 ; CAA Marseille, 13 septembre 2004, n° 01MA02568 ; CE, 30 juillet 2001, n° 236657). Plus récemment, voir Conseil d’État, 10ème – 9ème chambres réunies, 06/06/2018, 410774 (commenté ici : Béziers : pas de couvre feu pour les mineurs, vient de décider le Conseil d’Etat ) puis TA de Cergy-Pontoise, 26 août 2019, LIGUE DES DROITS DE L’HOMME, n°1910034 et n°1910057 (2 espèces différentes) : Couvre-feu : retours de flammes jurisprudentiels au TA de Cergy-Pontoise
I.B. Cela dit, dès qu’il s’agit de combiner pouvoirs de police spéciale et pouvoir de police générale, le juge s’autorise des réponses au cas par cas, domaine par domaine. Plus la police est « spéciale » et proche du régalien, plus l’intervention du maire est refusée ou n’est admise que dans des cas d’urgence ou de grande spécificité
Or, si l’existence de pouvoirs de police spéciale en matière sanitaire ont pu souvent laisser place à l’usage de pouvoirs de police générale (voir l’arrêt, précité, Lutetia, pour des exemples plus récents, voir la possibilité d’usage de pouvoir de police générale alors qu’il existe un pouvoir de police spéciale du SPANC (CE, 27 juillet 2015, 367484, rec.) ou un pouvoir de police spéciale en matière de discothèques (voir CAA Versailles, 4 juillet 2019, 16VE02718)… Il n’est pas rare que le juge inversement :
- refuse de tels usages de pouvoir de police générale au nom de l’existence d’une police spéciale, comme cela a été le cas, à titre d’illustration, en matière de compteurs Linky (CE, 11 juillet 2019, n° 426060) ou de pesticides (CAA Douai, 12 février 2020, n°19DA02665 ; CAA Paris, 14 février 2020, n° 19PA03800 ; position qui fut aussi celle des TA… à deux notables exceptions près)
- ou à tout le moins ne l’admette que de manière très limitée en cas d’urgence comme ce fut le cas par exemple en matière d’édifices menaçant ruine (CE, 5 juin 2019, n° 417305)
Donc, dès qu’il s’agit de combiner pouvoirs de police spéciale et pouvoir de police générale, le juge s’autorise des réponses au cas par cas, domaine par domaine. Plus la police est « spéciale » et proche du régalien, plus l’intervention du maire est refusée ou n’est admise que dans des cas d’urgence ou de grande spécificité…
I.C. En l’espèce, nous sommes certes dans le cadre d’une législation très très spéciale… mais au sein de laquelle le Conseil d’Etat semble ne pas exclure l’intervention des autorités locales. Il y a donc une marge de manoeuvre
En application de la nouvelle loi Covid-19 (voir La loi Covid-19 : voici le texte ainsi qu’un court décryptage [mise à jour du rectificatif de la loi au JO de ce 25 mars]), nous sommes encore plus dans un cadre de pouvoirs de police spéciale qu’auparavant. En effet, cette loi instaure un nouveau « état d’urgence sanitaire » dans le code de la santé publique (art. L. 3131-15 et suivants de ce code) avec de nombreux pouvoirs pour l’Etat (avec une ventilation des pouvoirs entre le Premier Ministre, le ministre de la santé et le préfet) d’interdire ou de limiter des déplacements, de de limiter les rassemblements, de fermer des lieux au public..
Avec deux textes d’ores et déjà pour cet état d’urgence sanitaire « coronavirus Covid-19 » (de deux mois, aux termes de la nouvelle loi) : Décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ; arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d’organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Notamment les mesures sur les transports maritimes sont maintenant fixées au sein de ce décret du 23 mars dernier (modifié depuis deux fois).
Ces pouvoirs ont donc été donnés à l’Etat…
Or, si l’existence de pouvoirs de police spéciale en matière sanitaire ont pu souvent laisser place à l’usage de pouvoirs de police générale, nous venons de voir (I.B.) que le juge ne l’admet qu’avec parcimonie, et que plus le pouvoir de police est spéciale, plus nous sommes « dans le dur du régalien », moins le juge admet que le maire se mêle des affaires de l’Etat en charge des pouvoirs de police spéciale.
CEPENDANT nous avons quelques marges de manoeuvre. Quelques indications de bonne augure.
En effet, en ces domaines, le Conseil d’Etat (CE, ord., 22 mars 2020, n° 439674) a déjà statué, certes indirectement, sur le pouvoir exercé face au Covid-19. Voir :
- Covid-19 : les mesures prises à la mi-mars étaient-elles légales ? [VIDEO + article]
- Le Conseil d’Etat vient de rendre sa décision en référé liberté sur le caractère suffisant, ou non, des mesures actuelles contre le Coronavirus Covid-19.
Or, citons des extraits de cet arrêt du Conseil d’Etat rendu dimanche dernier, en formation collégiale, sous la présidence du Président de la Section du contentieux, en référé liberté (le soulignement, bien évidemment, est de nous) :
« 2. […] Enfin, le représentant de l’État dans le département et le maire disposent, dans les conditions et selon les modalités fixées en particulier par le code général des collectivités territoriales, du pouvoir d’adopter, dans le ressort du département ou de la commune, des mesures plus contraignantes permettant d’assurer la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques, notamment en cas d’épidémie et compte tenu du contexte local. […]
« 15. En troisième lieu, dans le cadre du pouvoir qui leur a été reconnu par ce décret ou en vertu de leur pouvoir de police les représentants de l’Etat dans les départements comme les maires en vertu de leur pouvoir de police générale ont l’obligation d’adopter, lorsque de telles mesures seraient nécessaires des interdictions plus sévères lorsque les circonstances locales le justifient.
« 16. Enfin, une information précise et claire du public sur les mesures prises et les sanctions encourues doit être régulièrement réitérée par l’ensemble des moyens à la disposition des autorités nationales et locales. »
N.B. : ordonnance rendue sur la base du droit avant l’état d’urgence sanitaire, mais en ces domaines, il n’y a pas eu de bouleversement (sur ces questions le décret du 23 mars 2020 pris sur la base de l’état d’urgence sanitaire n’est pas très éloigné de l’arrêté du 14 mars 2020, modifié de nombreuses fois les jours suivants, applicable au jour de l’ordonnance du Conseil d’Etat en référé liberté, le 22 mars 2020) et, au contraire, l’ordonnance du CE semble même indicative du mode d’emploi post loi Covid-19…
II. Face à cela, la position rigide du TA, très contestée localement et régionalement… une ordonnance qui augure mal de l’appréciation à venir du juge quant aux marges de manoeuvre des maires… mais qui augure bien du principe même de la prise d’arrêtés de police par les maires face au Covid-19 (même si ce n’est là dit par le juge que de manière implicite)…




MAIS le juge (était-ce soulevé par la préfecture requérante ? Cela dit il s’agit d’un domaine donnant normalement lieu à moyen d’ordre public…) n’a pas censuré ces arrêtés au nom de la compétence (qui eût pu être considérée comme exclusive) de l’Etat.
DONC cette ordonnance :
- augure mal de l’appréciation à venir du juge quant aux marges de manoeuvre des maires…
- mais elle augure plutôt pas trop mal sur le principe même de la prise d’arrêtés de police par les maires face au Covid-19 (même si ce n’est là dit par le juge que de manière implicite)… ce qui d’ailleurs va aussi dans le sens d’extraits de l’ordonnance, en date du 22 mars 2020, précitée.
Au moment où, sur les transports, sur les couvre-feux, sur les établissements à fermer (certains supermarchés…) et autres, les maires prennent des initiatives toujours plus nombreuses, avec ou sans l’accord des préfectures, nul doute que nous allons avoir bientôt bien d’autres ordonnances rendues en urgence après visio-plaidoiries. Va y avoir du sport….
NB : à comparer avec TA Caen ord., 31 mars 2020, n°2000711 :
Covid-19 : un autre TA admet le principe d’arrêtés de police du maire (couvre-feux, circulations…)… mais avec un rigoureux contrôle du caractère proportionné de ces arrêtés
TA de La Guadeloupe, 27 mars 2020, n°2000294 :
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