Energies renouvelables c/ dérogation « espèces protégées »… des jurisprudences au cas par cas [suite et pas fin]

Les décisions de jurisprudence administrative se succèdent et ne se ressemblent pas, sur le point de savoir si le juge va, ou non, accepter un arrêté dérogatoire permettant d’affecter des espèces protégées au nom du nécessaire développement des énergies renouvelables. 

Faut-il sur le principe opposer maintien de la biodiversité et énergie renouvelable ? NON bien sûr. 

Mais il peut y avoir des cas où les deux intérêts sont mis en balance par le juge parce que mis en balance dans le projet concret d’implantation d’équipements d’énergies renouvelables.

Détaillons une série de jurisprudences dont il ressort que le juge s’accorde un pouvoir d’analyse au cas par cas, selon l’état de la production en énergie renouvelable dans la région (point sur lequel les positions du juge varient dans les paramètres à prendre en compte…), selon les risques réels ou supposés sur les espèces protégées, selon les mesures envisagées au cas par cas…. 

NB il y a bien d’autres jurisprudences à ce sujet, mais détaillons déjà ces quelques unes là, lesquelles s’avèrent, selon nous, fort éclairantes. 

Détaillons ces questions. 

NB : s’y ajoute les cas où nul besoin de telles dérogations se fait jour selon le juge en raison de l’absence d’impact  sur la faune (voir par exemple CAA Nantes, 13/03/2020, 19NT01511, voir les points 12 et 13 ; pour un cas où le requérant étant singulièrement « gonflé  voir CAA de BORDEAUX, 5ème chambre – formation à 3, 14/05/2019, 17BX01845, Inédit au recueil Lebon ; sur les mesures destinées à protéger la faune aviaire en cas d’éoliennes, ladite faune n’étant pas composée d’espèces protégées, voir par exemple CAA de MARSEILLE, 7ème chambre, 04/10/2019, 18MA01980 – 18MA02314, Inédit au recueil Lebon)

 

 

I. CAA de Nantes en mars 2019 : espèces protégées 0 ; énergies renouvelables 1

 

Le développement des énergies renouvelables peut fonder un arrêté de dérogation « espèces protégées  » au sens des dispositions de l’article L. 411-2 du code de l’environnement (voir, à ce sujet, ici), selon la CAA de Nantes.

Cette cour a en effet commencé par rappeler que :

« Il résulte de ces dispositions qu’un projet d’aménagement ou de construction d’une personne publique ou privée susceptible d’affecter la conservation d’espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s’il répond, par sa nature et compte tenu notamment du projet dans lequel il s’inscrit, à une raison impérative d’intérêt public majeur. En présence d’un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d’une part, il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et, d’autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.»

Certes. C’est classique en ce domaine précis.

Mais :

« L’arrêté contesté du 4 février 2015 comporte l’indication des textes qui en constituent le fondement, en particulier les articles L. 411-1 et suivants du code de l’environnement et l’arrêté interministériel du 19 février 2007. Après avoir fait mention, notamment, de l’avis favorable rendu par le directeur régional de l’environnement, de l’aménagement et du logement de Bretagne, de l’avis défavorable du conseil scientifique régional du patrimoine naturel de Bretagne du 12 décembre 2013 et l’avis défavorable de l’expert délégué de la commission  » faune  » du conseil national de la protection de la nature, il énonce le nombre d’espèces concernées, indique notamment que le projet de parc éolien  » les moulins du Lohan  » s’inscrit dans le cadre de la mise en oeuvre du pacte électrique breton destiné à résorber la vulnérabilité de la Bretagne en terme d’autonomie, que ce projet, d’une puissance totale comprise entre 51 et 51,2 MW, répond à des raisons impératives d’intérêt public majeur, ainsi qu’à la recherche d’un moindre impact, qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, que le demandeur s’engage à mettre en oeuvre l’ensemble des mesures pour éviter, réduire et compenser les impacts sur les espèces protégées et que dans ces conditions, la dérogation ne nuit pas au maintien dans un état de conservation favorable, des populations des espèces protégées concernées. Une telle motivation répond en l’espèce aux exigences rappelées ci-dessus. »

Entre deux maux, et en l’état des garanties données, la CAA a admis que l’Etat ait du trancher.

 

CAA de NANTES, 5ème chambre, 05/03/2019, 17NT02791- 17NT02794, Inédit au recueil Lebon

 

 

II. CAA de Bordeaux en avril 2019 : espèces protégées 1 ; énergies renouvelables 0

 

Moins de deux mois, une sorte de match retour, portant cette fois sur une centrale hydroélectrique, conduit au résultat inverse.

Voir cet arrêt

CAA bordeaux, 30 avril 2019, FNE Midi-Pyrénées, n° 17BX01426.

CAA Bordeaux, 30 avril 2019, N-17BX01426 (ANNULATION RIIPM – ESP. PRO. – LAVAUR – ESL)

 

 

III. CAA de Nantes en janvier 2020 : espèces protégées 0 ; énergies renouvelables 1

 

Dans un arrêt très détaillé, aux points 7 à 13, la CAA de Nantes détaille les raisons pour lesquelles un parc éolien marin n’a pas d’effet suffisamment notable sur les espèces marines ou sur les oiseaux en raison du faible impact, ou du fait que l’on ne peut prouver l’impact sur les oiseaux ou leur présence… au regard de l’utilité du développement dudit éolien.

Cet arrêt, très détaillé, mérite d’être lu.

CAA de NANTES, 5ème chambre, 24/01/2020, 19NT00916, Inédit au recueil Lebon

Voir aussi CAA de NANTES, 5ème chambre, 06/12/2019, 18NT04618, Inédit au recueil Lebon ainsi que CAA de NANTES, 2ème chambre, 28/11/2019, 18NT01696, Inédit au recueil Lebon

IV. CAA de Nancy en avril 2020 : espèces protégées 1 ; énergies renouvelables 0

Idem un an après à Nancy. La CAA a confirmé le refus préfectoral d’autorisation unique d’un parc de 6 éoliennes, et ce au nom de la  protection d’une espèce protégée.  Le TA de Châlons-en-Champagne avait annulé cet arrêté préfectoral avait enjoint au préfet de réexaminer la demande de la société demanderesse.

Pour annuler l’arrêté, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne avait considéré que, si le parc éolien projeté faisait bien courir un risque à la préservation du couple de milans royaux présent sur le site de son implantation, ce risque pouvait, d’une part, être réduit, à un niveau résiduel faible, par les mesures préconisées par l’étude du CPIE du Pays de Soulaines et, d’autre part, être compensé par le versement de la somme de 50 000 euros à un organisme oeuvrant pour la protection de l’avifaune.

Or, la CAA a :

  • noté, de manière détaillée, que le milan royal est en voie d’extinction dans le Nord-Est de la France… et ce alors même que le couple de milans royaux en question n’était plus sur le site semble-t-il depuis 2016 (mais le juge a été loin dans l’étude des éléments des études faites)
  • souligné que le milan royal est en  forte vulnérabilité aux risques de collision avec les pales des aérogénérateurs
  • rejeté comme insuffisantes les mesures préconisées pour limiter ce risque ou le compenser

Voici cette décision :

CAA Nancy, 8 avril 2020, n° 18NC02309

Milans versus eoliennes

 

A la finale…

 

Faut-il y voir une divergence de jurisprudence ? Oui sur l’appréciation de l’urgence du développement des énergies renouvelables.

Mais n’exagérons pas. Il faut surtout y voir, à la finale, à ce jour, l’affirmation d’une analyse, d’une mise en balance plus ou moins pragmatique, plus au moins pifométrique aussi, au cas par cas.

Le juge s’accorde un pouvoir d’analyse au cas par cas, selon l’état de la production en énergie renouvelable dans la région, selon les risques réels ou supposés sur les espèces protégées, selon les mesures envisagées au cas par cas.

D’où l’importance de part et d’autre de disposer d’argumentaires précis, solides, inventifs, au cas par cas…

 

 

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