Un RC peut-il prévoir, comme cela se pratique souvent, que seul le dernier envoi dématérialisé sera pris en compte ? (spoiler : non la réponse n’est pas si simple que cela)

Une société avait successivement transmis sur le profil d’acheteur de la commune, dans les délais fixés par le règlement de la consultation (RC) :

  1. sa candidature
  2. puis un pli comportant une pièce complémentaire.

Se fondant sur l’article R. 2151-6 du code de la commande publique (CCP), aux termes duquel :

« Le soumissionnaire transmet son offre en une seule fois. Si plusieurs offres sont successivement transmises par un même soumissionnaire, seule est ouverte la dernière offre reçue par l’acheteur dans le délai fixé pour la remise des offres »…

…la commune n’a tenu compte que de ce dernier pli et, le regardant comme constituant la seule candidature transmise par la société, l’a rejetée comme incomplète.

NB : sur l’application de ce régime pour refuser les pluralité de candidatures de différentes filiales d’un même groupe,  voir notre article suivant : Offres de filiales d’un même groupe à un appel d’offres : 1 problème ; 2 modes d’emploi (avec d’un côté Décision 20-D-19 du 25 novembre 2020 de l’Autorité de la concurrence  et — surtout — de l’autre CE, 8 décembre 2020, n° 436532 436582 436583). 

De telles pratiques sont fréquentes et, donc, s’abritent derrière des formulations classiques des RC, elles-mêmes fondées sur des dispositions claires du CCP.

MAIS à toutes ces évidences juridiques fondées sur une large pratique, le COnseil d’Etat vient de faire prévaloir une solution plus tolérante, tirant quant à elles ses racines sur un mélange de bon gros bon sens et de pragmatisme.

En l’espèce, il s’agissait d’une concession. Donc le Conseil d’Etat pouvait aisément noter que les dispositions du CCP ne s’appliquaient pas auxdites concessions. Certes.

Toutefois cela n’épuisait pas les lignes de défense de l’autorité concédante, qui pouvait légitimement penser asseoir sa décision sur le renvoi :

« par le règlement de la consultation à un guide d’utilisation de la plateforme où devaient être déposées les offres sur lequel figurait la mention selon laquelle ” Si vous devez modifier ou rajouter une pièce à votre réponse déjà déposée : tout déposer à nouveau et au complet car le dernier envoi prévaut !!! “, »

A ces formulations pourtant claires des règles du jeu, le Conseil d’Etat a, donc, fait prévaloir une forme de principe de réalité, de gentil pragmatisme.

Il a en effet posé que ces formulations ne pouvaient :

« en tout état de cause, dispenser l’autorité concédante de constater que la seconde transmission ne comportait qu’un document et ne pouvait être raisonnablement regardée comme se substituant au dossier de candidature transmis antérieurement. Par suite, la société […] est fondée à soutenir qu’en rejetant sa candidature comme incomplète en ne tenant compte que de cette seconde transmission, la commune […] a manqué à ses obligations de mise en concurrence et que ce manquement l’a lésée. »

Soyons clairs : la jurisprudence sur l’article R. 2151-6 du code de la commande publique (CCP), ou plutôt sur les dispositions qui en étaient les devancières, allait dans le sens de cette souplesse du juge. Et pour cause, puisque cet article traite bien de l’envoi successif de plusieurs offres. DONC le juge a pu censurer des acheteurs publics n’ayant pas vérifié que les envois successifs n’étaient pas des offres successives mais (comme en l’espèce) un envoi d’une seule et même offre en plusieurs fois.

Voir antérieurement des jurisprudences plutôt sévères à ce même sujet :

 

… et d’autres moins sévères :

 

MAIS là, en l’espèce, le sujet est un peu différent. Car il s’agissait d’appliquer un RC qui, lui, ne portait pas sur l’envoi successif de plusieurs offres… mais bien d’envois successifs tout court, en imposant que tout nouvel envoi soit complet. Après tout, on pourrait penser que rien n’interdisait au pouvoir concédant de fixer une telle règle du jeu dans son RC. Avec une formulation qu’il est utile ici de rappeler tant elle manquait d’ambigüité :

” Si vous devez modifier ou rajouter une pièce à votre réponse déjà déposée : tout déposer à nouveau et au complet car le dernier envoi prévaut !!! “

… et bien non. Même avec une telle formulation dépourvue d’ambiguïté, la personne publique DEVAIT ne pas appliquer son RC au profit d’une vérification bienveillante des envois successifs. Il est princier pour les soumissionnaires, parfois, notre bon Palais Royal…

Ladite société peut légitimement estimer qu’il existe encore, quelque part, du côté de la Haute Assemblée, un gentil Père Noël faisant prévaloir une bonhomie aimable aux règles du jeu strictes des RC… Un  conte de Noël en somme.

Source : CE, 20 décembre 2021, n° 454801