Vice de notification puis erreur de saisine du juge : patience et longueur de temps font-ils plus que force ni que Czabaj ?

Faute de notifications, en bonne et due forme, des voies et délai de recours, c’est dans un délai indicatif d’un an qu’un acte individuel pourra être attaqué, nous conte la jurisprudence Czabaj .. Mais que se passe-t-il si, ensuite, le requérant se trompe de juge compétent ?

Réponse de la CAA de Bordeaux : le délai indicatif d’un an de la jurisprudence Czabaj peut être suivi d’un délai de deux mois de rab’ quand le requérant s’est trompé de juridiction.

Mais cela ne conduit pas à un délai indicatif de 14 mois. Nous avons bien le délai indicatif d’un an à compter du jour où la décision est connue, d’une part, puis un nouveau délai de deux mois (repartant de 0) à compter du jour où le requérant, décidément peu en veine ou dont le conseil est peu dégourdi, apprend qu’il a saisi le mauvais juge.

Et ce n’est qu’alors, s’il n’a pas comme en l’espèce laissé passer ce délai de deux mois, qu’il pourra, enfin veinard, goûter aux charmes du contentieux administratif. Et enfin ce requérant sortira de l’ignorance qui avait été la sienne, de la décision d’une part, puis du juge compétent, d’autre part. 

Sauf à avoir été de nouveau négligent sur ce délai de deux mois, comme en l’espèce… 

 


 

L’administration se trompe et, parfois, notifie mal des voies et délais de recours pour un acte administratif individuel.

Puis le requérant se trompe… en saisissant à tort le juge judiciaire.

Entre ces divers maladroits, le juge administratif a eu à se prononcer pour savoir comment équilibrer, sans doute entre deux fous rires, sa compatissance.

D’un coté, s’appliquait Czabaj. On ne présente plus cette star involontaire des prétoires : cette jurisprudence, très utilisée, consiste à poser qu’un acte administratif individuel non notifié ou mal notifié (en termes de voies et délais de recours) ne peut plus être attaqué que pendant une période indicative d’un an.

Avant cet arrêt de 2016, s’appliquait le principe, de droit écrit tout de même, en vertu duquel l’acte non ou, pour l’essentiel, mal notifié, était attaquable sans délai.

A ce droit écrit, le Conseil d’Etat, en un revirement de jurisprudence total et spectaculaire (conduisant la France à devoir en ce moment d’en répondre devant la CEDH tout de même…),  a opposé un principe de sécurité juridique, l’emportant en l’espèce sur les droits du requérant, sur les formulations écrites du CJA et sur le principe de légalité. Rien de moins. 

Voir :

 

Oui mais ce délai indicatif, le juge n’a jamais hésité à le moduler.

Comment, toutefois, le moduler quand ensuite c’est le requérant qui se prend les pieds dans les tapis contentieux et, notamment, dans la dualité de juridiction ?

Sur ce point, la CAA de Bordeaux a décidé d’être, sinon totalement compatissante, à tout le moins pragmatique.

Alors elle commence par rappeler la vulgate en ce domaine :

« . […] si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l’exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance. »

… mais c’est pour aussitôt pour ajouter deux mois de rabiot au retardataire maladroit, victime tout de même des complexités de nos mondes contentieux, sous réserve que celui-ci n’ait pas été trop négligent tout de même (ou son avocat lisant les écritures…) :

« Un requérant, qui saisit la juridiction judiciaire, alors que la juridiction administrative était compétente, conserve le bénéfice de ce délai raisonnable dès lors qu’il a introduit cette instance avant son expiration. Il est recevable à saisir la juridiction administrative jusqu’au terme d’un délai de deux mois à compter de la notification, de la signification ou de sa connaissance de la décision par laquelle la juridiction judiciaire s’est, de manière irrévocable, déclarée incompétente. »

Il s’agit d’ailleurs plus d’un nouveau délai de deux mois que d’un allongement du délai global. Il n’y a pas de cumul des deux délais, l’un d’un an et l’autre de deux mois. Mais un nouveau délai de deux mois…

Les faits de l’espèce le montrent assez bien d’ailleurs avec une tardiveté dudit requérant, décidément peu prompt à réagir, et à bien réagir, à saisir le juge administratif :

« 8. Il ressort des pièces du dossier que M. B… a eu connaissance de la décision en litige du 16 octobre 2015 au plus tard le 23 décembre 2015, date à laquelle il a saisi le tribunal d’instance de Fort-de-France d’une demande tendant, notamment, à son annulation. Ce tribunal s’est déclaré incompétent pour statuer sur cette demande par un jugement, dont il n’est pas contesté qu’il est devenu irrévocable, du 29 mai 2017. Si la date à laquelle ce jugement aurait été notifié ou signifié à M. B… ne ressort pas des pièces du dossier, ces pièces permettent néanmoins d’établir que l’intéressé a eu connaissance du jugement d’incompétence au plus tard le 5 juillet 2018, quand Pôle Emploi l’a produit dans un autre litige en référé devant le conseil de prud’hommes de Fort-de-France auquel M. B… était partie. En conséquence, M. B… disposait d’un nouveau délai de deux mois à compter du 5 juillet 2018 pour saisir le tribunal administratif d’un recours contre la décision en litige. Ce n’est que le 23 octobre 2018 que M. B… a soumis au tribunal administratif de la Martinique sa demande d’annulation de la décision du 16 octobre 2015. Par suite, Pole emploi est fondé à soutenir qu’à la date du 23 octobre 2018, M. B… n’était plus recevable à saisir cette juridiction. […] »

Comment conclure cet article sans sombrer dans des moqueries qui seraient peu charitables et ne manqueraient pas de déclencher moult et moult attaques indignées si caractéristiques de notre époque ?

Alors oublions les conclusions pour revenir aux meilleures sources, en posant que « patience et longueur de temps font plus que force ni que » Czabaj, mais à la condition de ne pas tout de même exagérer du côté de la longueur de temps…

Source : CAA de BORDEAUX, 3ème chambre, 02/05/2022, 19BX04529