TEOM : un jugement exemplaire avec acceptation d’un excédent de 14,58%

Schématiquement, en matière de fixation des taux de taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM), le juge estime :

  • que la TEOM est une ressource dédiée et affectée aux OM et qu’il est interdit d’avoir une TEOM trop excédentaire… ou plus précisément, pour reprendre la formulation du juge, dont le taux ne doit pas « être manifestement disproportionné » par rapport au montant des dépenses « tel qu’il peut être estimé à la date du vote de la délibération fixant ce taux »
  • qu’il doit exercer un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation sur l’équilibre du budget… erreur manifeste d’appréciation qui se trouve parfois constituée dans des cas qui sont pour le gestionnaire public loin d’être manifestes !
  • que loi impose de prendre en compte la notion de « dépense réelle d’investissement », mais sans que soit précisée par le législateur la faculté d’intégrer les provisions, les sommes conservées pour un futur autofinancement dans le cadre d’un plan pluriannuel d’investissement (PPI)
  • qu’il n’est pas légal (sauf pour des pourcentages très faibles) de prévoir un excédent de précaution
  • qu’il peut même en résulter la gratuité in fine pour le contribuable victorieux au contentieux… Voir :

Oui mais le droit évolue d’une manière générale dans un sens plus proche de ce qu’est la réalité des budgets locaux depuis deux ans (I), avec notamment des évolutions nettes du juge en matière d’excédents admissibles (II) ce qu’un nouveau jugement vient de confirmer avec brio (III).

 

 

I. Un régime strict, mais qui, depuis 2 ans, devient moins déraisonnable

 

A la suite du célèbre arrêt Auchan de 2014, les collectivités ont eu pendant 6 ou 7 ans à subir une avalanche de mauvaises nouvelles :

  • les TEOM excédentaires sont devenues vite illégales, même pour des débords fort limités
  • le juge a imposé des modes de calcul inquiétants
  • le contribuable requérant peut même y gagner une gratuité fiscale
  • la facture qui in fine reposait sur l’Etat incombe désormais aux collectivités
  • le juge a admis la possibilité d’actions en reconnaissance de droits (une des variantes des class actions à la française), en ce domaine.

Mais après 6 ou 7 ans de vaches maigres, voici que depuis deux ans un spectaculaire rééquilibrage est opéré par le juge administratif, au point que l’on peut penser que les jurisprudences en ce domaine sont maintenant non seulement stabilisées, mais aussi moins déséquilibrées :

Voici une vidéo à ce sujet faite au printemps 2022 et qui parcourt en 10 mn 25 ce sujet tout à fait passionnant si on tente de passer du contentieux à la prévention des contentieux, de l’attaque à la prévention des attaques :

https://youtu.be/aCaqgLChyLU

 

Sources citées au fil de cette vidéo par ordre d’apparition : CE, 31 mars 2014, Auchan, n°368111 ; TA Lyon, 9/1/2015, n°1402323 ; TA de Montreuil, 18 mai 2017, n°s 1434675 et 1439146, Groupe Auchan SA (voir cependant ensuite Conseil d’État, 11/07/2018, n° 412263) ; TA Lyon, 4 décembre 2017, n°1506949 et 1605089, n° 1507006 et 1507008, n°1507046, n°1507047, etc. ; CE 19/03/2018, n° 402946 ; CE, 25/06/2018, n° 414056 ; articles L. 2331-2 et L. 2331-4 du CGCT ;  TA Montreuil, 8 octobre 2018, n°1643344 – 1643345 ; CE, 28 avril 2014, n°357090 ; Jugements rendus le 23 mai 2018 par le TA de Cergy-Pontoise ; conclusions de M. Toutée sur CE, 8 juin 1990, Assaupamar, n°93191, publié au rec. ; CE, 18 mai 2018, n° 411045 et 411583 ; CE, 24/10/2018, Casino, n°413895 ;  III de l’article 1639 A du CGI ; TA Lyon, 14 novembre 2018, n° 1702610 ; LFI 2019 n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 ; art. L. 3662-2 et L. 5219-8-1 du CGCT ; CE, 20 septembre 2019, n° 419661 ; art. 1520 et 1521 du CGI ; CE, 13 février 1980, S.A. « Au Bon Marché », n° 10697, rec. T. p. 671 ; 
CE, 12 mars 2021, n° 442583, à publier aux tables du rec. ; CE, 1er juillet 2020, n° 424288 ; TA Lyon, n° 1803391-1803392, CANOL, 26 octobre 2020, C+ ; TA Lyon, n° 1904685, CANOL, 26 octobre 2020, C+ ; CE, 4 octobre 2021, n° 448651, à publier au recueil Lebon ; CE, 22 octobre 2021, N° 434900, à publier en intégral au recueil Lebon ; CE, 15 novembre 2021, n° 454125, à publier au recueil Lebon ; art. L. 2333-78 du CGCT ; CE, 29 novembre 2021, n° 454684.

 

II. Une nette évolution s’agissant des pourcentages d’excédents admissibles, sous réserve cependant du fait qu’à chaque fois une approche au cas par cas prévaut 

 

Dans l’affaire « Auchan » concernant Lille Métropole, le juge avait tout de même censuré un excédent… de 2,5 % du budget ! Soit un niveau correspondant à une marge de sécurité…

De même un jugement  concernant cette fois le Grand Lyon portait sur un excédent de 15,5 % qui avait été considéré par le juge comme étant « manifestement disproportionné ». Voici ce jugement :

En revanche :

 

Puis, même si encore une fois le juge ne fixe en ces domaines absolument pas de pourcentage « légal ou illégal », car il privilégie une appréciation au cas par cas, et qu’à l’évidence la taille totale du budget compte (des pourcentages plus larges sont visiblement admis pour les budgets plus petits)… notons tout de même qu’en 2021 le Conseil d’Etat ait admis (pour une communauté d’agglomération) comme n’étant pas manifestement disproportionné un taux de… 14,6% (lequel selon nous n’eût pas manqué d’être censuré quelques années auparavant). Voir :

 

 

III. Un nouveau jugement, avec brio, vient de confirmer que désormais le juge admet des marges de sécurité en termes d’excédents, pouvant atteindre 14,58 % (là encore pour une communauté d’agglomération). Ce jugement est aussi intéressant en tant qu’il illustre parfaitement le mode de raisonnement du juge en de pareils cas.

 

Dans la lignée de l’arrêt précité n° 438897, le TA de Versailles, s’agissant là encore d’une communauté d’agglomération, vient de valider comme n’étant pas entaché d’une erreur manifeste d’appréciation un taux d’excédent de 14,58 %.

Mais là encore, tout est une question d’appréciation au cas par cas.

Etape 1 du raisonnement : le juge constate le taux voté et contesté (5,39 %). Puis le montant du budget primitif en cause (le BP 2018) est identifié comme se montant à 27 287 600 euros pour les OM… ces dépenses correspondant aux dépenses réelles mais n’incluant pas les frais de structure.

Or, il faut ajouter les frais directs de structure (voir les arrêts précités n° 434900  et n° 444266),

Puis on prend en compte les dotations aux amortissements tels qu’ils apparaissent au compte 68 du tableau de présentation des dépenses budgétaires (montant de 4 600 000 euros), tel que cela avait été fixé par le jurisprudence avant que d’être gravé dans le marbre de la loi de finances pour 2019 [art. 23]).

Fait intéressant, le juge déplore que » les documents budgétaires produits ne permettent pas d’identifier les seules dotations aux amortissements affectées au service des ordures ménagères». Mais (et cela s’avère très logique) il admet que la communauté d’agglomération, à la place, produise « l’inventaire des immobilisations affectées au seul service des ordures ménagères, qui indique le montant de l’amortissement pratiqué au titre de l’année 2018 pour chacune de ces immobilisations » (soit un montant de 962 153,75 euros au titre de l’année 2018). Cette acceptation de substitution est logique (voir ci-avant l’arrêt, précité, n° 424288).

Il ne reste plus qu’à comparer dépenses et recettes ainsi reconstituées pour voir si le pourcentage excédentaire est, ou non, entaché d’une erreur manifeste d’appréciation :

« 8. Ainsi, le produit estimé de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, d’un montant de 27 375 000 euros, excède de 3 484 247 euros, le montant de 23 890 753 euros des charges que cette taxe a pour objet de couvrir. Cet excédent de recettes représentant 14,58% des dépenses, le taux de la taxe litigieuse ne peut être regardé comme manifestement disproportionné.»

Voici cette décision :

TA Versailles, 13 décembre 2022, n°2005947