En matière de contentieux des PUP (projets urbains partenariaux), les requérants tombaient sur un os. Un tel projet devait-il comme tout contrat être attaqué par des contentieux contractuels (à commencer bien sûr par un recours dit « Tarn-et-Garonne » ?). Ou par des recours pour excès de pouvoir (puisqu’il s’agit aussi d’approuver des « programmes d’équipements publics » ? Voire les deux ?
Il pouvait en résulter une vraie bouillie pour chiens.
Dieux merci, après quelques tâtonnements, voici que le Conseil d’Etat vient de mettre la complexité à la niche, le tout au profit du régime des contentieux contractuels.
La Haute Assemblée a statué et la caravane des contentieux pourra passer.
Mais les collectivités peuvent, elles aussi, respirer : la convention de PUP peut être conclue sans que soit requise la passation d’une première convention dans l’hypothèse où les équipements publics ayant vocation à faire l’objet d’une telle convention de PUP sont susceptibles de desservir des terrains autres que ceux qui y sont mentionnés (ceci peut intervenir ensuite, dans un second temps).
I. L’os du régime contentieux de Tarn-et-Garonne
Depuis 2014 les tiers peuvent attaquer directement les contrats.
En 2014, cette faculté retentit comme un coup de tonnerre. Longtemps, la vulgate ainsi enseignée dans les facultés de Droit avait été que dans sa grande sagesse le Conseil d’Etat avait décidé que l’on ne pouvait attaquer directement le contrat dans sa légalité mais que le requérant pouvait contourner l’obstacle en attaquant les actes détachables du contrat (la délibération, la décision de signer)… au besoin en demandant (avec astreinte et injonction) à l’administration de saisir le juge du contrat.
Et les étudiants d’ânonner ces jurisprudences byzantines (CE, 4 août 1905, Epoux Martin, rec. 749 ; CE 1er octobre 1993, Yacht club de Bormes-les-Mimosas, rec. T. 874 ; CE, 7 octobre 1994, Epoux Lopez, rec. p. 430)… en se demandant pourquoi le juge avait voulu tant de complexité, si ce n’était pour le bonheur des esprits pervers et des juristes tordus (au point que le juge dut parfois se déjuger : CE, 30 octobre 1998, n° 149662, Ville de Lisieux, rec. 375). Puis vint LA grande simplification, celle qui supprime d’un coup nombre de pages inutiles dans les traités de contentieux administratif : la possibilité pour les tiers au contrat d’engager un recours direct contre le contrat. C’est ce que l’on appelle un « recours Tarn-et-Garonne », depuis l’arrêt du même nom (CE, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994). Combiné avec d’autres jurisprudences (voir par exemple CE, 5 février 2016, Syndicat mixte des transports en commun Hérault Transport, n° 383149) on sait que :
- Le recours « Tarn-et-Garonne » correspond à deux faces de ce Rubik’s cube à bien distinguer. Il est en effet ouvert :
- d’une part à
« tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses »
-
- et d’autre part aux
« membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu’au représentant de l’Etat dans le département dans l’exercice du contrôle de légalité ; »
- Mais avec une nuance de taille : selon que le recours est engagé par un candidat évincé ou par un membre de l’organe délibérant (ou par le préfet)… les moyens à soulever ne sont pas les mêmes. Le Préfet et les membres de l’organe délibérant peuvent invoquer tout moyen alors que le candidat évincé ne peut invoquer que certains vices (en rapport direct avec l’intérêt lésé ou alors des moyens d’ordre public) :
« si le représentant de l’Etat dans le département et les membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l’appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l’intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d’une gravité telle que le juge devrait les relever d’office »
Notamment si le tiers est un candidat évincé, les moyens qu’il peut soulever sont énumérés par le Conseil d’Etat :
« le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif ne peut ainsi, à l’appui d’un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d’ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction ;»
Voir aussi :
- Quels moyens un candidat évincé peut-il soulever dans le cadre d’un recours Tarn-et-Garonne ?
- La jurisprudence Tarn-et-Garonne s’applique aussi aux déclarations de « sans suite »
- Contrats : le CE affine la notion de « tiers lesé » susceptible d’engager un recours « Tarn-et-Garonne »
- Arrêt Tarn et Garonne : un champ d’application toujours plus large
- Une vidéo sur la décision SMPAT et l’extension du recours des tiers aux actes d’exécution du contrat
- Les recours contractuels depuis l’arrêt Hérault Transport du 5 février 2016 : unité de recours ; diversité d’applications
- voir aussi pour un survol plus large et récent :
- etc.
Un des débats qui s’est ouvert avec cette jurisprudence consiste à savoir quels sont les contrats auxquels s’applique cette jurisprudence. Avec une réponse qui s’impose au fil des décisions : cela s’applique à TOUS les contrats :
- Jurisprudence Tarn-et-Garonne : est irrecevable un contentieux engagé par un EPCI contre la délibération d’une commune autorisant son maire à signer un contrat (ledit EPCI aurait du attaquer le contrat…)
- La jurisprudence Tarn-et-Garonne s’applique à un contrat entre un SDIS et l’organisateur d’une manifestation sportive
- L’Empire de Tarn-et-Garonne s’étend, s’étend…
- Contentieux entre une communauté et une commune membre à propos d’un contrat : la jurisprudence « Tarn-et-Garonne » s’applique
II. Le PUP, un régime croisé
Le projet urbain partenarial (PUP) est ouvert « dans les zones urbaines et les zones à urbaniser délimitées par les plans locaux d’urbanisme ou les documents d’urbanisme en tenant lieu ».
Encore faut-il qu’une « ou plusieurs opérations d’aménagement ou de construction nécessitent la réalisation d’équipements autres que les équipements propres mentionnés à l’article L. 332-15 ».
Si ces conditions se trouvent réunies, une convention de projet urbain partenarial prévoyant la prise en charge financière de tout ou partie de ces équipements peut être conclue entre les propriétaires des terrains, les aménageurs, les constructeurs et :
- 1° Dans le périmètre d’une opération d’intérêt national au sens de l’article L. 102-12, le représentant de l’Etat ;
- 2° Dans le périmètre d’une grande opération d’urbanisme au sens de l’article L. 312-3, la collectivité territoriale ou l’établissement public cocontractant mentionné au même article L. 312-3 ;
- 3° Dans les autres cas, la commune ou l’établissement public compétent en matière de plan local d’urbanisme.
Lorsque des équipements publics ayant vocation à faire l’objet d’une première convention de PUP desservent d’autres terrains par décision de leur organe délibérant, la commune ou l’établissement public compétent en matière de plan local d’urbanisme, ou la collectivité territoriale ou l’établissement public cocontractant (dans le périmètre des grandes opérations d’urbanisme [GOU]) ou le représentant de l’Etat par arrêté, dans le cadre des opérations d’intérêt national (OIN), fixe les modalités de partage des coûts des équipements et délimite un périmètre à l’intérieur duquel les propriétaires fonciers, les aménageurs ou les constructeurs qui s’y livrent à des opérations d’aménagement ou de construction participent, dans le cadre de conventions, à la prise en charge de ces mêmes équipements publics, qu’ils soient encore à réaliser ou déjà réalisés, dès lors qu’ils répondent aux besoins des futurs habitants ou usagers de leurs opérations.
Les conventions successivement établies peuvent viser des programmes d’équipements publics différents lorsque les opérations de construction attendues dans chaque périmètre de convention ne nécessitent pas les mêmes besoins en équipements.
Le périmètre est délimité par délibération du conseil municipal ou de l’organe délibérant de l’établissement public ou, dans le cadre des OIN, par arrêté préfectoral, pour une durée maximale de 15 ans (avec quelques divers cas prévus par le texte).
L’initiative de cette convention appartient à la collectivité compétente en matière d’urbanisme ou aux porteurs de projet (aux propriétaires fonciers, constructeurs ou aménageurs) qui la proposent si leur projet nécessite la réalisation d’équipements publics difficiles à financer par la seule taxe d’aménagement (TA).
Les équipements publics financés par les constructeurs sont ceux qui, non seulement sont rendus nécessaires par les opérations de construction ou d’aménagement initiées par ces derniers, mais répondent aussi aux besoins des futurs habitants ou usagers du projet.
La convention fixe toutes les modalités de participation au financement des équipements publics, notamment les montants, et les délais de paiement.
Doivent y figurer :
- la liste des équipements à financer, leur coût provisionnel et les délais de réalisation,
- le montant de la participation à la charge du constructeur ou aménageur,
- le périmètre de la convention (qui correspond aux terrains d’assiette de
- l’opération d’aménagement et de construction et non aux seuls équipements publics à réaliser),
- les modalités et délais de paiement. La participation peut prendre la forme d’une contribution financière ou d’un apport de terrain bâti ou non bâti.
- la durée d’exonération de la part communale de la taxe d’aménagement, qui ne pourra pas excéder 10 ans.
III. Un mécanisme contentieux désossé (à l’extrême ?) par la CAA de Nantes
Ces conventions de projet urbain partenarial (PUP) sont des contrats, on leur applique donc la jurisprudence Tarn-et-Garonne, a posé la CAA de Nantes. La contestation contre un tel contrat ne peut donc se faire qu’avec un recours contre le contrat lui-même, engagé par un tiers suffisamment lésé (ou par un membre de l’organe délibérant ou par le Préfet — ces requérants potentiels étant recevables par principe).
Donc un recours contre une délibération portant PUP engagée par un tiers (un tiers mal informé… donc) sera rejeté en tant que ce recours vise la convention… ce qui est logique. MAIS une délibération de ce type ne vise en général pas qu’à approuver ladite convention. Souvent, il s’agit aussi en même temps, comme en l’espèce, de déterminer ce qui sera construit. Et, là, il n’est plus de jurisprudence Tarn-et-Garonne qui tienne, puisqu’il ne s’agit plus d’un contrat.
Plus précisément, en l’espèce, la CAA de Nantes a estimé que cette partie de la délibération qui « approuve le programme des équipements publics » étaitdétachable de la convention de PUP…. et que sur cette partie détachable de la délibération, le recours était recevable au fond (quitte à être, comme en l’espèce, rejeté au fond).
Tout ceci est très logique mais il peut en résulter quelques complexités opérationnelles et contentieuses (surtout en cas d’annulation du programme des des équipements publics et de rejet du recours contre la convention !)…
Source :
CAA de NANTES, 5ème chambre, 23/07/2018, 17NT00930
IV. Le Conseil d’Etat met fin à la vie de chien des requérants… et de la collectivité
Le Conseil d’Etat a ensuite (mais dans une autre affaire que celle de la CAA de Nantes) posé que ces convention de PUP (de l’art. L. 332-11-3 du code de l’urbanisme) sont bien avant tout des contrats administratifs, et qu’il en résulte que les tiers peuvent les contester la voie du recours « Tarn-et-Garonne ».
D’où la solution ainsi présentée par le futur résumé des tables du rec., tel que préfiguré par celui de la base Ariane, que voici :
1) Une convention de projet urbain partenarial (PUP) conclue sur le fondement de l’article L. 332-11-3 du code de l’urbanisme présente le caractère d’un contrat administratif.
Il est donc clair que l’on n’est pas tenu de faire deux contentieux distincts contre un PUP (logique). Et un REP contre une délibération acceptant un PUP et qui adopterait les éléments d’aménagement inclus dans le PUP aurait à tout le moins des fragilités, même si le débat peut être considéré comme n’étant pas totalement clos sur ce point précis.
Mais les collectivités peuvent aussi respirer : la convention de PUP peut être conclue sans que soit requise la passation d’une première convention dans l’hypothèse où les équipements publics ayant vocation à faire l’objet d’une telle convention de PUP sont susceptibles de desservir des terrains autres que ceux qui y sont mentionnés (ceci peut intervenir ensuite, dans un second temps).
Citons sur ce point là encore le futur résumé des tables :
« 2) Il résulte de l’article L. 332-11-3 du code de l’urbanisme, issu de la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 et ultérieurement complété d’un II par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, qu’une convention de projet urbain partenarial (PUP) peut être conclue dès lors que les conditions définies au I de l’article L. 332-11-3 du code de l’urbanisme sont remplies. Ne constitue pas un préalable à la conclusion d’une première convention, dans l’hypothèse où les équipements publics ayant vocation à faire l’objet d’une telle convention sont susceptibles de desservir des terrains autres que ceux qui y sont mentionnés, la détermination, en application du II du même article, par la commune ou l’établissement public compétent en matière de plan local d’urbanisme, des modalités de partage des coûts des équipements ainsi que la délimitation d’un périmètre à l’intérieur duquel les propriétaires fonciers, les aménageurs ou les constructeurs qui s’y livrent à des opérations d’aménagement ou de construction seront le cas échéant appelés à participer, dans le cadre d’autres conventions, à la prise en charge des équipements publics concernés.»
Sauf que sur ce point, il n’est pas inutile de citer l’arrêt lui-même pour mesurer les faits de l’espèce fondant cette possible dissociation :
« 7. Il résulte de ces dispositions qu’une convention de projet urbain partenarial peut être conclue dès lors que les conditions définies au I de l’article L. 332-11-3 du code de l’urbanisme sont remplies. Ne constitue pas un préalable à la conclusion d’une première convention, dans l’hypothèse où les équipements publics ayant vocation à faire l’objet d’une telle convention sont susceptibles de desservir des terrains autres que ceux qui y sont mentionnés, la détermination, en application du II du même article, par la commune ou l’établissement public compétent en matière de plan local d’urbanisme, des modalités de partage des coûts des équipements ainsi que la délimitation d’un périmètre à l’intérieur duquel les propriétaires fonciers, les aménageurs ou les constructeurs qui s’y livrent à des opérations d’aménagement ou de construction seront le cas échéant appelés à participer, dans le cadre d’autres conventions, à la prise en charge des équipements publics concernés.
« 8. Il suit de là qu’en jugeant qu’à supposer que les équipements partiellement financés par la société Eurocommercial Properties Taverny puissent desservir d’autres terrains que ceux mentionnés par la convention de projet urbain partenarial litigieuse, la circonstance que la communauté de communes n’ait pas, avant de la conclure sur le fondement du I de l’article L. 332-11-3 du code de l’urbanisme, délimité le périmètre prévu par le II de cet article à l’intérieur duquel les propriétaires, aménageurs ou constructeurs se livrant à des opérations participeraient à la prise en charge des équipements publics desservant plusieurs terrains était sans incidence sur la légalité de cette convention, la cour, qui a relevé à titre surabondant que l’incidence du vice allégué sur les finances de la communauté de communes n’était pas démontrée et qu’il ne résultait pas de l’instruction que la quote-part des travaux mise à la charge de la société cocontractante ne correspondrait pas à l’utilité des équipements pour le projet qu’elle envisage, n’a pas commis d’erreur de droit. »
Source :
Conseil d’État, 12 mai 2023, n° 464062, aux tables du recueil Lebon
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