Jusqu’où les pièces recueillies lors d’une médiation (notamment en cas de médiation confiée à un expert) sont-elles couvertes par le principe de confidentialité du CJA ?
A cette importante question, le Conseil d’Etat vient d’apporter une réponse détaillée et intéressante qui aura les honneurs d’une publication intégrale au recueil Lebon.
Commençons par une tarte à la crème. Parce que c’est une évidence d’importance : la médiation, dans le monde administratif, qu’elle soit « préalable obligatoire » ou « facultative », monte considérablement en puissance. Pour un aperçu général, voir :
Avec, par conséquent, de nouvelles questions à trancher. A titre d’illustrations :
- Mettre fin à une médiation préalable obligatoire (fonction publique, litiges sociaux…) n’est pas, en soi, un acte susceptible de recours (mais, non, ce n’est pas un piège) : Conseil d’État, 2 octobre 2023, n° 467834, aux tables du recueil Lebon
- Médiation ou juridiction : le juge doit choisir : Conseil d’État, 29 décembre 2022, n° 459673, aux tables du recueil Lebon
- Après un échec en référé suspension, un demandeur doit confirmer sa requête. MAIS pour une CAA accepter une médiation vaut une telle confirmation. : CAA Lyon, 1ère chambre – N° 20LY01383 – commune de Francheville – 11 octobre 2022 – C+
- C’est collégialement que le juge administratif doit acter d’une homologation d’un accord de médiation (CAA Bordeaux, 24 mai 2022, n° 22BX00220, C+)
- Un juge administratif propose une médiation. Cela vaut-il réouverture de l’instruction ? Ce juge doit-il ensuite prononcer une nouvelle clôture ? Voir CE, 7 novembre 2019, n° 431146
- Le TA de Strasbourg invente la « suspension d’un acte administratif pour cause de médiation ». Une innovation logique mais audacieuse (TA Strasbourg, ord., 6 mars 2018, n°1800945).
- A quelles conditions l’accord de médiation devant le juge administratif peut-il être homologué par celui-ci ? (TA Poitiers, 12 juillet 2018, n° 1701757)
- etc.
NB : à ne pas confondre avec l’arbitrage. Sur ce dernier, voir ici.
Or, voici que le Conseil d’Etat vient d’apporter une nouvelle pierre à cet édifice, en traitant du point de savoir jusqu’où les pièces recueillies lors d’une médiation sont-elles couvertes par le principe de confidentialité du Code de justice administrative (CJA).
Les alinéas 2 et suivant de l’article L. 213-2 de ce code semblent assez clairs :
« Article L. 213-2
« […] « Sauf accord contraire des parties, la médiation est soumise au principe de confidentialité. Les constatations du médiateur et les déclarations recueillies au cours de la médiation ne peuvent être divulguées aux tiers ni invoquées ou produites dans le cadre d’une instance juridictionnelle ou arbitrale sans l’accord des parties.
« Il est fait exception au deuxième alinéa dans les cas suivants :
« 1° En présence de raisons impérieuses d’ordre public ou de motifs liés à la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ou à l’intégrité physique ou psychologique d’une personne ;
« 2° Lorsque la révélation de l’existence ou la divulgation du contenu de l’accord issu de la médiation est nécessaire pour sa mise en œuvre.»
SOIT :
lorsqu’un expert désigné par le juge se voit confier une mission de médiation s’appliquent les dispositions de l’article R. 621-1 du CJA :
« La juridiction peut, soit d’office, soit sur la demande des parties ou de l’une d’elles, ordonner, avant dire droit, qu’il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. L’expert peut se voir confier une mission de médiation. Il peut également prendre l’initiative, avec l’accord des parties, d’une telle médiation. Si une médiation est engagée, il en informe la juridiction. Sous réserve des exceptions prévues par l’article L. 213-2, l’expert remet son rapport d’expertise sans pouvoir faire état, sauf accord des parties, des constatations et déclarations ayant eu lieu durant la médiation.»
NB : s’y ajoutent le droit applicable à la couverture, ou non, par le secret professionnel des échanges directs entre avocats qui peuvent se dérouler dans ce cadre, bien évidemment.
Soit à ce stade :
C’est dans ce cadre que le Conseil d’Etat vient :
- de préciser qu’en vertu de ce régime, « ne doivent demeurer confidentielles, sauf accord contraire des parties et sous réserve des exceptions prévues par cet article, sans pouvoir être divulguées à des tiers ni invoquées ou produites dans le cadre d’une instance juridictionnelle, que les seules constatations du médiateur et déclarations des parties recueillies au cours de la médiation, c’est-à-dire les actes, documents ou déclarations, émanant du médiateur ou des parties, qui comportent des propositions, demandes ou prises de position formulées en vue de la résolution amiable du litige par la médiation »
- d’ajouter que, dans « le cas particulier où le juge administratif ordonne avant dire droit une expertise et où l’expert, conformément à ce que prévoit l’article R. 621-1 du CJA, se voit confier une mission de médiation, doivent, de même, demeurer confidentiels les documents retraçant les propositions, demandes ou prises de position de l’expert ou des parties, formulées dans le cadre de la mission de médiation en vue de la résolution amiable du litige.»
D’où le logigramme suivant :
Le Conseil d’Etat ne s’est pas arrêté là. Il a
- d’en déduire logiquement qu’il « appartient alors à l’expert, ainsi que le prévoit l’article R. 621-1, de remettre à la juridiction un rapport d’expertise ne faisant pas état, sauf accord des parties, des constatations et déclarations ayant eu lieu durant la médiation »
- a contrario, de poser qu’en « revanche, l’article L. 213-2 du CJA ne [fait] pas obstacle à ce que soient invoqués ou produits devant le juge administratif d’autres documents, émanant notamment de tiers, alors même qu’ils auraient été établis ou produits dans le cadre de la médiation. Tel est en particulier le cas pour des documents procédant à des constatations factuelles ou à des analyses techniques établis par un tiers expert à la demande du médiateur ou à l’initiative des parties dans le cadre de la médiation, dans toute la mesure où ces documents ne font pas état des positions avancées par le médiateur ou les parties en vue de la résolution du litige dans le cadre de la médiation. »
D’où les compléments suivants — et importants — dans notre logigramme :
Il en résulte le tri suivant, en conséquence, sur ce qui peut être ou non pris en compte par le juge :
-
- d’une part « les pièces devant demeurer confidentielles en vertu de l’article L. 213-2 du CJA ne peuvent être invoquées ou produites dans le cadre d’une instance devant le juge administratif qu’à la condition que les parties aient donné leur accord ou que leur utilisation relève d’une des exceptions prévues à cet article » (certes…). A défaut, « le juge ne saurait fonder son appréciation sur de telles pièces » (ce qui va ou aurait du aller de soi…)
- d’autre part, que « les autres pièces peuvent être invoquées ou produites devant le juge administratif et ce dernier peut les prendre en compte pour statuer sur le litige porté devant lui, dans le respect du caractère contradictoire de l’instruction. »
D’où le logigramme final que voici :
Source :
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.