DSP, fixation de tarifs, marchés publics : quand la collectivité territoriale peut-elle, elle-même, être responsable pénalement ?

Les personnes physiques sont responsables pénalement. Mais les personnes morales publiques ne le sont pas toujours en droit français.

Dans le cas des collectivités territoriales et de leurs groupements, cette responsabilité pénale des personnes morales ne peut être identifiée et sanctionnée par le juge répressif que dans les domaines pouvant donner lieu à délégation de service public (DSP).

D’où la question intéressante, définie usuellement par le juge administratif mais, en pénal, par le juge judiciaire : qu’est-ce qui peut, ou ne peut pas, relever d’une DSP ?

En l’espèce, un SIVOM a pour compétence l’alimentation en eau potable et l’assainissement (collectif semble-t-il).

Un affermage est signé en 2006, pour 11 ans, pour l’assainissement  l’eau restant en régie.

Le 7 juin 2011, la cour administrative d’appel de Marseille, après avoir constaté l’absence de toute délibération fixant le tarif de la redevance d’investissement (dite « surtaxe » comme d’habitude) pour la période correspondant au second semestre 2006, à l’année 2007 et au premier trimestre 2008, alors même que la CEO avait émis des factures portant la mention d’un surcoût de 1 euro/m3 d’eau usée correspondant aux consommations constatées durant cette même période, ayant généré la perception d’une somme totale de 220 650,14 euros, a jugé que la décision du SIVOM d’opérer ce prélèvement du 22 mai 2006 au 20 mai 2008 était entachée d’illégalité. 

Rien de surprenant.

Une association virulente en ce domaine (désolé pour le quasi-pléonasme… à quelques exceptions près)  saisit le Procureur qui poursuit :

  • pour favoritisme (car des contrats ont été aussi passés, irrégulièrement selon l’association et selon le Parquet)
  • ET concussion tant le SIVOM que la société délégataire en tant que complice.

Le favoritisme (432-14 du Code pénal) portait donc sur les passations de marchés (classique) et la concussion sur la perception volontaire et sans titre de sommes (moins fréquent ; art. 432-10 du Code pénal ; voir ici, ou là et encore ici).

 

La Cour de cassation, saisie, a fini par trancher ainsi :

Attendu que, pour renvoyer le SIVOM des fins de la poursuite des chefs de concussion et d’atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics, l’arrêt énonce que le SIVOM, qui est un organisme public, ne revêt pas les qualités de personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ; que les juges ajoutent, concernant, d’une part, le délit de concussion, qu’il n’est pas démontré que le SIVOM ait eu conscience du caractère indu de la somme qu’il a exigé de percevoir et que, s’agissant d’une décision collective, elle n’aurait pu être imputée aux membres de l’organe collégial, à raison de leur seule participation à cette dernière, d’autre part, le délit d’atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics, s’agissant de la [SOCIETE], qu’à supposer que l’infraction principale soit établie, l’avenant litigieux du 24 novembre 2008, conclu sans procédure de publicité ou de mise en concurrence et sans saisine pour avis de la commission de service public, n’a pas été déféré par le préfet devant la juridiction administrative aux fins d’annulation et que la chambre régionale des comptes, qui en a pointé les insuffisances, n’a pas conclu à son illégalité ;

Attendu que si c’est à tort que, pour prononcer la relaxe du SIVOM des chefs de concussion et d’atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics et de la CEO du chef de recel de ce délit, l’arrêt retient que le SIVOM n’a pas la qualité de personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, alors que celui-ci, qui a pour objet la réalisation et la gestion de l’alimentation en eau potable et du réseau d’assainissement de l’agglomération de S., est chargé directement ou indirectement, d’accomplir des actes ayant pour but de satisfaire à l’intérêt général, et revêt ainsi la qualité de personne chargée d’une mission de service public au sens des articles 432-10 et 432-14 du code pénal, l’arrêt n’encourt toutefois pas la censure dès lors que les activités respectives de fixation d’une taxe et d’attribution d’un marché public, à l’occasion desquelles les délits susvisés ont été commis, ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’une convention de délégation de service public au sens de l’article 121-2 du code pénal ;

D’où il suit que les moyens ne peuvent qu’être écartés ;

 

L’apport principal, mais très logique pour un juriste de droit public, est que la fixation des tarifs n’est pas susceptible d’être déléguée (elle est annexée aux contrats de DSP mais donne toujours lieu à fixation par la collectivité par délibération)  et donc ne peut donner lieu à responsabilité pénale de la collectivité.

Plus novatrice (mais non surprenante) est l’affirmation qu’attribuer un marché est en soit une décision publique (insusceptible donc de délégation), certains raisonnements tirés notamment du droit européen auraient permis de nuancer ce propos, mais.. tant mieux pour nos clients.

 

Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 19 décembre 2018, 18-81.328, Publié au bulletin