Jacques Savatier, député de la Vienne, et Arnaud de Belenet, sénateur de la Seine-et-Marne, ont officiellement remis au Premier ministre, le 12 février 2019, un rapport relatif à la formation et à la gestion des carrières des agents des collectivités territoriales.
I. Le contenu du rapport
Dans leur rapport, ces deux parlementaires proposent de renforcer la place des employeurs territoriaux dans le pilotage de la formation et de la gestion des carrières des agents, ainsi que les outils RH des collectivités territoriales. En outre, ils rappellent la nécessité de mieux accompagner les transitions professionnelles, de favoriser la mobilité des agents de la fonction publique territoriale tout en leur garantissant un haut niveau de formation tout au long de leur vie professionnelle.
VOICI CE RAPPORT :
Rapport_parlementaire-def_Savatier-deBelenet_12022019
ET EN VOICI LES 24 PROPOSITIONS :
Proposition 1.
Rendre obligatoire l’élaboration d’un « plan de gestion prévisionnelle des emplois et de développement des compétences » et sa présentation devant l’assemblée délibérante de la collectivité, dans le cadre du débat d’orientation budgétaire.
Proposition 2.
Mettre en place un observatoire prospectif de l’emploi et des métiers territoriaux sousl’égide de l’organisation représentative des employeurs publics territoriaux
Proposition 3.
Créer une organisation représentative des employeurs publics territoriaux, chargée de représenter les collectivités et d’assurer le financement des missions de base du CNFPT etdes CDG.
Proposition 4.
Mettre en place des conventions sur la gestion des emplois et des compétences dans chacune des régions.
Proposition 5.
Clarifier les missions de service public financées par le prélèvement obligatoire et assurées par le CNFPT.
Proposition 6.
Transformer le statut du CNFPT pour lui permettre de développer des activités au-delà de ses missions de service public.
Proposition 7.
Renforcer, en l’inscrivant dans un contrat triennal, la déconcentration au sein du CNFPT en lien avec les conventions régionales pour la gestion des emplois et des compétences et les plans de gestion prévisionnelle des emplois et de développement des compétences.
Proposition 8.
Organiser au niveau régional les missions universelles des CDG ainsi qu’un ensemble demissions optionnelles.
Proposition 9.
Consacrer le CDG coordonnateur comme instance de gouvernance de l’organisation des missions universelles et optionnelles des CDG dans chaque région.
Proposition 10.
Améliorer la sécurisation juridique des prestations proposées par les CDG en dehors du socle commun garanti aux niveaux national, régional et départemental pour les collectivités affiliées
Proposition 11.
Consolider les services publics, particulièrement en milieu rural, en favorisant l’intervention du CDG dans la fonction de « groupement d’employeurs publics ».
Proposition 12.
Favoriser les possibilités données aux CDG de fusionner pour créer des CIG.
Proposition 13.
Elargir l’assiette de cotisation à l’ensemble des collectivités pour un socle de services universels assuré par les CDG et permettant la péréquation.
Proposition 14.
Etablir une cotisation unique permettant d’assurer le financement du CSFPT, del’organisation représentative des employeurs publics territoriaux, des missions de service public du CNFPT et des missions du socle universel de services des CDG.
Proposition 15.
Assurer la collecte de la cotisation unique à la charge de l’ensemble des collectivités par unorganisme tiers unique.
Proposition 16.
Faire assurer l’affectation de la cotisation par un organisme gestionnaire sous le contrôle del’organisation représentative des employeurs publics territoriaux.
Proposition 17.
Améliorer la coordination de l’organisation des concours par la mise en place d’outilscommuns de pilotage sous l’égide de l’organisation représentative des employeurs publicsterritoriaux.
Proposition 18.
Simplifier le cadre des concours sur titres afin de favoriser les recrutements, particulièrement sur les métiers en tension.
Proposition 19.
Encourager le recours à l’apprentissage dans la fonction publique territoriale par l’adaptation des modalités de recrutement des apprentis au sein des collectivités.
Proposition 20.
Faire de l’INET la grande école de l’action territoriale, en renforçant le rôle des élus locaux dans sa gouvernance, et en l’ouvrant au monde de l’entreprise.
Proposition 21.
Formaliser les conditions d’un accompagnement des collectivités, conjointement par leCNFPT et les CDG, dans le but de construire leur plan de développement des compétences.
Proposition 22.
Favoriser l’accompagnement individualisé des agents publics territoriaux par la mise enplace d’un conseil en évolution professionnelle associant les CDG et le CNFPT.
Proposition 23.
Mettre en place un dispositif visant à donner une qualification aux agents qui ne disposentd’aucun diplôme.
Proposition 24.
Dans le cadre des dispositions visant à favoriser la mobilité de l’ensemble des agents, mettre en place des outils spécifiques destinés à l’encadrement supérieur des collectivités locales .
II. Réaction de la FNCDG
Voici le texte, diplomatique mais combatif, de la FNCDG en réponse :
« Communiqué de presse
Rapport parlementaire sur la formation et la gestion des carrières des agents des collectivités territoriales La Fédération tient à souligner l’état d’esprit volontaire de la mission et se félicite de la reconnaissance d’expert et de tiers de confiance des Centres de Gestion. La reprise des axes de rationalisation de la fonction RH dans les collectivités territoriales, comme la rationalisation des concours, le développement des voies d’accès à la fonction publique ou l’accompagnement renforcé à la définition de parcours professionnels, sont des objectifs que nous avions également défendus dans notre contribution, votée à l’unanimité lors de notre Congrès de la Baule le 8 juin.
Le rapport souligne l’évolution et la dynamique des Centres de Gestion :
« Les CDG remplissent, à la fois, un rôle d’expertise au service des collectivités, de cohérence et d’homogénéité dans la mise en pratique des règles régissant les agents publics territoriaux […] un certain nombre de CDG a développé des expertises pointues sur des domaines de la fonction RH (veille et expertise juridique, paie…).
Cette fonction de mutualisation met dès lors ceux des CDG qui ont adopté une posture active de prestation de service à une place centrale de « tiers de confiance » au profit des collectivités. »
Toutefois, si la mission fait le constat qu’un nombre relativement important de CDG a engagé une dynamique de développement, avec un accroissement considérable de l’offre de services aux collectivités, elle pointe l’hétérogénéité de ces établissements, la nécessaire mutualisation de certaines fonctions à l’échelle régionale et le manque de représentativité des collectivités actuellement non affiliées aux Centres de Gestion.
La Mission recense un besoin de coordination de l’ensemble des employeurs publics territoriaux. Cette coordination s’exprimerait par le jeu de la création d’un établissement national qui serait composé des représentants de ces employeurs répartis en différents collèges.
Dans le schéma décrit par la Mission, la coordination exercerait une autre mission : celle de définition des orientations et des moyens du CNPFT et des Centres de Gestion concernant l’exercice d’un socle « universel » de missions obligatoires pour ces derniers, en veillant à l’articulation des missions entre CDG et CNFPT et à la bonne réalisation des actions prévues préalablement au versement des fonds.
La FNCDG a mis en évidence auprès des deux parlementaires des réserves juridiques, financières, organisationnelles quant à ce scénario.
Nous considérons que l’architecture proposée par le rapport complexifie l’organisation de la fonction publique territoriale, la réponse à des besoins évolutifs passant par une certaine souplesse de fonctionnement et une véritable proximité avec les collectivités et établissements.
Outre le fait de créer un échelon supplémentaire, la création de cet établissement national ne pourrait se faire à coûts constants dès lors qu’une part de la cotisation universelle consacrée à la gestion de cet établissement constituerait une dépense nouvelle pour les collectivités et, sur ce point, il apparaît nécessaire d’envisager des scénarios alternatifs qui ont d’ailleurs fait l’objet de discussions avec la Mission.
Dans le rapport, le lien direct de proximité entre CDG et les collectivités et établissements de moins de 350 agents est maintenu par l’obligation d’affiliation et une cotisation plafonnée par la loi.
Le rapport préconise également une organisation renforcée au niveau des régions pour favoriser le développement de l’offre de services des CDG en assurant une plus forte mutualisation, tout en conservant le cadre opérationnel au niveau départemental.
Nous partageons ces objectifs.
Les CDG ont démontré leur capacité d’adaptation ces dernières années, en exerçant une dizaine de nouvelles compétences obligatoires à coût constant et en développant des missions facultatives autour de la santé au travail, de la gestion de paye, de mutualisation de contrats groupe en matière de prévoyance et d’assurance statutaire, de conseil en organisation, en recrutement, conseil juridique…
La Fédération ne peut évidemment qu’être favorable au maintien du ressort départemental des Centres, le lien direct avec les collectivités n’étant en aucun cas un obstacle au renforcement de la mutualisation régionale. En effet, la satisfaction des besoins des collectivités et établissements est notamment liée à la façon dont les CDG s’organisent collectivement et délivrent le service.
La FNCDG s’est prononcée pour un renforcement de la coopération régionale avec l’instauration d’un schéma de coordination, de mutualisation et de spécialisation obligatoire ; la mutualisation ne devant pas prendre la forme d’une « tutelle ».
La mission assoit l’architecture de la gouvernance territoriale envisagée sur l’enjeu croissant de la péréquation territoriale, invoquant qu’avec la diminution potentielle du nombre de collectivités affiliées, liée principalement à la construction intercommunale, le modèle des CDG est susceptible d’être fragilisé.
Le risque exprimé par la mission concernant la fragilisation des Centres pourrait être levé avec deux propositions : la modification des conditions de désaffiliation aux CDG en les calquant sur celles liées au retrait d’une commune dans un EPCI et le maintien des dispositions de la loi MAPTAM sécurisant le champ de compétences obligatoires des Centres.
Par ailleurs, la mission s’appuie sur la volonté de renforcer la représentativité de l’ensemble des collectivités et établissements dans la définition de la gestion des ressources humaines locales.
Les Centres de Gestion sont gérés par des élus locaux représentant depuis 2012 l’ensemble des employeurs territoriaux au travers de différents collèges.
L’instauration d’une coordination nationale pour assurer la représentation de l’ensemble des employeurs est déjà acquise au sein des CDG, dès lors que le socle commun de prestations ou des missions comme les instances médicales ou l’organisation des concours sont exercés auprès de l’ensemble des collectivités et pour la totalité des agents publics. Cette représentation serait encore accentuée avec la constitution d’un socle universel de missions s’adressant obligatoirement à toutes les collectivités ainsi que le préconise la Mission parlementaire. La Fédération, émanation de tous les Centres de Gestion, représente à ce titre également les collectivités territoriales au plan national.
De plus, la mise en place d’un socle universel ne modifierait pas la part des actuels non affiliés au sein des conseils d’administration des Centres de gestion, celle-ci pouvant déjà atteindre un tiers des administrateurs.
Les Centres de Gestion ont démontré leur capacité d’adaptation et la nécessité de renforcer leur coordination. Leur coopération avec le CNFPT est indispensable pour garantir un service public local de qualité. »
III. Réaction du Président du CNFPT
Voici le texte, également diffusé hier de M. François Deluga, président du CNFPT
Le rapport parlementaire constate les progrès du CNFPT au bénéfice des collectivités territoriales. Pour autant les recommandations formulées peuvent entraver cette trajectoire positive et aller à l’encontre des demandes des collectivités. Les propositions complexifient en effet l’organisation, limitent souplesse et réactivité et, ouvrant la voie à la privatisation du service public de formation, portent le risque d’une nouvelle inégalité territoriale.
Le rapport constate que le CNFPT « a connu depuis dix ans un développement important de son activité, une modernisation et une digitalisation de son offre de formation et une harmonisation de celle-ci, vecteur d’homogénéité de la FPT et d’efficience » et a accompli « un effort très important de transformation, et une augmentation significative des formations ».
Les rapporteurs rappellent d’ailleurs que la Cour des comptes a bien souligné ces évolutions positives dans son rapport de 2016.
Ils notent l’intérêt de la mutualisation assurée par la cotisation et l’établissement unique et de son rôle péréquateur qui est « vecteur d’homogénéité de la fonction publique territoriale et de solidarité ».
Le rapport propose des mesures qui viennent complexifier l’organisation et suggère une privatisation du service public.
Le ministre avait demandé des pistes de clarifications et de simplifications, le rapport propose à l’inverse de complexifier l’organisation.
Les collectivités territoriales demandent plus de souplesse, d’agilité, de réactivité et d’accompagnement. La création comme imaginée d’une nouvelle structure nationale, décidant de manière figée et pour trois ans des programmes de formations, ne fera qu’alourdir le dispositif et empêchera de répondre à ces demandes.
Alors que le rapport suggère d’aller vers plus de déconcentration, la création d’un nouvel établissement public chapeautant CDG et CNFPT ne va faire qu’alourdir l’organisation et perdre en lisibilité les rôles et les actions de chacun. Il fait, au passage, disparaître le paritarisme.
Je suis d’ailleurs en accord avec Philippe LAURENT, il ne faut pas que la coordination des employeurs – qu’il a porté avec énergie, que j’ai soutenue et dont le CNFPT est membre avec la FNCDG – devienne une institution, point auquel l’AMF est très attachée. Par ailleurs, la coordination des employeurs a une composition très proche du collège des élus locaux du conseil d’administration du CNFPT, avec souvent les mêmes représentants.
La création d’une structure supplémentaire rajoute un intermédiaire qu’il va falloir financer, qui sera moins représentative puisque n’intégrant pas les représentants des agents, et qui ne répond pas aux attentes de simplification et de lisibilité fixées par le Gouvernement.
Enfin, la création d’une cotisation unique qui serait répartie ensuite entre le CSFPT, les CDG et le CNFPT en fonction des orientations nationales convenues tous les trois ans, va de fait participer à altérer la lisibilité et le pilotage des moyens que les collectivités affectent à la gestion de leurs ressources humaines.
Vers une privatisation de la formation des agents territoriaux
C’est, en fait, la fin du service public de la formation qui est esquissée dans ce rapport.
En suggérant un montage en délégation de service public (DSP), un changement de statut en établissement industriel et commercial (EPIC) et engageant l’établissement vers le secteur concurrentiel, les rapporteurs cantonnent le CNFPT à un rôle de prestataire de formation qui ne serait plus dédié aux agents territoriaux. Comme je l’ai rappelé, les activités concurrentielles doivent rester accessoires de l’établissement public. Le rapport suggère donc la privatisation de la formation continue des agents territoriaux.
L’empilement des structures et l’engagement dans le champ concurrentiel vont participer à renchérir les coûts, à complexifier la gouvernance et supprimer le paritarisme. Cela va amener mécaniquement l’établissement à se désintéresser des actions les moins rentables, les plus éloignées des centralités, les plus coûteuses à produire… comme le ferait le secteur privé.
Une nouvelle tentative de recentralisation au détriment de l’égalité territoriale ?
Il est indiqué dans le rapport « la nécessité d’une régulation nationale des politiques RH » des collectivités. Il s’agit d’une remise en cause de la libre administration des collectivités territoriales. C’est une tentative de plus de recentralisation.
Au contraire, les compétences doivent se développer au plus près des territoires et non s’en éloigner. Le CNFPT poursuit cet objectif. Il assure l’égal accès à la formation à tous les agents quel que soit leur territoire ou la taille de leur collectivité, quelle que soit leur catégorie, quel que soit leur métier.
Le CNFPT doit rester mutualisateur pour continuer d’avoir un coût de production du service le plus faible de la formation professionnelle. Il doit garder sa capacité d’innovation pour construire, aux côtés des collectivités, le service public local de demain. Bien évidemment le CNFPT doit poursuivre son adaptation permanente, sa rénovation est largement engagée comme le souligne le rapport, et doit continuer à mieux prendre en compte les besoins des collectivités et des agents. Je regrette que les propositions du rapport n’aillent pas dans ce sens alors que les collectivités ont plus que jamais besoin d’un meilleur accompagnement dans les défis qu’elles ont à relever aujourd’hui.
IV. Et le CSFPT ?
Pour le CSFPT, il faudra attendre un peu, d’abord parce que ses fonctions sont différentes et ses avis rendus selon d’autres procédures et à d’autres moments, mais ensuite et surtout parce que celui-ci réélisait le même jour à l’unanimité son Président, Philippe LAURENT. Voir :
VOIR AUSSI
Voir aussi :
- Projet de loi de transformation de la fonction publique : « promouvoir un dialogue social plus stratégique et plus efficace » (titre Ier)
- Projet de loi de transformation de la fonction publique : “Transformer et simplifier le cadre de gestion des ressources humaines pour une action publique plus efficace” (Titre II)
- Projet de loi de transformation de la fonction publique : « Simplifier et garantir la transparence et l’équité du cadre de gestion des agents publics » (Titre III)
- Projet de loi de transformation de la fonction publique : “Favoriser la mobilité et accompagner les transitions professionnelles des agents publics” (Titre IV)
- Projet de loi de transformation de la fonction publique : “Renforcer l’égalité professionnelle” (Titre V)