Que se passe-t-il si un acheteur public « joue la montre » alors qu’il est condamné à reprendre les relations contractuelles avec un prestataire ?

Si un jugement enjoignant la reprise des relations contractuelles n’est pas exécuté, puis qu’avant l’arrêt de la CAA le contrat a atteint son terme, le Conseil d’Etat estime qu’il n’y a plus lieu à opérer une reprise des relations contractuelles. Cela pourra conduire de nombreux acheteurs publics concernés par de telles recours (Béziers II) en reprise des relations contractuelles à tenter de « jouer la montre » (ce qui peut être opérant, et même « piégeux » pour les entreprises prestataires… mais qui peut in fine coûter fort cher en termes indemnitaires). 


 

Il y a bientôt 8 ans, un des importants arrêts « Béziers » (« Béziers II») forgeait le nouveau recours en reprise des relations contractuelles (CE, Section, 21 mars 2011, Commune de Béziers, n° 304806, rec. p. 117), non sans quelques importantes limites toutefois. Voir par exemple :

 

Une affaire vient d’illustrer ce recours et, surtout, ses limites.

Un département et une société concluent en 2011 un marché à bons de commande d’une durée de quatre ans.

A la suite d’une liquidation judiciaire de la société, puis d’une reprise de celle-ci par une autre société, cette dernière adresse une facture au département. Faute pour cette facture d’être payée et pour les relations contractuelles de reprendre, la société enjoint au département de reprendre les relations contractuelles, de signer un avenant prenant acte du transfert de plein droit à son profit du marché et de payer la facture impayée.

Par jugement, en 2014, le tribunal administratif de Montreuil, après avoir constaté que le marché avait été résilié irrégulièrement, a :

  • annulé le refus implicite du département de reprendre les relations contractuelles
  • enjoint au département de :
    • reprendre les relations contractuelles avec la société,
    • signer un avenant de transfert dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement
  • rejeté les conclusions indemnitaires de la société CAPCLIM.

La CAA a opté pour la même position en plus strict encore pour la société.

 

La position du Conseil d’Etat a consisté à annuler l’arrêt de la CAA :

  • en tant qu’il a rejeté les conclusions d’appel incident du département (certes)
  • mais aussi en tant qu’il lui a enjoint de reprendre les relations contractuelles avec la société (pas de Béziers II, donc).

 

Mais détaillons car c’est là que les choses deviennent intéressantes.

Le Conseil d’Etat commence par confirmer que oui une résiliation peut être tacite (ce qui ne veut pas dire qu’une telle résiliation tacite n’est pas fautive).

Citons l’arrêt :

« en dehors du cas où elle est prononcée par le juge, la résiliation d’un contrat administratif résulte, en principe, d’une décision expresse de la personne publique cocontractante. Cependant, en l’absence de décision formelle de résiliation du contrat prise par la personne publique cocontractante, un contrat doit être regardé comme tacitement résilié lorsque, par son comportement, la personne publique doit être regardée comme ayant mis fin, de façon non équivoque, aux relations contractuelles. Les juges du fond apprécient souverainement, sous le seul contrôle d’une erreur de droit et d’une dénaturation des pièces du dossier par le juge de cassation, l’existence d’une résiliation tacite du contrat au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, en particulier des démarches engagées par la personne publique pour satisfaire les besoins concernés par d’autres moyens, de la période durant laquelle la personne publique a cessé d’exécuter le contrat, compte tenu de sa durée et de son terme, ou encore de l’adoption d’une décision de la personne publique qui a pour effet de rendre impossible la poursuite de l’exécution du contrat ou de faire obstacle à l’exécution, par le cocontractant, de ses obligations contractuelles »

 

Puis le CE pose que si un jugement enjoignant la reprise des relations contractuelles n’est pas exécuté, puis qu’avant l’arrêt de la CAA le contrat a atteint son terme, le Conseil d’Etat estime qu’il n’y a plus lieu à opérer une reprise des relations contractuelles :

  1. Lorsqu’un tribunal administratif a rejeté une demande tendant à la reprise des relations contractuelles et que, postérieurement à son jugement, le terme du contrat est atteint avant la saisine du juge d’appel ou pendant l’instance d’appel, la cour saisie doit constater que le contrat n’est plus susceptible d’être exécuté et que le litige n’a pas ou n’a plus d’objet
  2. De même, si le tribunal a ordonné la reprise des relations contractuelles mais que son jugement n’a pas été exécuté et que le terme du contrat est atteint avant la saisine du juge d’appel ou pendant l’instance d’appel, la cour doit également constater qu’il n’est plus susceptible d’être exécuté et que le litige n’a pas ou plus d’objet
  3. En revanche, si le jugement ordonnant la reprise des relations contractuelles a été exécuté, le juge d’appel doit statuer sur la requête en appréciant le bien-fondé de la reprise des relations contractuelles ordonnée par le tribunal jusqu’au terme du contrat.

 

La position du CE peut choquer au regard du respect de la chose jugée mais cela n’aurait pas de sens de faire reprendre des relations arrivées à leur terme. Cela pourra conduire de nombreux acheteurs publics concernés par de telles recours (Béziers II) en reprise des relations contractuelles à tenter de « jouer la montre ». Cela peut être opérant, et même « piégeux » pour les entreprises prestataires… mais cela peut in fine coûter fort cher en termes indemnitaires (sauf nouvelle bourde du requérant), d’autant que si le juge enjoint à une telle reprise des relations et que cela n’est pas exécuté, ledit juge risque d’avoir la dent dure et vengeresse lorsqu’on reparlera de ce même sujet, en termes indemnitaires cette fois (d’autant que c’est une violation flagrante du principe de loyauté dans les relations contractuelles, relations contractuelles qui sont censées ne pas s’être interrompues vu l’injonction de reprise desdites relations) . 

 

Conseil d’État, 7ème – 2ème chambres réunies, 27/02/2019, n° 414114, à publier aux tables du rec.