Marchés publics sans formalité : le groupe LREM au Sénat veut remonter provisoirement le seuil de 40 000 à 100 000 €

Mise à jour : amendement retiré en raison du caractère réglementaire de cette mesure et non législatif… mais le Ministre Fesneau a parlé d’assouplissements à venir… à suivre

 

 

En décembre dernier, le seuil des marchés publics dispensés de toute procédure de publicité et de mise en concurrence est passé à 40 000 € HT (voir ici). 

Or les sénateurs du groupe La République en Marche, tous, ont déposé un amendement au projet de loi « Dispositions urgentes face à l’épidémie de covid-19 » (voir ici pour accéder au dossier législatif).

L’histoire en cette matière remonte à loin.

 

I. Un peu d’histoire nous rappelle que de telles remontées de seuils ne sont possibles que parce que les marchés sans formalités doivent rester des marchés avec le respect d’un minimum de publicité et de mise en concurrence…

 

Un jour de soudaine rigidité, le Conseil d’Etat avait censuré un seuil de mise en concurrence et de publicité à 20 000 € HT… pour revenir au seuil de 4 000 € HT, schématiquement, et ce à la demande d’un avocat requérant dont on aurait aimé qu’il fît plus de bruit avant et/ou après cet arrêt, mais pas pendant (CE, 10 février 2010, n° 329100).

Puis, entre l’évolution du droit européen, les mutations des formulations du code et surtout une bienheureuse progression du Conseil d’Etat, ce seuil a pu être relevé petit à petit.

Le législateur a tenté de relever le seuil mais en le soustrayant des fourches caudines, décidément trop sévères à l’époque, du juge administratif (art. 118, loi n° 2012-387 du 22 mars 2012) ce qui n’a pas convaincu (logiquement…) le Conseil constitutionnel (Cons. const., 13 août 2015, n° 2015-257).

Retour donc à la case réglementaire avec le décret n° 2015-1163 du 17 septembre 2015. Le seuil de 25 000 euros HT a été repris avec des phrases jolies sur l’obligation de choisir une offre pertinente et de varier les partenaires (la monogamie n’est pas une vertu en marchés publics…)… ce qui a permis au juge administratif de valider ce seuil de 25000 € HT sans avoir l’air de virer casaque  (CE, 17 mars 2017, n° 403768 avec, sur ce point, le même confrère requérant).

Puis il y eu moult manoeuvres d’approche et évolutions. Pour un historique à ce sujet, voir :

Seuil qui fut finalement remonté à 40 000 € HT donc par le décret n° 2019-1344 modifiant certaines dispositions du code de la commande publique relatives aux seuils et aux avances, que nous avions commenté ici.

Il est à rappeler que cependant, même en dessous de ces seuils :

  • s’appliquent (sauf dérogation textuelle) les grands principes de la commande publique, dès le premier euro, tant en droit communautaire (CJCE, 7 décembre 2000, Telaustria et Telefonadress, affaire C-324/98 ; CJCE 3 décembre 2001, Bent Mousten Vestergaard, C-59/00) qu’en droit interne (CE, avis, 29 juillet 2002, Société MAJ blanchisseries de Pantin, req. n° 246921 ; CE, 30 janvier 2009, ANPE, req. n° 290236).
  • reste ouvert le débat du point de savoir si en dessous de ces seuils le délit de favoritisme de l’article 432-14 du Code pénal peut, ou ne peut pas, être commis (dans le sens de la possibilité de constituer cette infraction en dessous des seuils, voir Cass. crim., 14 février 2007, n° 06-81924 — mais rendu avant que n’existe la notion de procédure adaptée — et une vieille circulaire de la Chancellerie : circulaire du 4 mars 2002 n° 2002-06 G3/04-03-2002, nor JUSDO0230050C, BOJ n° 86)…

 

II. Un amendement vise à remonter ce seuil, provisoirement, à 100 000 €. Or, cet amendement étant signé par le groupe LREM du Sénat, et ayant eu un avis favorable de la commission… nul doute qu’il aura un écho au sein de l’Assemblée Nationale et du Gouvernement

 

Nul doute que les parlementaires des majorités successives ont toujours eu une grande indépendance face aux gouvernements successifs 😁.  Mais tout de même, un amendement signé par un groupe parlementaire en entier de la majorité est un signe clair, au moins depuis 1958 et, plus encore, depuis 1962.

Or, c’est l’entier groupe parlementaire LREM du Sénat qui a signé cet amendement  « Dispositions urgentes face à l’épidémie de covid-19 » (voir ici pour accéder au dossier législatif) :

AMENDEMENT

présenté par

C Favorable
G

M. PATRIAT

et les membres du groupe La République En Marche


ARTICLE ADDITIONNEL APRÈS ARTICLE 1ER NONIES

Après l’article 1er nonies

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Jusqu’au 10 juillet 2021, les acheteurs soumis au code de la commande publique peuvent passer un marché public, y compris un marché public de défense ou de sécurité, négocié sans publicité ni mise en concurrence préalables portant sur des travaux, fournitures ou services répondant à un besoin dont la valeur estimée est inférieure à 100 000 euros hors taxes.

Lorsqu’ils font usage de cette faculté, les acheteurs veillent à choisir une offre pertinente, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même opérateur économique lorsqu’il existe une pluralité d’offres susceptibles de répondre au besoin.

II. – Le présent article s’applique aux marchés publics conclus par l’État ou ses établissements publics en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises.

 

Objet

Face à la gravité de la crise économique, il est vital que la commande publique qui représente près de 8 % du PIB soit au service de notre économie. Ce puissant moteur de relance qui sera alimenté par des investissements publics inédits sera un levier de croissance indispensable pour la survie des entreprises et notamment des PME. Une commande publique forte sera également bénéfique pour nos services publics puisque les usagers en seront les principaux bénéficiaires.

Le caractère inédit et l’ampleur de cette crise économique imposent que les règles de la commande publique qui n’ont pu anticiper cette situation, soient adaptées, temporairement, pour contribuer très fortement à l’indispensable relance rapide de l’économie.

C’est dans cet objectif qu’il est proposé de relever à 100 000 € le seuil de dispense de publicité et de mise en concurrence pour la conclusion des marchés publics. Avec cette mesure adaptée et strictement limitée au temps nécessaire à la relance de notre économie, les acheteurs pourront, avec toute la souplesse que nécessite cette crise, contracter plus rapidement avec des entreprises et notamment des PME grâce au maintien de l’obligation d’allotissement.

Afin de garantir l’indispensable exigence de transparence, les acheteurs demeurent soumis à l’obligation de publier des informations sur les marchés conclus dès 25 000 €.

En faisant l’économie de délais contraints et des formalités inhérentes à la procédure de passation d’un marché public, cette mesure profitera aux acheteurs et aux entreprises et permettra ainsi d’accélérer la relance par l’investissement public.

 

 

D’après les informations sur le site du Sénat, cet amendement, qui a reçu un avis favorable de la commission, va passer ce jour en débats. 

 

 

 

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