Habitat indigne / édifices menaçant ruine : un régime rénové, unifié et simplifié ; avec de nouvelles relations entre préfets, maires et intercommunalités

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Habitat indigne (insalubre notamment, mais pas uniquement)  et autres édifices menaçant ruine : l’ordonnance est au JO.

Le pouvoir appartiendra au préfet, mais aussi aux maires ou présidents d’EPCI concernés, avec une procédure qui promet d’être plus efficace, avec une intercommunalisation facilitée, une saisine du juge plus aisée et une gestion de l’urgence, même dans la journée, qui sera enfin possible sans en passer par le pouvoir de police générale.

La procédure évoque celle des édifices menaçant ruine (EMR) : et pour cause, le régime qui a été instauré au JO de ce matin remplace plus de 10 régimes de pouvoirs de police antérieurs, dont celui des EMR avec péril ordinaire ou imminent !

Pour les magistrats, ce sera sans doute un flot supplémentaire de procédures à gérer. Pour les acteurs de terrain, ce sera une simplification opérationnelle bienvenue, quoique non dénuée de petits pièges (notamment sur les frontières entre pouvoirs du maire et du préfet, sur les personnes à attraire dans les procédures contentieuses, etc.). 

 

 

I. A ce jour, plus de dix pouvoirs de police différents en sus des pouvoirs de police générale, avec de nombreuses difficultés

 

En France, plus de 5 000 arrêtés sont pris chaque année par les préfets, maires et présidents d’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) pour engager des procédures coercitives visant à lutter contre l’habitat indigne, dans un cadre fort complexe :

Voir : https://blog.landot-avocats.net/?s=habitat+indigne

… avec des difficultés propres aux cas, qui pour l’instant étaient « à part » des édifices menaçant ruine :

 

Pour lutter contre ce phénomène, les préfets, les maires et le cas échéant les présidents d’établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) disposent de pouvoirs de police administrative spéciale de lutte contre l’habitat indigne. Ces pouvoirs permettent, d’une part, d’ordonner aux propriétaires de mettre fin aux atteintes pour la santé et/ou la sécurité des occupants et/ou des tiers et, d’autre part, d’intervenir en substitution des propriétaires et de recouvrer les frais afférents.

Les régimes de cette police administrative spéciale sont nombreux, complexes et les autorités compétentes multiples. De plus, ces régimes de police administrative spéciale ne permettent pas d’intervenir, lorsque cela peut s’avérer nécessaire, dans la journée. Par conséquent les maires ont parfois recours à la police générale pour traiter des situations d’habitat indigne sans bénéficier des garanties attachées aux procédures de police administrative spéciale.

Dans ce cas, les occupant de l’habitat ne bénéficient pas non plus de dispositifs existant dans la police spéciale (ex. : relogement). Par ailleurs, les procédures de lutte contre l’habitat indigne sont dispersées, ce qui nuit à leur sécurité juridique et à leur mise en œuvre rapide : les préfets interviennent sur le fondement du code de la santé publique (CSP) pour traiter les désordres liés à la santé des occupants et/ou des tiers, les maires interviennent sur le fondement du code de la construction et de l’habitation (CCH) pour traiter les désordres liés à la sécurité des occupants et/ou des tiers, les maires pouvant transférer ces pouvoirs aux présidents d’EPCI.

A ce sujet, voici un diaporama que j’avais fait pour le réseau IdéalCo en janvier 2020 :

RHI

 

 

II. Une réforme sur les rails depuis près de deux ans

 

Nous avions signalé le 8 septembre dernier l’imminence de l’adoption de l’ordonnance destinée à harmoniser les polices administratives spéciales relatives aux immeubles… et  pour laquelle les représentants des juges administratifs avaient émis à tout le moins de fortes réserves :

 

Cette ordonnance était prévue par l’article 198 de la loi ELAN (n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique).

Le but est de rassembler au sein d’un dispositif unique les différents faits générateurs des actuelles polices spéciales administratives relatives aux immeubles prévues aux articles L. 1331-22 et suivants et L. 1334-1 et suivants du code de la santé publique, L. 129-1 et suivants et L. 511-1 et suivants du code de la construction et de l’habitation et qui sont aussi floues (la pratique nous conduit à nombre d’incertitudes…) que ventilées de manière parfois peu efficace entre acteurs (avec un rôle prédominant pour le préfet in fine toutefois).

Cette ordonnance se trouve au JO de ce matin.

 

III. Une police unique

 

L’ordonnance crée une nouvelle et unique police administrative spéciale de la sécurité et de la salubrité des immeubles, en remplacement de plus d’une dizaine de procédures existantes relevant de plusieurs codes (santé publique, construction et habitation).

La procédure évoque celle des édifices menaçant ruine (EMR) : et pour cause, le régime qui a été instauré au JO de ce matin remplace plus de 10 régimes de pouvoirs de police antérieurs, dont celui des EMR avec péril ordinaire ou imminent !

Le déroulement procédural est par ailleurs uniformisé qu’il s’agisse d’une procédure engagée par le préfet (pour ce qui relève de la santé des personnes), le maire ou le président de l’EPCI (pour ce qui relève de la sécurité des personnes).

L’ordonnance renforce aussi la capacité des maires à intervenir dans des délais très brefs dans un cadre sécurisé pour l’autorité publique en permettant le recouvrement des frais liés à l’exécution d’office des mesures, mais également pour les occupants en leur faisant bénéficier d’un régime de protection adapté.

Désormais, la première section du chapitre unique du titre Ier du livre V du code de la construction et de l’habitation rassemble tous les faits générateurs des actuelles procédures de police administrative de lutte contre l’habitat indigne. La notion d’insalubrité sera définie par le code de la santé publique (nouveaux articles L. 1331-22 et suivants). Voir l’article 3 de l’ordonnance sur ce point.

Cette nouvelle police intègre donc sept procédures actuellement présentes dans le code de la santé publique et trois procédures du code de la construction et de l’habitation.

 

IV. Information obligatoire

 

Le nouveau régime pose l’obligation pour toute personne de signaler à l’autorité compétente des faits dont elle aurait connaissance et susceptibles de constituer des faits générateurs de la nouvelle police de la sécurité et de la salubrité des immeubles bâtis (art. L. 511-6, nouveau, du CCH).

 

V. Préfet ou élu local ? Tout dépend du fait générateur… ce qui risque de générer quelques débats

 

L’autorité compétente pour déclencher la procédure dépendra du fait générateur :

  • les préfets pour les dangers pour la santé des personnes
  • et les maires et présidents d’EPCI pour la sécurité des personnes.

… Pas sûr que l’on ne se marche pas de temps à autres sur les pieds, entre niveaux de collectivités, donc (même si globalement on reste sur l’EMR aux communes et le RHI aux préfets sauf délégations, mais… ce n’est pas si simple que cela en réalité).

La procédure étant la même, des arrêtés conjoints pourront sans doute être envisagés au prix d’une lourdeur pratique et de multiples incertitudes.

N.B. : la nouvelle police n’est applicable aux collectivités de Saint-Martin, de Saint-Barthélemy et de Saint-Pierre-et-Miquelon que s’agissant du fait générateur correspondant à l’insalubrité qui relève de la compétence de l’Etat (art. 18).

 

VI. Une procédure qui devrait être efficace

 

Désormais, le Code de la construction et de l’habitation (L. 511-7 et suivants du CCH) :

  • encadre le droit de visite en prévoyant une plage horaire et le recours au juge des libertés et de la détention notamment en cas d’obstruction ou d’impossibilité d’accéder aux lieux.
  • décrit le déroulement de la procédure, de la préparation de l’arrêté de mise en sécurité jusqu’à son exécution. Sont ainsi abordés la possibilité de saisir le tribunal administratif pour nomination d’un expert, le déroulement de la phase contradictoire préalable à la prise de l’arrêté, les mesures pouvant être ordonnées par arrêté de police (réparation ou autre mesure propre à remédier à la situation, démolition de tout ou partie de l’immeuble, cessation de la mise à disposition, interdiction d’habiter, d’exploiter ou d’accéder aux lieux à titre temporaire ou définitif), l’application du régime du droit des occupants, l’application du dispositif de l’astreinte administrative ou encore la possibilité d’exécuter d’office l’arrêté, si besoin avec le concours de la force publique… un régime qui s’inspire du régime des édifices menaçant ruine qu’il s’agit pour partie de remplacer.
    A noter : il ne sera plus besoin d’en passer par une phase supplémentaire de mise en demeure  : l’expiration du délai fixé par l’arrêté de mise en sécurité sera suffisant à justifier l’exécution d’office. Celle-ci ne requiert l’intervention préalable du juge que pour la démolition.

 

A noter : c’est cet élargissement de la saisine du juge y compris hors urgence qui a, notamment, été contesté par les représentants des magistrats administratifs en CSTA-CAA.  

Des allègements procéduraux sont prévus en cas d’urgence, le cas échéant constatée par l’expert nommé par le tribunal administratif. Les principaux allègements par rapport à la procédure ordinaire consistent en l’absence de procédure contradictoire et en la possibilité d’intervenir dans la journée (en l’absence de saisine du tribunal administratif pour nomination d’un expert).

Dorénavant, le maire pourra utiliser cette nouvelle police pour traiter les situations qui nécessitent une intervention dans la journée alors qu’actuellement il est contraint d’utiliser sa police générale sans possibilité de lancer le recouvrement des frais engagés par la commune et sans application du régime du droit des occupants (sur les limites en sus du pouvoir de police générale s’il s’agit d’un EMR, voir ici).

Pour les magistrats, ce sera sans doute un flot supplémentaire de procédures à gérer. Pour les acteurs de terrain, ce sera une simplification opérationnelle bienvenue, quoique non dénuée de petits pièges (notamment sur les frontières entre pouvoirs du maire et du préfet, sur les personnes à attraire dans les procédures contentieuses, etc.).

Le régime des sanctions pénales se retrouve dans la quatrième section du chapitre unique du titre Ier du livre V.

 

VII. Une intercommunalisation plutôt facilitée  (dans le sens maire/EPCI… voire par délégation du préfet à l’EPCI)

 

L’ordonnance permet de favoriser l’organisation au niveau intercommunal des outils et moyens de lutte contre l’habitat indigne par deux voies : en facilitant le transfert des pouvoirs du maire au président d’EPCI, lorsqu’il résulte d’une volonté locale exprimée, et en assouplissant les conditions de délégation des pouvoirs du préfet au président d’EPCI, lorsque celui-ci est désireux d’investir davantage le champ de la lutte contre l’habitat indigne.

L’article 15 de l’ordonnance modifie ainsi le régime des transferts des pouvoirs de la police de lutte contre l’habitat indigne entre les maires et présidents d’EPCI, prévu à l’article L. 5211-9-2 du CGCT.

Tout d’abord, cet article limite la possibilité pour un président d’EPCI de refuser d’exercer les pouvoirs de police de lutte contre l’habitat indigne transférés par les maires des communes membres. En effet, actuellement ces pouvoirs lui sont automatiquement transférés suite à son élection, mais si au moins un maire s’est opposé à ce transfert, le président de l’EPCI peut soit accepter d’exercer les seuls pouvoirs transférés automatiquement par les autres maires, soit refuser d’exercer ces pouvoirs sur l’ensemble du territoire intercommunal. Dorénavant, ce refus ne pourra avoir lieu que si au moins la moitié des maires s’est opposée auxdits transferts ou si les maires s’étant opposés au transfert représentent au moins 50 % de la population de l’EPCI.

Mais ce point ne concerne que l’habitat indigne. 

L’article 15 permet également aux maires de transférer au fil de l’eau leurs pouvoirs de police de lutte contre l’habitat indigne alors qu’actuellement le transfert intervient (sauf opposition) uniquement au moment de l’élection du président d’EPCI. Ainsi, un maire qui se serait opposé au transfert pourra revenir sur sa décision, notamment pour s’appuyer sur l’EPCI qui aura entre-temps développer un service et des compétences en matière de lutte contre l’habitat indigne. Enfin, l’EPCI n’est autorisé à refuser le bénéfice du transfert des pouvoirs de police d’un maire uniquement s’il n’exerce pas par ailleurs ces pouvoirs qui lui aurait été transférés par un ou plusieurs autres maires.

Enfin, l’article 16 assouplit le cadre des délégations des pouvoirs des préfets au titre de la lutte contre l’habitat indigne aux présidents d’EPCI en modifiant l’article L. 301-5-1-1 du CCH.

Actuellement, ces délégations ne sont possibles que si trois conditions sont réunies : l’EPCI doit être délégataire des aides à la pierre, disposer d’un service dédié à la lutte contre l’habitat indigne et bénéficier de l’ensemble des transferts des pouvoirs de police de lutte contre l’habitat indigne de tous les maires des communes membres de l’EPCI. Cet article assouplit cette dernière condition puisque dorénavant il suffira qu’au minimum un seul maire ait transféré ses pouvoirs de police de lutte contre l’habitat indigne.

N.B. : l’article 17 de l’ordonnance applique le dispositif mis en place par l’article 16 aux présidents d’établissements publics territoriaux (EPT) de la métropole du Grand Paris (MGP).

 

 

VIII. Une bascule au 1/1/2021

 

L’article 19 de l’ordonnance fixe l’entrée en vigueur de l’ensemble de ce nouveau régime au 1er janvier 2021 : les dispositions de l’ordonnance ne sont applicables qu’aux arrêtés notifiés à compter du 1er janvier 2021.

Un projet de loi de ratification de cette ordonnance sera déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois.

 

 

Pour accéder à ce nouveau texte (ordonnance n° 2020-1144 du 16 septembre 2020 relative à l’harmonisation et à la simplification des polices des immeubles, locaux et installations ; NOR : LOGL2007763R), cliquer sur le lien ci-dessous :