Distributions d’aliments aux migrants : l’arrêté est validé… en raison de sa relative inefficacité ! [suite et fin]

L’arrêté interdisant, à Calais, la distribution gratuite d’aliments à des migrants, a passé sans encombre le cap du TA de Lille, puis celui du Conseil d’Etat…  en partie en raison de l’inefficacité en réalité dudit arrêté, ou plus précisément de son effet limité : puisque cet arrêté en pratique n’a fait que déplacer les lieux de distribution d’eau et d’aliments, alors l’application de cet arrêté n’entraîne pas que se concrétisent, selon le TA de Lille, les conditions de vie indigne évoquées par les requérants (ou en tous cas celles-ci ne résultent pas dudit arrêté).
A noter : c’est, plus subtilement, voire cursivement, avec certes le même raisonnement à la base (on n’interdit pas aux migrants de se nourrir et, même, on les nourrit) que le Conseil d’Etat rejette le recours, mais via, du coup, le défaut d’urgence… 

I. Une jurisprudence après tant d’autres

Lorsque le préfet du Pas-de-Calais a adopté un arrêté interdisant la distribution gratuite de boissons et denrées alimentaires dans un périmètre restreint du centre-ville de Calais, le sujet ne mit pas longtemps à enflammer les réseaux sociaux et les médias.
Et il ne s’agit en réalité que d’un nouvel épisode d’une longue série.

Le juge administratif, notamment le TA de Lille, tente touche après touche, de caler l’état du droit en matière de mesures d’accueil à réserver aux migrants.

Il avait jugé (cliquer sur les items ci-dessous pour accéder aux articles correspondants au sein du présent blog) :

 

II. La position du TA

En l’espèce, une association mandatée par l’Etat mettait à disposition d’une population de migrants estimée aujourd’hui à environ mille personnes, sur plusieurs sites situés sur le territoire de la ville de Calais, de l’eau sur la base d’une moyenne de 5,14 litres par personne et par jour et des repas au nombre de 2 402 par jour.

De plus, les associations requérantes continuaient à distribuer des repas et des boissons à proximité du centre-ville.

L’interdiction édictée n’a donc eu pour seul effet de déplacer les lieux des distributions qu’elles assurent de quelques centaines de mètres seulement. … ce qui fait que l’arrêté ne conduit pas à constituer des conditions de vie indignes de nature à justifier la suspension en urgence de la mesure prise par le préfet du Pas-de-Calais pour des motifs de salubrité publique… ou si conditions de vie indigne il y a, cela ne tient pas à l’arrêté querellé.

Il n’est pas si fréquent que l’inefficacité d’un arrêté serve à défendre son caractère mesuré et, donc, in fine, sa légalité.

En droit, c’est logique.

En pratique, et notamment en pratique contentieuse, ce n’est pas sans quelque paradoxe, sur fond de misère humaine pour les réfugiés, d’une part, et de difficultés réelles pour les territoires considérés, d’autre part…

 

Source : TA Lille, ord., 22 septembre 2020, n° 2006511 :

2006511

 

III. La confirmation du Conseil d’Etat (mais sur l’urgence seule)

Le juge des référés du Conseil d’État a confirmé la décision du juge des référés du tribunal administratif de Lille de ne pas suspendre, en urgence, l’arrêté préfectoral interdisant aux associations de distribuer de la nourriture aux migrants dans certaines zones du centre-ville de Calais.

Le juge du Palais Royal, après celui de Lille, note :

  • que cette interdiction n’empêche pas les associations de réaliser leurs missions à proximité immédiate du centre-ville.
  • que l’interdiction de distribution est strictement limitée aux zones définies par le préfet.
  • que l’État a mis en place, à l’est de l’agglomération, des points d’eau et des toilettes, et procède, par l’intermédiaire de l’association La vie active, à des distributions de boissons et de nourriture.
  • que l’interdiction prononcée par le préfet ne prive pas les associations de la possibilité d’exercer leur mission, en dehors de la zone interdite par l’arrêté, y compris à proximité des lieux de vie des migrants.
  • que l’interdiction ne peut en aucun cas être appliquée par les forces de police au-delà du périmètre défini.

 

Dans ces conditions, le juge des référés du Conseil d’État, qui ne s’est pas prononcé sur le caractère justifié et proportionné de l’interdiction, a estimé qu’il n’y avait pas d’urgence à ordonner, dans le délai de 48 heures prévu en matière de référé-liberté, la suspension de l’arrêté préfectoral.

Voir CE, ord., 25 septembre 2020; n° 444793 :

444793 Secours catholique et autres