Responsabilité financière : l’heure des réformes ? [suite et pas fin… avec les rapports Bassères et Damarey qui proposent de très, très fortes évolutions et avec la réponse de la Cour des comptes]

Photo : coll. pers. ; photo prise, bien naturellement, au sein du bâtiment de la Cour des comptes ; DR
Refaisons un point sur la question de la réforme des responsabilités financières dans le monde public, puisque les rapports de Mme S. DAMAREY, d’une part, et de M. J. BASSERES, d’autre part, sont enfin connus ET CES RAPPORTS SONT ASSEZ RÉVOLUTIONNAIRES (quoique dans la ligne en plus osé des réformes demandées par le SJF)…. et ce dans un cadre déjà bien riche puisque le Premier Président de la Cour conduit en parallèle une réforme interne (JF2025) et que les magistrats financiers du SJF ont leurs propres propositions (livre beige)… 
Voyons ceci  dans l’ordre :
  • I. Un cadre général en évolution
  • II. Les propositions du SJF en 2018
  • III. Etat des choses début 2020
  • IV. Accélération au cours de l’année 2020
  • V. Réflexions croisées entre Mme S. Damarey et M. Y. Roquelet, en septembre 2020
  • VI. Décembre 2020 : remise des rapports Damarey et Bassères AVEC DES PROPOSITIONS RADICALES
    • VI.A. Accès aux rapport
    • VI.B. Le rapport DAMAREY dont les conclusions ne sont pas à confondre avec celles du rapport BASSERES
    • VI.C. Le rapport BASSERES dont les conclusions ne sont pas à confondre avec celles du rapport DAMAREY
  • VII. Réponse de la Cour des comptes

 

Avec ces résumés de ces deux rapports.
Rapport DAMAREY :
  • privilégier le modèle juridictionnel de mise en cause de la responsabilité des acteurs de l’exécution budgétaire ;
  • établir un panel de sanctions élargi, comprenant des possibilités d’avertissement avant que ne soient envisagées des sanctions financières ;
  • supprimer le débet ;
  • supprimer le pouvoir de remise gracieuse du ministre ;
  • supprimer la notion de préjudice financier ;
  • supprimer la Cour de discipline budgétaire et financière ;
  • établir un nouveau schéma juridictionnel dans lequel tous les gestionnaires publics disposeraient de la possibilité d’interjeter appel de la décision rendue ;
  • élargir le champ des justiciables à tous les gestionnaires publics ;
  • individualiser les sanctions en fonction des gestionnaires concernés en tenant compte de la gravité des faits reprochés ;
  • sanctions qui doivent également tenir compte des circonstances et du comportement du gestionnaire ;
  • subjectiviser l’office du juge financier ;
  • distinguer les compétences du juge financier afin de renforcer le métier de juge.

 

RAPPORT BASSSERES :

  • Maintien de la séparation ordonnateur-comptable mais dans un cadre réformé avec internalisation des contrôles a priori et la bascule des contrôles budgétaires a posteriori, et avec la suppression des contrôleurs budgétaires et comptables ministériels
  • Suppression du régime de la RPP (responsabilité personnelle et pécuniaire) des comptables publics
  • Fin de la fonction juridictionnelle de la Cour des comptes et des chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC) mais avec maintien du statut de magistrat des juges financiers qui y exercent. (sur ce point, on s’éloigne vivement tant du SJF que du rapport DAMAREY… que des aspirations de nombre de membres des juridictions financières… mais cet auteur note que le modèle dual — juridiction et non juridiction — va dans le sens de celle de nombre de pays).
  • Développement de la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF ; on rappellera que le SJF lui en propose la suppression avec intégration d’une responsabilité, plus large, des ordonnateurs devant les juridictions financières… proposition défendue aussi par Mme DAMAREY). Mais le champ d’action de la CDBF serait restreint. Là encore, ceci sera loin de faire consensus. 

 

Détaillons ceci point par point, dans l’ordre :

——–

I. Un cadre général en évolution 

La vie financière publique est riche de nombreuses réformes récentes ou en cours :
Mais surtout, c’est la responsabilité financière même qui pourrait être réformée :
  • La responsabilité personnelle des comptables patents, réformée il y a 9 ans, certes tempérée par les mécanismes d’assurances et de remises gracieuses, certes ajustée par d’importantes décisions récentes du juge, conduit à des iniquités qui choquent nombre de praticiens.
  • Idem, mais avec une problématique tout de même un peu différente, pour la responsabilités au titre de la gestion de fait.
  • Quant à la responsabilité personnelle des ordonnateurs, qui relève de la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF)… il ne faut pas en sous-estimer… la virtualité.
  • Nombre de voix estiment qu’il vaudrait d’ailleurs remplacer certains cas —  certains cas seulement bien sûr — de responsabilité pénale, au titre de la gestion publique, par une responsabilité financière devant les juridictions financières.

II. Les propositions du SJF en 2018

 

Dans ce cadre en 2018, le Syndicat des juridictions financières (SJF) a fait d’importantes propositions dans son Livre beige. Voir :

  • lesdites propositions :
  • et voir en vidéo (un peu plus de 30 mn) l’entretien que nous avait sur ce point à l’époque accordé le Président du SJF, M. Y. Roquelet :

 

https://youtu.be/U1Dux6tLal0

 

III. Etat des choses début 2020 

 

Voici un rapide point à ce propos que j’avais fait en mars 2020 en une vidéo de 5 mn :

https://youtu.be/1EQ_WEUBqFQ

 

 

IV. Accélération au cours de l’année 2020  

Puis :

  • en 2020, des études ou des rapports ont été demandés par l’Etat, d’une part à Mme la Professeur Stéphanie Damarey et, d’autre part, à M. Jean Bassères (inspecteur général des finances et actuel directeur général de Pôle emploi), a été mission par le Gouvernement pour une mission comparable (mais moins comparative).
  • et le nouveau Premier Président de la Cour des comptes, M. Pierre Moscovici, a lancé ces jours-ci un grand chantier de réforme des juridictions financières, sur lequel le voile n’est pas encore totalement levé.
    Le nouveau premier président (PP) de la Cour des comptes Pierre Moscovici a, e, effet, dès son installation lancé une réforme de l’institution (« JF 2025 » pour juridiction financière 2025) qui bat son plein ces temps-ci.
    Des consultations ont commencé cet été autour de 6 groupes de travail.

 

V. Réflexions croisées entre Mme S. Damarey et M. Y. Roquelet, en septembre 2020   

 

Dans ce cadre, il nous avait paru intéressant, en lien avec notre partenaire WEKA, d’organiser un très court débat (après une rapide présentation par mes soins) entre :

• Mme Stéphanie Damarey,
Professeure des Universités, Agrégée de Droit public,
Directrice du Master 2 Finances et fiscalité publiques.
Au nombre de ses ouvrages parus, citons le Précis Dalloz, Droit public financier, Dalloz, Oct. 2018.


• et M. Yves Roquelet,
Président du Syndicat des juridictions financières.

VOICI CETTE VIDÉO d’un peu plus de 9 mn :

https://youtu.be/7OjyWr52oew

Il s’agit d’une reprise d’un dossier extrait de notre chronique vidéo bimensuelle, intitulée « les 10′ juridiques ».
Cette chronique vidéo bimensuelle, « les 10′ juridiques », est une réalisation faite en partenariat entre Weka et le cabinet Landot & associés, qui ont uni leurs forces pour diffuser, tous les 15 jours, cette revue d’actualité juridique territoriale.

VI. Décembre 2020 : remise des rapports Damarey et Bassères AVEC DES PROPOSITIONS RADICALES 

 

VI.A. Accès aux rapport

 

Les rapports Bassères et Damarey ont été diffusés.
Les voici :

 

 

VI.B. Le rapport DAMAREY dont les conclusions ne sont pas à confondre avec celles du rapport BASSERES

 

 

Le rapport DAMAREY est passionnant en ce qu’il assied les réflexions en cours sur un vrai parangonnage (i.e. comparatif ; i.e. benchmark).

Celui-ci prend la forme d’une continuation, d’une seconde partie du rapport global. Mais il se conclut avec des propositions fortes qui dans la présentation semblent être conclusives du total des rapports :

  • privilégier le modèle juridictionnel de mise en cause de la responsabilité des acteurs de l’exécution budgétaire ;
  • établir un panel de sanctions élargi, comprenant des possibilités d’avertissement avant que ne soient envisagées des sanctions financières ;
  • supprimer le débet ;
  • supprimer le pouvoir de remise gracieuse du ministre ;
  • supprimer la notion de préjudice financier ;
  • supprimer la Cour de discipline budgétaire et financière ;
  • établir un nouveau schéma juridictionnel dans lequel tous les gestionnaires publics disposeraient de la possibilité d’interjeter appel de la décision rendue ;
  • élargir le champ des justiciables à tous les gestionnaires publics ;
  • individualiser les sanctions en fonction des gestionnaires concernés en tenant compte de la gravité des faits reprochés ;
  • sanctions qui doivent également tenir compte des circonstances et du comportement du gestionnaire ;
  • subjectiviser l’office du juge financier ;
  • distinguer les compétences du juge financier afin de renforcer le métier de juge.

 

Un big bang…

 

Soit les propositions suivantes :

 

VI.C. Le rapport BASSERES dont les conclusions ne sont pas à confondre avec celles du rapport DAMAREY

 

 

Le rapport BASSERES (encore une fois, ces deux rapports ont été en quelque sorte agrégés, mais avec maintien d’une dualité en leur sein y compris sur les propositions même si dans les deux cas on veut aller loin) résume ainsi en son début les réformes proposées :

  • Maintien de la séparation ordonnateur-comptable mais dans un cadre réformé avec internalisation des contrôles a priori et la bascule des contrôles budgétaires a posteriori, et avec la suppression des contrôleurs budgétaires et comptables ministériels
  • Suppression du régime de la RPP (responsabilité personnelle et pécuniaire) des comptables publics
  • (sur ce point, on s’éloigne vivement tant du SJF que du rapport DAMAREY… que des aspirations de nombre de membres des juridictions financières… mais cet auteur note que le modèle dual — juridiction et non juridiction — va dans le sens de celle de nombre de pays).
  • Développement de la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF ; on rappellera que le SJF lui en propose la suppression avec intégration d’une responsabilité, plus large, des ordonnateurs devant les juridictions financières… proposition défendue aussi par Mme DAMAREY). Mais le champ d’action de la CDBF serait restreint. Là encore, ceci sera loin de faire consensus. 

 

VOICI le résumé des conclusions de M. BASSERES tel que résultant dudit rapport lui-même :

 

1. Accroître les marges de manœuvre des gestionnaires publics, réorienter les contrôles et développer la responsabilité managériale

Le vote de la LOLF avait fait naître beaucoup d’espoirs quant à la responsabilisation des gestionnaires publics. Force est de constater que plus de 20 ans après son adoption cette réforme n’a pas tenu toutes ses promesses. La mission a en particulier identifié quatre freins à la responsabilisation des gestionnaires publics.

Si le principe de séparation entre ceux qui engagent les dépenses et ceux qui les payent est un principe fondamental de la gestion tant publique que privée, la rigidité réglementaire de la séparation ordonnateur-comptable a motivé la mise en place de modèles d’organisation dérogatoires plus performants, qui peinent toutefois à s’imposer en particulier dans le secteur public local. À l’inverse, la mission a pu observer que cette séparation est appliquée strictement dans le secteur privé, mais appréciée en termes de « ruptures de chaîne » et associée à une intégration des systèmes d’information ce qui autorise des processus plus agiles.

Les leviers traditionnels de la responsabilité managériale semblent insuffisamment mobilisés dans le public

Alors que dans le secteur privé la responsabilisation repose à titre principal sur la dimension managériale, adossée à une culture ancrée du résultat financier, les leviers managériaux – financiers comme disciplinaires – sont peu mobilisés et documentés dans la fonction publique. Pourtant, ces leviers sont d’autant plus critiques qu’à la différence du privé les préoccupations financières irriguent moins naturellement les chaînes hiérarchiques.

L’intérêt relatif du Parlement français pour l’évaluation de l’exécution et de la performance est déresponsabilisant pour les responsables de programme

Alors que commission du contrôle budgétaire du Parlement européen réalise une analyse minutieuse des rapports annuels des directions et auditionne l’équivalent des responsables de programme de la Commission européenne, en les interrogeant précisément sur leur performance et leur gestion, le Parlement français concentre ses efforts sur la procédure des lois de finances initiales plus que sur le contrôle a posteriori des fonds octroyés.

Pour renforcer la responsabilisation des gestionnaires publics la mission formule en conséquence des recommandations qui seraient de nature à lever ou réduire les freins qu’elle a identifiés.

Fluidifier la relation entre ordonnateurs et comptables tout en maintenant une séparation entre l’acte d’engagement et celui de mise en paiement

La mission recommande de fluidifier les relations entre ordonnateurs et comptables et d’éviter les doublons, sur le modèle en dépenses des services facturiers, tout en sécurisant les process par le contrôle et l’audit internes et l’intégration de ces derniers dans des outils de systèmes d’information communs. Ainsi, plutôt que d’attribuer comme aujourd’hui chaque étape de la chaîne d’exécution à un acteur en particulier, seules les tâches d’engagement et de paiement seraient affectées par défaut et sans dérogation possible. La responsabilité de chacun sur les autres étapes serait déterminée, par convention, selon l’organisation retenue.

Au sein de l’État, aller jusqu’au bout de la logique de la LOLF et oser le pari de la confiance

En progressant dans deux directions :

Sécuriser la chaîne financière en amont : il s’agit à la fois de professionnaliser les fonctions financières des ministères qui sont de maturité inégale (notamment en organisant la mobilité de leurs agents) et de sécuriser les engagements financiers significatifs par la mise en place d’une gouvernance permettant de détecter au plus tôt les risques et les défaillances (comités d’engagements en amont et de suivi des programmes, notamment en matière de systèmes d’information).

Cette sécurisation devrait permettre un meilleur positionnement des DAF vis-à-vis des responsables de programme et des ministres. Elle serait également de nature à amplifier le mouvement de contractualisation avec le ministère du budget qui devrait s’inscrire dans un calendrier volontariste.

Oser le pari de la confiance avec l’internalisation des contrôles a priori et la bascule des contrôles budgétaires en a posteriori

La mission est convaincue de la nécessité de trouver les moyens d’une réelle appropriation du contrôle interne par les gestionnaires, condition indispensable à son efficacité. Les gestionnaires souffrent déjà d’une profusion de normes : l’enjeu est de s’assurer que le contrôle interne soit comme dans le secteur privé un véritable levier, corollaire de l’accroissement de leurs marges de manœuvre. La mission en cours de l’Inspection générale de finances et de la direction interministérielle de la transformation publique devrait formuler des propositions sur ce sujet majeur.

Mais plus généralement, la responsabilisation des gestionnaires nécessite une réflexion sur les relations qu’entretient la direction du budget avec les autres directions d’administration centrale, aujourd’hui à l’origine de frustrations de l’ensemble des acteurs.

Pour la mission il faut poursuivre un objectif clair : l’internalisation des contrôles par les ministères et le renforcement d’un contrôle externe a posteriori nourri par un dialogue de gestion dynamique et à la périodicité adaptée à la qualité de la prévision et de l’exécution budgétaires.

 

L’expérimentation en cours avec cinq ministères, qui vise à diminuer le contrôle a priori au profit d’un dialogue de gestion approfondi et adapté à la maturité de la fonction financière, offre des perspectives très positives. Son évaluation par les inspections générales – que la mission recommande de mener d’ici la fin de 2021 – devrait permettre de l’enrichir, notamment en ce qui concerne la fin du pilotage par le schéma d’emploi au profit du seul suivi du plafond d’emploi et de l’exécution de la masse salariale ainsi que de la possibilité de prévoir des mécanismes de sanction budgétaire en cas de dépassement caractérisé.

Une fois ce cadre arrêté, la mission préconise que le calendrier de généralisation soit précisé en tenant compte du degré de maturité financière des ministères, appréciée par un audit préalable. Il semble en effet à la mission que l’on est arrivé au bout de la logique des assouplissements expérimentaux et que seule une perspective calendaire nette permettra d’engager l’effort nécessaire à la bascule. Pour les ministères les plus matures, une bascule dans le nouveau système devrait être envisagée dès 2022- 2023.

La mission estime également que cette bascule devrait aller de pair avec la suppression des CBCM – au moins dans leur dimension budgétaire –, structureatypique placée auprès des ministères mais dépendant de Bercy et dont la mission n’a pas trouvé d’équivalent dans le secteur privé. Cette évolution aurait une forte dimension symbolique, crédibiliserait la volonté de transformation du contrôle budgétaire et de responsabilisation des fonctions financières des ministères et favoriserait leur professionnalisation (avec l’intégration des personnels en charge du contrôle budgétaire des CBCM au sein des DAF).

Là aussi le pragmatisme s’impose et il serait nécessaire de tenir compte de la maturité des ministères, la présence d’un CBCM pouvant être aujourd’hui un point d’appui pour certains DAF eux-mêmes.

Il est donc proposé que cette suppression soit actée et affichée dans son principe, que ses modalités opérationnelles soient rapidement arrêtées et qu’elle soit mise en œuvre dans le cadre de la bascule vers le contrôle a posteriori.

En outre cette évolution pourrait s’accompagner de l’expérimentation du double rattachement des DAF, avec la création d’un lien fonctionnel avec le ministère du budget.

Oser le pari de la confiance suppose également que soit réaffirmé le principe selon lequel les redéploiements au sein des programmes sont de la seule responsabilité des ministères.

Renforcer le levier managérial

La mission est convaincue que la dimension managériale de la responsabilisation des gestionnaires publics est déterminante : aussi nécessaire soit-elle, la sanction juridictionnelle ne comporte pas de dimension incitative et a vocation à ne sanctionner que les fautes les plus graves.

Une plus grande responsabilisation des gestionnaires publics suppose que soient plus largement mobilisés les leviers d’incitation et de sanctions managériales. L’indispensable renforcement des marges de manœuvre des gestionnaires publics – à laquelle les propositions précédentes entendent contribuer – constitue une condition nécessaire mais non suffisante au regard de l’enjeu majeur de responsabilisation.

Dans cette perspective la mission recommande de mobiliser plus largement le levier financier que constitue la part variable des rémunérations. Le diagnostic de l’existant, actuellement défaillant, est à réaliser à très court terme. Il apparait à la mission que tous les gestionnaires de structures significatives – au plan central et déconcentré – devraient bénéficier d’une part de rémunération variable dont une fraction devrait dépendre d’indicateurs financiers et budgétaires.

 

En matière disciplinaire, les blocages sont sans doute essentiellement culturels et la mission recommande que soient mis en place des mécanismes qui obligent les autorités hiérarchiques à examiner et prendre position sur des situations sensibles ne justifiant pas une éventuelle sanction juridictionnelle.

Ainsi le ministre du budget pourrait saisir ses homologues de faits dans l’exercice des fonctions de gestionnaires pouvant constituer selon lui des fautes passibles de sanctions disciplinaires ou susceptibles d’avoir des conséquences dans la carrière des intéressés. L’autorité hiérarchique resterait maître de sa décision.

Une telle saisine pourrait également être utilisée par le parquet de la CDBF ainsi que par les inspections générales.

Enfin, la mission formule des recommandations spécifiques pour conforter la responsabilité managériale des comptables publics.

Encourager l’audition des gestionnaires publics par le Parlement

La mission propose que soit programmée annuellement, éventuellement dans le cadre de la semaine de l’évaluation, l’audition des DAF et des responsables de programmes afin que ceux-ci soient amenés à rendre compte de leur gestion au moins une fois tous les trois ans.

Cette évolution compléterait la proposition de la mission parlementaire de MM. Woerth et Saint Martin sur le bilan de la LOLF relative à l’instauration de « conférences de performances institutionnelles ».

2. La responsabilité personnelle et pécuniaire (RPP) des comptables publics est un régime contreproductif et à bout de souffle qui doit être supprimé

Régime exorbitant du droit commun, très minoritaire en Europe (avec la France, seuls la Belgique, l’Irlande et le Luxembourg disposent d’un tel régime de responsabilité propre aux comptables publics) et reposant sur des principes édictés au XIXe siècle, la RPP a vu sa philosophie obscurcie par la réforme de 2011, le régime oscillant désormais entre sanction du comptable et réparation du préjudice causé par ses manquements.

La RPP présente de nombreuses limites

La RPP ne garantit pas la qualité comptable

À la différence de la certification des comptes dont le rythme annuel est adapté à la mise en œuvre d’un processus continu d’amélioration, qui permet d’embrasser l’ensemble du champ de la comptabilité (y compris, notamment, les engagements hors bilan) et qui participe au renforcement du contrôle interne grâce à la diffusion d’une approche par cartographie des risques et à l’amélioration de la sincérité des états financiers, la RPP n’appréhende que marginalement la qualité comptable.

De fait, en faisant remonter le fait générateur comptable dès la constatation des droits, la comptabilité générale déplace le centre de gravité comptable vers l’ordonnateur. Ainsi, des éléments majeurs de fiabilisation de l’actif, d’exhaustivité du passif, d’imputations provisoires ou encore d’opérations non révélées en comptabilité ne relèvent pas de la responsabilité personnelle et pécuniaire, alors qu’ils ont un impact significatif sur la qualité et la sincérité des comptes.

La RPP nuit à la performance des réseaux comptables

 

Responsabilisation des gestionnaires publics

Alors que les fonctions financières des entreprises ont supprimé, afin de gagner en efficacité et en efficience, l’essentiel du contrôle a priori systématique pour se concentrer sur la maîtrise (par le contrôle interne) et la normalisation (par la mise en place des progiciels) des processus garantissant l’exhaustivité et la fiabilité des comptes, la RPP privilégie encore une approche fondée sur l’exhaustivité.

Et cela au détriment de la performance :

!  en matière de recouvrement, alors même que le parquet général de la Cour des Comptes reconnaît le bien-fondé d’une politique de recouvrement reposant sur une adaptation des diligences exercées aux enjeux des différentes créances et aux perspectives de recouvrement et que les magistrats financiers déterminent des seuils de contrôle, la direction générale des finances publiques (DGFiP) et son réseau ont intériorisé culturellement et même institutionnalisé la crainte de la mise en jeu potentielle de la responsabilité personnelle sur l’intégralité des cotes à recouvrer. La crainte de la RPP conduit le réseau à produire un nombre important d’actes superflus (notamment des avis à tiers détenteurs ou des saisies-ventes) pour justifier des poursuites ou de la non-valeur. Les pôles de recouvrement spécialisés consacrent quant à eux trop de moyens au suivi et aux diligences concernant les créances d’entreprises en procédures collectives alors que le taux de recouvrement sur créances suspendues des professionnels est très faible.

Au fond, ne peut-on s’interroger au regard de la performance sur la signification réelle d’une mise en débet pour insuffisance de diligences sur un nombre limité de créances quand elles prises en charge par un comptable ayant fortement amélioré par ailleurs son taux de recouvrement ?

!  en matière de dépenses, les comptables sont soumis à une injonction contradictoire : alors qu’ils sont encouragés à mettre en œuvre un contrôle sélectif, l’application d’un contrôle hiérarchisé de la dépense ne constitue pas pour autant une cause exonératoire de leur responsabilité, mais uniquement un motif de remise gracieuse totale. La mission a constaté que cette situation pénalise le développement des approches sélectives, en particulier dans le secteur public local. L’exhaustivité des contrôles pourrait au demeurant freiner la mise en place et l’utilisation de l’intelligence artificielle et du datamining au regard non seulement du risque pour le comptable public de renoncer à l’exhaustivité mais également de celui d’être rendu responsable d’une hiérarchisation et d’une sélection des dépenses contrôlées programmée par des algorithmes qu’il ne sera pas légitimement pas en capacité d’expertiser.

Or la mission est convaincue que le temps est venu de rendre obligatoire la hiérarchisation des contrôles, couplée à l’implémentation de l’intelligence artificielle et du « machine learning » pour ajuster en permanence le ciblage.

La mission a par ailleurs constaté que la RPP freinait le développement de pratiques innovantes telles que l’utilisation de la carte d’achat et l’automatisation du paiement des dépenses récurrentes et à faible enjeu.

La RPP créé un déséquilibre en défaveur des comptables

L’analyse menée par la mission fait apparaître que la grande majorité des manquements a pour origine une erreur de l’ordonnateur, qui n’a pas été identifiée lors des contrôles effectués par le comptable.

En outre, les comptables ont de plus en plus le sentiment de porter une responsabilité qui n’est pas la leur en matière de contrôle de légalité, avec l’évolution de la jurisprudence en matière de fondement légal de la dépense, y compris dans le secteur public local où la régularité externe de la délibération fondant la dépense ou la recette a longtemps fait écran à toute mise en cause au titre de sa légalité interne.

 

Au total, la RPP n’encourage ni la performance du comptable public (absence de prise en compte dans la mise en cause de sa responsabilité de l’efficacité du recouvrement, de la pertinence et de l’efficacité des plans de contrôle hiérarchisés, de la qualité comptable) ni celle de l’ordonnateur puisque celui-ci sait que la responsabilité repose in fine sur le comptable, censé détecter et corriger leurs erreurs éventuelles en dernier ressort.

La sanction juridictionnelle de la RPP présente par ailleurs des limites structurelles.

La procédure est lourde et longue mais a in fine un impact collectif et individuel quasiment inexistant :

!  les remises gracieuses, qui ont réduit les laissés-à-charge de 99 % en 2018, combinées à l’assurance aboutissent à des restes-à-charge finaux de quelques centaines d’euros, rendant la responsabilité pécuniaire théorique. En revanche, la réforme de 2011 a introduit des incohérences dans les conséquences financières qui peuvent entraîner des restes-à-charges comparables dans le cas où le manquement n’a pas eu de conséquence pour les finances publiques et dans celui où le juge estime qu’il y a préjudice, du fait du caractère rémissible du second mais pas du premier ;

!  les jugements prononcés à l’encontre des comptables publics sont sans impact individuel dans l’évaluation qui est faite de leur performance puisque la RPP ne prend en compte que la régularité des opérations contrôlées. D’autant que 94% des personnes condamnées par la Cour des comptes en 2018 et 2019 avaient quitté leur poste au moment du prononcé de l’arrêt (80% pour les CRTC) ;

!  l’apport en matière d’amélioration des processus collectifs est également faible : le jugement des comptes intervient tardivement et sur des cas individuels, ce qui ne permet pas d’avoir en retour un effet observable sur l’amélioration des processus.

Elle engendre des incertitudes jurisprudentielles, inhérentes à tout régime juridictionnel. La mission a été frappée par celles qui ont longtemps pesé sur un sujet au cœur même de la réforme de 2011 à savoir la notion de préjudice financier (tranché par le Conseil d’État, juge de cassation en 2015 en matière de recettes mais seulement 8 ans après la réforme, en décembre 2019, en dépenses) ;

Des risques sérieux pèsent sur l’assurabilité du régime. Les évolutions récentes et le régime particulier des établissements publics nationaux ont abouti, d’après le principal assureur des comptables, à un triplement de la sinistralité depuis 2011 et en conséquence à un risque de non-assurabilité, en particulier pour les comptables principaux de la DGFiP et les comptables d’établissements publics nationaux.

Enfin, la certitude de voir sa responsabilité engagée, en moyenne tous les sept ans, est une situation exceptionnelle, qui ne semble pas avoir d’équivalent dans d’autres professions. Elle entraîne une conscience aiguë et permanente chez les comptables de la possibilité d’être mis en cause, ce qui limite la capacité de réaction et d’adaptation du réseau.

Il est à ce titre très révélateur que dès le début de la crise liée au covid-19 et dès la première vague d’ordonnances (en même temps, notamment, que la création d’un fonds de solidarité pour les entreprises, la prolongation des allocations chômages et des droits sociaux), le gouvernement ait jugé nécessaire de prendre une ordonnance pour sécuriser le fait que l’état d’urgence sanitaire relevait d’un cas de force majeure pour éviter que la crainte d’une appréciation ultérieure divergente du juge ne freine les dépenses publiques urgentes.

 

La mission est en outre convaincue que la dimension juridictionnelle de la RPP entraîne des conflits de légitimité entre autorités hiérarchique et juridictionnelle. De tels conflits existent d’ores et déjà (notamment en matière de seuils de recouvrement ou quant à l’appréciation de l’étendue des contrôles exigés du comptable au titre du « fondement juridique » de la légalité de la dépense). Cette situation, qui est de nature à fragiliser le pilotage du réseau comptable, pourrait être renforcée par le souhait du juge des comptes de pouvoir apprécier les circonstances de l’espèce, (avec la difficulté de savoir qui, du juge ou de l’autorité hiérarchique, est le mieux placé pour apprécier les facteurs déchargeant les comptables de leur responsabilité) et par le développement de l’utilisation de l’intelligence artificielle.

Il est indéniable que la RPP assure au comptable public un positionnement particulier vis-à-vis de l’ordonnateur renforçant en particulier sa capacité à refuser de payer une dépense irrégulière et que celle-ci doit évidemment être préservée. Cependant, contrairement à une idée trop souvent avancée, le maintien de la séparation ordonnateur-comptable ne nécessite pas la RPP et la capacité de refus du comptable n’est pas liée à la seule RPP, mais d’avantage à l’indépendance hiérarchique à l’ordonnateur. Sur ce plan, la mise en place du nouveau réseau de proximité renforcera encore la distance entre ordonnateur et comptable. Les fonctions de conseil, qui jusqu’ici pouvaient entretenir une certaine ambiguïté quant au rôle des comptables publics, à la fois en situation d’assistance et de contrôle, seront désormais exercées par des agents distincts, ce qui marquera l’autonomie de la fonction de contrôle. En outre, la mutualisation des postes comptables limitera les relations interpersonnelles et introduira une plus grande distance, y compris physique, entre les acteurs. Par ailleurs, une possibilité de déférer au préfet voire au tribunal administratif des actes dont la légalité est suspecte pourrait être prévue afin de renforcer cette capacité à « dire non ».

Compte tenu de ces nombreux inconvénients et convaincue que le positionnement spécifique des comptables dépasse la RPP, la mission propose de supprimer la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables, à l’exception de la seule responsabilité « de caisse » qui serait mise en jeu par voie administrative. Par ailleurs les comptables relèveraient du régime de sanction unifié que propose la mission.

Seul un régime de sanction est par ailleurs soutenable si l’on souhaite mettre fin aux remises gracieuses. Le maintien d’une logique réparatrice sans remise n’est pas envisageable, à moins de plafonner très fortement les débets, ce qui reviendrait de facto à un mécanisme de sanction. Plutôt que de renouveler les incertitudes de 2011 en continuant l’hybridation de la RPP entre réparation et sanction, notamment en introduisant les circonstances de l’espèce, il paraît plus logique de basculer totalement vers un régime de sanction, qui dès lors se doit d’être unifié entre ordonnateurs et comptables afin de pouvoir établir d’éventuelles responsabilités conjointes.

La mission est parfaitement consciente des craintes suscitées par une telle évolution. Mais celles- ci ne lui paraissent pas de nature à la différer.

Au sein du réseau comptable, si la suppression de la RPP ne semble pas de nature à remettre en cause l’attachement des élus locaux à la présence des comptables publics, il est incontestable que le recentrage de la RPP sur les opérations de caisse conduira à réinterroger leur régime indemnitaire : le coût réellement associé à la RPP (coût annuel moyens des débets, prime d’assurance et cautionnement) ne peut à lui seul expliquer la différence des rémunérations accessoires entre les comptables publics et les autres cadres de niveau hiérarchique équivalent. La mission souligne toutefois que si l’existence de postes financièrement attractifs dans un réseau de la taille de la DGFIP est parfaitement légitime et ne saurait être sérieusement contestée, la suppression de la RPP offrirait l’opportunité de concevoir un nouveau régime indemnitaire plus adapté aux réalités des responsabilités et aux mobilités fonctionnelles.

La proposition de la mission de suppression du jugement des comptes remet nécessairement en cause la qualité de juridiction de la Cour des comptes et des CRTC à laquelle les magistrats financiers sont très attachés. La mission relève cependant que le modèle juridictionnel d’Institution Supérieure de Contrôle (ISC) est très minoritaire en Europe, que la fonction juridictionnelle n’occupe qu’une faible part de l’activité de la Cour des Comptes et des CRTC et que d’ores et déjà les juridictions financières mobilisent les valeurs professionnelles et des méthodes de travail associées à la dimension juridictionnelle (en particulier, la collégialité, une culture de la preuve et de la vérification et une pratique du « contradictoire ») dans le cadre de leurs missions non juridictionnelles (contrôle de la gestion, évaluation des politiques publiques et certification des comptes).

Pour autant, la fin de la fonction juridictionnelle ne s’oppose pas à ce que le statut de magistrat des membres de la Cour et des CRTC soit maintenu, ce qui apparaît au demeurant souhaitable. S’agissant d’une institution aussi spécifique et éminente que la Cour des comptes dont l’article 47-2 de la Constitution consacre un positionnement équidistant du Parlement et du Gouvernement, une telle orientation apparaît en effet souhaitable : respectueuse de l’histoire et de la culture de ces institutions, elle conforterait la nécessaire indépendance de la Cour et des CRTC, indépendance qui est une condition consubstantielle à leur positionnement et à leurs attributions et une garantie de l’impartialité de leur fonctionnement.

3. Un régime unifié de responsabilité juridictionnelle pour les infractions les plus graves sanctionné par la CDBF

Un régime unifié pour les comptables et les ordonnateurs

L’existence d’un régime juridictionnel ad hoc ne pas de soi, une large majorité des pays européens ont d’ailleurs fait le choix de ne pas le mettre en place (cf. rapport de Mme Damarey).

Même si elle est très attachée à la responsabilité managériale et si elle ne sous-estime pas la difficulté de l’imputabilité dans certains environnements publics, la mission l’estime cependant nécessaire au regard de la spécificité de l’action publique (rappelée par l’article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789) et des attentes légitimes de l’opinion publique. Il y a entre la sanction managériale et la sanction pénale une place pour la sanction juridictionnelle des fautes graves commises par les gestionnaires publics.

La responsabilité des ordonnateurs et des comptables publics doit pouvoir être engagée de manière conjointe – en tant que gestionnaires publics – devant une juridiction unique. Envisager un régime juridictionnel s’appliquant à tous les acteurs de la chaîne financière se justifie d’autant plus que la dynamique actuelle tend à renforcer les imbrications entre le rôle de l’ordonnateur et du comptable et à relativiser la séparation stricte entre ces deux acteurs qui avait présidé à la définition du régime de la RPP des comptables.

Une responsabilité juridictionnelle unifiée signifie une responsabilité engagée devant la même instance. Cela autorise le parquet à engager des poursuites contre les différents acteurs de la chaîne financière pour les mêmes faits, au cours de la même procédure, afin d’appréhender les différentes étapes dans un ensemble co-dépendant, sur la base d’une jurisprudence harmonisée et cohérente pour les différents acteurs. En revanche, une responsabilité unifiée ne débouche pas nécessairement sur une responsabilité conjointe.

La mise en œuvre de cette responsabilité devant une instance juridictionnelle unifiée permettrait par ailleurs d’éviter des divergences de jurisprudences entre juge des ordonnateurs et juge des comptables sur des faits pourtant identiques.

Ce régime de responsabilité ne devrait pas concerner les ministres et les élus qui jouissent d’une légitimité politique et sont contraints par la collégialité

Ce ne serait pas une exception française : seuls trois pays européens ont prévu une responsabilité juridictionnelle ad hoc des élus et des ministres (cf. rapport de Mme Damarey). En outre, contrairement à ce qui est souvent affirmé, la mission estime que cette nouvelle responsabilité ne permettrait pas de limiter la pénalisation de l’action publique locale.

La mission propose cependant trois évolutions concernant la responsabilisation des élus locaux.

D’une part l’extension de l’article L. 243-9 du CJF aux irrégularités juridiques : seraient distingués les « recommandations » et les « rappels d’obligations juridiques » pour lesquels les CRTC auraient la possibilité de mettre en demeure les collectivités concernées de les régulariser. En cas d’inexécution, le tribunal administratif statuant en référé suspension, sur demande motivée du président de la CRTC, pourrait enjoindre la collectivité mise en cause à se mettre en conformité.

D’autre part le maintien d’une sanction de la gestion de fait.

Enfin, une limitation du pouvoir immunitaire des lettres de couverture qui exonèrent de poursuites le fonctionnaire pouvant exciper d’un ordre écrit de son supérieur hiérarchique conformément à l’article L. 313-9 du CJF. L’agent incriminé devant la juridiction qui exciperait d’un ordre écrit serait bien dégagé de sa responsabilité personnelle, mais l’organisme ou la collectivité locale dont il relève et qui a exécuté l’ordre litigieux pourrait voir sa responsabilité engagée et serait condamné à une amende forfaitaire

En ce qui concerne l’État la signature des lettres de couverture par le ministre pourrait être encadrée et être conditionnée à la production d’une note présentant le dispositif juridique auquel il est demandé de déroger ainsi que les motivations précisément identifiées au regard de l’intérêt général justifiant cette demande de dérogation. En outre, ces lettres pourraient être transmises pour information au secrétariat général du gouvernement et au ministre du budget.

Un régime unifié mis en jeu par la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) :

!  dont le champ de compétence couvre déjà les principaux acteurs et infractions en matière financière et a même été étendu par la jurisprudence au-delà des textes en matière de « faute de gestion » (i.e. sans irrégularité) ;

!  qui, contrairement à l’acception commune, prononce des sanctions qui sont apparues à la mission comme proportionnées tout en étant dissuasives puisque non assurables (1 829 € en moyenne ces deux dernières années) ;

!  qui est pleinement compétente pour apprécier les circonstances de l’espèce, que les différents acteurs s’accordent pour dire manquer dans le régime de la RPP

!  dont la composition mixte entre membres de la Cour des comptes et du Conseil d’État lui confère une richesse de points de vue et d’expertises à même d’apporter une réponse équilibrée.

Le fonctionnement de la CDBF devrait être dynamisé

La mission formule différentes propositions destinées notamment à répondre aux critiques, pour partie injustifiées, dont fait l’objet la CDBF :

!  une réduction du délai de prescription (de 5 à 3 ans) et une clarification de sa définition ;

!  une augmentation de ses moyens dont l’actuelle insuffisance pénalise les délais d’instruction ;

5 La loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (loi NOTRé) a créé l’article L. 243-9 qui impose, dans un délai d’un an à compter de la présentation du rapport d’observations définitives à l’assemblée délibérante, que l’ordonnateur présente dans un rapport devant cette assemblée, les actions qu’il a entreprises à la suite des observations de la CRTC.

Responsabilisation des gestionnaires publics

!  un élargissement des conditions de saisine aux inspections générales et corps de contrôle ;

!  la poursuite ses efforts déjà engagés pour renforcer la sensibilisation des CRTC – et les éventuelles nouvelles autorités de saisine – au nouveau régime de responsabilité unifié pour limiter le volume important des classements ;

!  un aiguillage clarifié avec le parquet pénal ;

!  un élargissement de la composition de la CDBF à des personnalités qualifiées en s’inspirant de certaines autorités administratives indépendantes comme l’autorité de la concurrence ou l’autorité de contrôle prudentiel et de résolution ;

!  une définition d’une nouvelle échelle de sanctions. Un plafonnement par exemple à trois mois de traitement indiciaire pourrait constituer, s’agissant d’une sanction non assurable, un point d’équilibre.

La CDBF doit juger des cas significatifs

Plusieurs arguments plaident pour que la CDBF se concentre sur les fautes les plus graves :

!  l’équilibre entre le besoin de sanctions juridictionnelles pour les cas où le bien public est en jeu du fait d’une action d’un agent public et la poursuite d’un objectif d’efficacité de l’action publique et non de recherche systématique de coupables individuels voire de boucs émissaires ;

!  le respect des exigences procédurales découlant du droit au procès équitable (article 6 de la CEDH), renforcées en matière répressive, nécessairement exigeant et contraignant en termes de délais gagne à se limiter aux infractions les plus graves ;

!  la nécessité de ne pas dissuader la prise de risque. La crise actuelle liée à la Covid-19 l’a bien montré : c’est précisément quand les incertitudes sont les plus fortes que l’action publique a besoin de responsables qui ont le courage de la prise de décision, sans craindre de voir leur responsabilité engagée sur le plan juridictionnel pour le moindre manquement et la moindre irrégularité. Il est en particulier souhaitable de bien encadrer la notion de faute de gestion dont la CDBF a une interprétation extensive.

C’est pourquoi, afin de ne pas paralyser l’action publique, la mise en jeu de la responsabilité juridictionnelle gagne à être réservée aux faits les plus graves. Il faut en particulier éviter de remplacer la RPP en la déportant simplement à un autre juge, mais au contraire centrer l’action juridictionnelle sur les manquements les plus significatifs.

Dans cette perspective la mission propose deux évolutions :

!  une modification de l’article 313-4 du CJF – qui fonde l’essentiel des saisines de la CDBF – afin de réserver la sanction juridictionnelle aux faits les plus graves. Deux options sont envisageables : conditionner la sanction à l’existence d’un préjudice financier en s’inspirant de la récente jurisprudence du conseil d’État ou introduire expressément la notion de gravité ;

!  un encadrement législatif de la faute de gestion (i.e. sans irrégularité). Il est proposé d’étendre la définition stricte et protectrice de la faute de gestion actuellement prévue à l’article L. 313-7-1 pour les seuls agents des établissements publics industriels et commerciaux, et entreprises publiques à l’ensemble des agents soumis à la juridiction de la CDBF.

 

VII. Réponse de la Cour des comptes le 18/12/2020 (défense du statut de juridiction)

 

Voici le communiqué de la Cour :

 

La Cour des comptes a pris connaissance des propositions contenues dans le rapport remis récemment au Gouvernement sur la responsabilisation des gestionnaires publics. Elle va les examiner et fera part le moment venu de ses observations et propositions visant à moderniser la responsabilité des gestionnaires publics – objectif qu’elle partage avec les rédacteurs du rapport. Elle rappelle d’ores et déjà les grands principes qui doivent encadrer le maniement de l’argent public.

Le premier principe est celui d’un contrôle indépendant et démocratique des finances publiques, assuré par la Cour et les chambres régionales et territoriales des comptes. La gestion publique ne peut se concevoir en dehors du principe de redevabilité, qui porte sur les intérêts financiers dont le gestionnaire public à la charge, comme sur les décisions qu’il prend et sur leurs conséquences pour la caisse publique.

Le deuxième principe est celui de la séparation des ordonnateurs et des comptables, qui présente un réel intérêt dans toute organisation privée ou publique maniant des fonds et des valeurs, et souhaitant en assurer la sécurité. Cette séparation, dont les ministres des comptes publics et de la transformation et de la fonction publiques, rappellent qu’elle doit rester au cœur du droit public financier, ainsi que le contrôle qu’exerce le comptable sur l’action de l’ordonnateur, constituent un système éprouvé. Ils sont aujourd’hui une garantie pour l’action publique.

Le troisième principe est celui d’une responsabilité financière clairement identifiée. Le rapport recommande – la Cour ne peut qu’y adhérer – un renforcement de la responsabilité des gestionnaires publics et un accroissement de leur marge de manœuvre. Mais cette responsabilité accrue, qui doit permettre au gestionnaire d’agir sans entrave inutile, a une contrepartie, qui est l’obligation de bien utiliser cette liberté et d’en rendre compte.
Le système actuel souffre d’évidentes imperfections et des évolutions sont nécessaires, qu’il s’agisse de la responsabilité des comptables devant les juridictions financières ou bien de celle des ordonnateurs devant la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF). Les juridictions financières participeront à ce débat avec la volonté de contribuer à la transformation de l’action publique, mais aussi avec la conviction, fondée sur leur histoire, que les exigences de probité, de régularité, de transparence, auxquelles nos concitoyens sont particulièrement attachés, supposent plus que jamais que la responsabilité financière soit soumise au regard d’un juge.