Ours : coup de griffe contentieux contre « l’effarouchement renforcé »

Les dispositions des articles L. 411-1 et suivants du code de l’environnement fixent un cadre précis d’équilibre entre les règles de protection des espèces animales non domestiques et de leurs habitats, d’une part, et de prévention des « dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage (…) et à d’autres formes de propriété », d’autre part.

Il en résulte un équilibre délicat à trouver quant aux règles (notamment d’effarouchement) à mettre en place pour garder à distance telle ou telle espèce, le loup ou l’ours notamment.

Les jurisprudences en matière de loups ont prouvé que le juge va assez loin dans le contrôle des mesures ainsi fixées, dans un contrôle classique (qui nous semble relever du contrôle de proportionnalité).

Voir, par exemple, pour le loup : CE, 18 décembre 2019, n°428811, n°419898 et n°419897 :

> n°428811
> n°419898
> n°419897

Voir notre commentaire, alors  :

 

Voir par comparaison  l’ordonnance du TA Nîmes, 21 août 2018, n° 1802510  ; TA de Lyon, juge des référés, 19 mars 2018, Assoc. One Voice c/ préfet de l’Ardèche, n° 1801588 ; TA Toulouse, 6 mars 2018, n°1501887, 1502320 (ours)  ; TA Strasbourg, 10 janvier 2018, ASPAS et LPO, n° 1700293 ; TA Nancy, 13 novembre 2018, n°1700584 ; CAA Nantes, 04 janvier 2019, n°18NT00069 (La vache et le prisonnier (en version municipale) 

En droit, on distingue entre les cas de préservation ou d’atteinte à « l’état de conservation favorable de l’espèce » , et les cas de « recherche d’un meilleur état de conservation » quand, comme dans le cas des ours, les effectifs de l’espèce sont faibles au point qu’un équilibre plus protecteur doit être trouvé.

Dans le cas de l’ours, un arrêté du 27 juin 2019 avait pour objet de fixer, à titre expérimental jusqu’au 1er novembre 2019, les conditions et limites dans lesquelles des dérogations à l’interdiction de perturbation intentionnelle des ours bruns peuvent être accordées par les préfets en vue de la protection des troupeaux domestiques. Son article 2 autorise le recours à des moyens d’effarouchement selon deux modalités, l’effarouchement simple, par des moyens sonores, olfactifs ou lumineux, et l’effarouchement renforcé, au moyen de tirs non létaux.

Le Conseil d’Etat vient d’estimer que l’effarouchement renforcé était trop flou, pas assez encadré :

« […] l’article 4 de l’arrêté attaqué, sous réserve que soient remplies les conditions qu’il prévoit en termes d’attaques des troupeaux, permet à tout éleveur, groupement pastoral ou gestionnaire d’estive de déposer auprès du préfet une demande de dérogation permettant le recours à l’effarouchement par des tirs non létaux de toute arme à feu chargée de cartouches en caoutchouc ou de cartouches à double détonation et prévoit que les dérogations accordées sont délivrées pour deux mois et sont reconductibles deux fois. Il permet la mise en oeuvre de ces opérations d’effarouchement renforcé par l’éleveur ou le berger, titulaires du permis de chasser, ou par des lieutenants de louveterie ou par des chasseurs ou par des agents de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, après une formation préalable par les agents de cet Office. En ouvrant ainsi ces possibilités de recourir à l’effarouchement renforcé, sans encadrer davantage ses conditions de mise en oeuvre, les dispositions de l’arrêté attaqué relatives à ce mode d’effarouchement ne permettent pas de s’assurer, eu égard aux effets d’un tel effarouchement sur l’espèce, que les dérogations susceptibles d’être accordées sur ce fondement par le préfet ne portent pas atteinte, en l’état des connaissances prévalant à la date de l’arrêté attaqué, au maintien des populations concernées dans leur aire de répartition naturelle et ne compromettent pas l’amélioration de l’état de l’espèce. Par suite, les associations requérantes sont fondées à soutenir que l’arrêté, en tant qu’il prévoit des mesures d’effarouchement renforcé, méconnaît les dispositions de l’article L. 411-2 du code de l’environnement et est entaché d’illégalité.

L’effarouchement renforcé, prévu par cet arrêté, est donc annulé, à charge pour l’Etat s’il le souhaite de revenir avec un arrêté plus précis et, sans doute, plus protecteur le cas échéant.

CE, 4 février 2021, n° 434058 :

http://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2021-02-04/434058

Voir les conclusions du rapporteur public, M. Olivier Fuchs :

http://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CRP/conclusion/2021-02-04/434058

 

Voir aussi :