Le préambule de la Constitution de 1946 (toujours en vigueur via un rappel opéré par le préambule de notre actuelle Constitution) pose que « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ».
Ce régime relève donc de la loi, et ce au moins pour les principes fondamentaux en la matière puisque c’est bien au législateur qu’il revient de déterminer « les principes fondamentaux […] du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale » (fin de l’énumération du premier alinéa de l’article 34 de la Constitution).
Cependant, il est de jurisprudence constante qu’en « l’absence de la complète législation du droit de grève annoncée par le Préambule de la Constitution de 1946, auquel se réfère le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, il appartient à l’autorité administrative responsable du bon fonctionnement d’un service public de fixer elle-même, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, la nature et l’étendue des limitations qui doivent être apportées au droit de grève en vue d’en éviter un usage abusif, ou bien contraire aux nécessités de l’ordre public ou aux besoins essentiels du pays, pour les services dont l’organisation lui incombe.»
Sources : CE, Assemblée, 7 juillet 1950, Dehaene, n° 1645, rec. p. 426 ; CE, Assemblée, 4 février 1966, Syndicat unifié des techniciens de la RTF, rec. p. 81 (attention il y a plusieurs arrêts du même jour sur ce point).
Ainsi, dans le cas d’un organisme de droit privé responsable d’un service public, « seuls leurs organes dirigeants, agissant en vertu des pouvoirs généraux d’organisation des services placés sous leur autorité, sont, sauf dispositions contraires, compétents pour déterminer les limitations à l’exercice du droit de grève » (CE, Assemblée, 12 avril 2013, Fédération Force Ouvrière Energie et Mines et autres, nos 329570 et a., rec. p. 94).
Donc le Conseil d’Etat, hier, a prolongé cette logique en posant que :
« Lorsque ce service est concédé, ce pouvoir appartient, sauf texte particulier, à l’autorité concédante »
Et en l’espèce, s’agissant d’autoroutes, le pouvoir concédant était l’Etat, qui a compétemment, sous le contrôle du juge, ainsi pu réglementer le droit de grève :
«5. Le décret du 11 septembre 1980 approuvant la modification apportée aux cahiers des charges annexés aux conventions de concession passées entre l’Etat et certaines sociétés d’autoroute a inséré à l’article 14 du cahier des charges annexé à la convention passée entre l’Etat et la société Cofiroute un alinéa aux termes duquel : ” Le ministre chargé de la voirie nationale arrêtera les dispositions du service minimum à assurer pour maintenir la permanence de la circulation dans de bonnes conditions de sécurité en cas de grève des agents de la société concessionnaire. ” Par suite, contrairement à ce que soutient le syndicat requérant, le ministre chargé de la voirie publique était compétent pour déterminer les limitations applicables au droit de grève des agents de cette société.
« 6. Le ministre des transports a pu légalement et sans excéder sa compétence définir par la directive contestée les fonctions indispensables à la sécurité des personnes et des biens dont la continuité doit être assurée en période de grève, qui sont relatives aux interventions de sécurité, aux équipements de sécurité, à la surveillance de certains ouvrages, et aux informations et moyens nécessaires à ces tâches et au fonctionnement de ces équipements, et qui, contrairement à ce qui est soutenu, ne correspondent pas au maintien d’un service normal, ainsi que les obligations des sociétés concessionnaires s’agissant de la définition précise de ces tâches et de la désignation des agents concernés.
« 7. Par suite, le syndicat CGT de la société Cofiroute n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision implicite par laquelle le ministre délégué chargé des transports a refusé de retirer ou d’abroger la directive du 26 septembre 1980 relative au service minimum à assurer en cas de grève sur les autoroutes concédées.»
Source :
Conseil d’État,5 avril 2022, n° 450313, à mentionner aux tables du recueil Lebon
Est-ce que cela veut dire que chaque pouvoir délégant va pouvoir réglementer le droit de grève des agents de son délégataire ou autre concessionnaire, qui pour sa restauration scolaire, qui pour son service des eaux ou autre ?
OUI et NON.
Oui sur le principe et donc le pouvoir délégant pourra insérer, comme il le fait parfois déjà, telle ou telle clause sur la continuité du service public.
Sauf que :
- cela sera plus à insérer dans les DCE initiaux et donc dans les contrats, que par des actes unilatéraux sauf à risquer des illégalités ou à tout le moins des indemnisations à ce titre
- le droit des salariés en ce domaine est très largement couvert par le droit, notamment législatif, et par divers autres régimes y compris en termes de droits acquis en droit du travail (pas sur la grève elle-même s’agissant des droits acquis, mais il peut y avoir des interférences)
- le juge opère un contrôle des conciliations entre droit de grève et continuité du service public qu’il faut apprécier au cas par ca. Voir par exemple :
- TA Clermont-Ferrand, 14 juin 2017, n° 1701168 ; voir ici cette décision et notre article)
- CE, 6 juillet 2016, Syndicat CGT des cadres et techniciens parisiens des services publics territoriaux et autres, n° 390031 (voir ici notre article ; et là cette décision).
- parfois il sera plus facile de procéder par demande de libération du domaine public. Voir pour des exemples récents :
- TA Marseille, ord., 29 janvier 2022, n° 2200615 ; voir ici notre article
- TA Grenoble, Ord., 3 octobre 2018, n° 1806181 (voir Le TA de Grenoble accepte qu’un préfet le saisisse en référé mesures utiles pour ordonner l’évacuation d’une occupation syndicale de déchetteries )
- etc.
- il est parfois plus efficace de saisir le préfet pour qu’il use en ce domaine de son pouvoir de réquisition (voir l’article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales ; attention ceci dit aux spécificités propres au droit alsacien et mosellan). Un droit qui doit ensuite donner lieu à une application modérée, bien sûr (voir par exemple TA Châlons-en-Champagne 21 octobre 2019, n° 1902530 ; voir aussi TA Clermont Ferrand, 23 avril 2009, n°080122 ; arrêt de principe voir CE, Sect., 24 février 1961, Isnardon, 40013).
-
le juge administratif peut parfois d’ailleurs indemniser ceux qui ont un préjudice direct et certain du fait que l’Etat aurait refusé de recourir à la force publique pour disperser des occupations illégales lors de telles grèves (pour un exemple récent voir TA Lille, 17 mai 2018, n° 1509059 ; voir ici notre article ; voir ensuite et surtout Conseil d’État, 30 septembre 2019, n° 416615, aux tables — voir ici l’arrêt et notre article — pour l’arrêt de référence, voir CE Ass. 3 juin 1938 Société « La cartonnerie et imprimerie Saint-Charles » n° 58698 et 58699… arrête lui-même lié à CE, 30 novembre 1923, Couitéas, GAJA n°38 dans les anciennes éditions, n°37 désormais).
- à noter : le juge admet parfois, dans certains cas, la possibilité de recourir à des prestataires externes pour faire assurer la collecte des déchets en raison de la grève (TA de Marseille, 31 décembre 2020, CGCT ; n°2000737).
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