Un TA refuse d’exclure l’écriture inclusive

Selon le TA de Paris, dans une affaire où la ville de Paris a gravé l’écriture inclusive dans le marbre des listes de ses anciens édiles, les collectivités territoriales peuvent adopter l’écriture inclusive. Point.
Sauf que la position de ce juge de première instance reste tout à fait susceptible d’être débattue en droit : un éventuel appel sera intéressant à suivre.


 

En 2017, une circulaire du Premier Ministre se prononçait pour la féminisation des titres, mais contre l’écriture inclusive.

Pour les agents de l’Etat, ce texte valait — et vaut encore — ordre hiérarchique s’agissant des rédactions de textes à publier au JO (et même au delà). Pour les autres autorités publiques de la République, ce texte n’a pas de valeur juridique si ce n’est indicative.

NB : le Conseil d’Etat a refusé de censurer cette circulaire : CE,  28 février 2019, n° 417128. Voir : Voici le rapport de l’Académie Française et l’arrêt du Conseil d’Etat sur la féminisation des noms de fonctions 

 

Mais pour les autres ? Pour les communes par exemple ? L’écriture inclusive est-elle interdite ?

La question n’est pas si simple. Car le recours au français s’impose aux termes de la loi « Toubon » n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française précisait l’article 2 de la Constitution qui, par certains côtés, réactivait l’ordonnance de Villers-Cotterêts du 10 aout 1539.

Voir aussi : C. Const., décision 99-412 DC – 15 juin 1999 – Charte européenne des langues régionales ou minoritaires – Non conformité partielle. Voir plus récemment la décision n° 2021-818 DC du 21 mai 2021, avec un important volet sur les langues régionales. Voir :

Voir aussi du côté du Conseil d’Etat :

Avec un cas à part pour les traductions (laquelle n’est pas interdite par la loi) en sus du français : CE, 22 juillet 2022, n°455477 ; Conseil d’État, 31 octobre 2022, n° 444948, aux tables du recueil Lebon.
De même faut-il traiter séparément les textes écrits en allemand et qui s’imposent encore parfois en Alsace-Moselle (voir : CAA Nancy, 9 juillet 2020, n° 18NC01505; arrêt que nous avons diffusé et commenté ici : Alsace-Moselle : quand un texte de droit local, en allemand, remontant à la période 1871-1918, est-il encore applicable ? )

 

Voir aussi ma courte vidéo faite en mars 2022 à ce sujet (4 mn 11) :

https://youtu.be/8ddUF0y8gj8

 

 

Oui mais, cher avocat digressif me direz-vous… quid de l’écriture inclusive ?

NB : pour le rejet d’un référé liberté visant à demander d’enjoindre à un maire de mettre à l’ordre du jour du conseil municipal une délibération portant entre autres sur l’usage de l’écriture inclusive, voir CE, 5 mai 2022, n° 463170. 

Et bien pour censurer celle-ci, il fallait en passer par une position audacieuse selon laquelle ce mode d’expression ne serait pas la langue française… c’est le pas qu’à refusé de franchir le TA de Paris, validant le recours à l’écriture inclusive par la ville de Paris.

L’association FRancophonie Avenir, AF.R.AV. a demandé au tribunal d’annuler la décision implicite par laquelle la maire de Paris a rejeté sa demande tendant au retrait de deux plaques commémoratives apposées dans l’enceinte de l’hôtel de Ville et gravées en écriture dite « inclusive ».

Voici un extrait du site de ladite association requérante qui montre qu’en effet la ville capitale met un point d’honneur à graver l’écriture inclusive dans le marbre :

https://www.francophonie-avenir.com/fr/Point-d-infos/631-Notre-proces-contre-l-ecriture-inclusive-de-Mme-Hidalgo

Le tribunal a rejeté cette requête en relevant, contrairement à ce que soutenait l’AF.R.AV., que ni l’article 3 de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, ni aucun autre texte ou principe ne prévoit que la graphie appelée « écriture inclusive », consistant à faire apparaître, autour d’un point médian, l’existence des formes masculine et féminine d’un mot ne relève pas de la langue française. 

Les circonstances que le ministre de l’éducation nationale ait proscrit son utilisation à l’école par une circulaire du 5 mai 2021 ou que l’Académie française se soit déclarée opposée à son usage dans une lettre ouverte du 7 mai 2021 restent à cet égard sans incidence sur la légalité de la décision attaquée de la Ville de Paris, selon le TA de la ville capitale.

Ce qui revient à dire que l’écriture inclusive est du français et que l’Académie ne définit pas l’usage de notre langue, dont le respect s’impose aux administrations. .. alors même que

« Les documents administratifs doivent […] être rédigés en langue française
Conseil d’État, 31 octobre 2022, n° 444948, aux tables du recueil Lebon

Ce jugement sera-t-il confirmé à hauteur d’appel ?

C’est possible (les magistrats administratifs n’ont sans doute pas envie d’être juges du « bon parler » et de la manière d’écrire).

Ce qui est certain, en revanche, c’est que cette décision ne mettra pas un point final à cette polémique.

Lire le jugement n° 2206681/2-1 du 14 mars 2023

 

Source : Panneau pratiquant la flexion à trait d’union (écriture inclusive) à Fontenay-sous-Bois (source Chabe01 ; Wikipedia)